Par Séverine Guillemet – s.guillemet@sudouest.fr
Publié le 21/04/2023 à 15h46
Samuel Noguera étudie les cahiers de doléances d’expression libre produits dans le cadre de la mobilisation des gilets jaunes et du Grand Débat national en 2019. Un projet de thèse financé par le Département de la Gironde
Depuis six mois, Samuel Noguera effectue un travail de recherche sur 364 cahiers de doléances girondins. Il a présenté son projet de thèse « Les Cahiers citoyens en Gironde (2018-2019). Une étude sociopolitique du dispositif et du contenu des doléances des gilets jaunes et du Grand Débat national » à l’École des hautes études en sciences sociales. Inégalités territoriales, expression libre, revendications, il dévoile les thèmes de son travail.
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Quels documents étudiez-vous ?
J’étudie les cahiers citoyens, de doléances, d’expression libre écrits dans les mairies, sur les ronds-points, dans le cadre de la mobilisation des gilets jaunes et du Grand Débat national lancé le 15 janvier 2019 à l’initiative du président de la République. Ils ont ensuite été collectés par la Bibliothèque nationale de France puis versés aux Archives départementales le 5 avril 2019. Ce sont 364 cahiers communaux. Il y a 535 communes en Gironde. S’y ajoutent des pétitions, des documents comme des échanges préfectoraux. Ce sont 5 000 contributions uniques. Je suis en phase de découverte, je les lis, les numérise, les retranscris pour les intégrer à une base de données. 55 % du fonds n’est communicable que sur dérogation préfectorale. Le reste est consultable aux Archives.
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Cahier citoyens de Virsac, page de couverture.
AD Gironde 5999 W 088
Cahier citoyens de Bordeaux Bastide, page de couverture.
AD Gironde 5999 W 102
Qui sont les gilets jaunes ?
C’est difficile à définir. Ils n’ont pas été les mêmes selon les moments de la mobilisation. Ceux du 17 novembre 2018 ne sont pas les mêmes que ceux de janvier 2019. Le mouvement se resserre à gauche de l’échiquier politique en décembre 2018. Et les gilets jaunes de Bordeaux ne sont pas ceux de La Souterraine dans la Creuse. Ce n’est pas une catégorie unique. Leurs revendications sont, elles, assez homogènes. À Bordeaux, il y a eu une convergence avec les manifestations pour le climat, pas à Montpellier, par exemple. Fin 2019, cas assez rare, s’est créé le Collectif de Bassens, intersyndical, gilets jaunes et citoyens en colère.
« Les gilets jaunes du 17 novembre 2018 ne sont pas les mêmes que ceux de janvier 2019 »
À quoi ressemblent ces écrits ?
Les textes sont très pluriels. Il y a des feuilles imprimées. D’autres ont la forme de lettre, de liste à puces, de récit autobiographique… Dans l’ensemble, l’expression a été libre dans les cahiers, plus cadrée sur le Grand Débat en ligne car il y avait quatre thèmes (transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’État et des services publics). Les cahiers de doléances sont divers et je n’ai pas tout dépouillé. On peut se demander pourquoi n’y a-t-il pas eu d’homogénéisation du dispositif local. Chaque commune a dû se débrouiller. Il y a des cahiers Eco +, E. Leclerc, des Oxford à spirales… certains sont reliés, plusieurs mairies avaient juste imprimé le questionnaire du Grand Débat.
Allez-vous prendre contact avec des contributeurs ?
Oui. J’ai plusieurs questions à leur poser. Qu’est qui les a amenés à participer ? Pensaient-ils s’inscrire dans un moment de l’histoire ? Est-ce la première fois qu’ils s’exprimaient politiquement ? Leur situation a-t-elle changé ? Leurs revendications sont-elles les mêmes ? Leur témoignage a-t-il été pris en compte ? On a ici un public qui s’exprime peu dans des consultations citoyennes locales. La production textuelle des gilets jaunes, ce sont des données précieuses.
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Quel est leur parcours ?
Beaucoup étaient des primo-militants, n’avaient jamais manifesté. Ce phénomène assez rare peut se retrouver chez les étudiants. Ils ont été nombreux entre le 17 novembre et la mi-décembre. Plus le temps a passé, plus les militants et syndicalistes sont arrivés. La place des femmes dans le mouvement a été importante. Il y a eu des ronds-points tenus par des femmes, il y a eu des leadeuses, de nombreuses administratrices de groupes Facebook. Cela a peut-être donné une impulsion dans la transformation des mouvements sociaux.
C’est-à-dire ?
On présuppose que le mouvement des gilets jaunes a féminisé les mouvements sociaux. Cela reste une hypothèse, mais beaucoup de femmes participent aujourd’hui aux manifestations contre la réforme des retraites alors que traditionnellement, dans les luttes syndicales, ce sont plutôt des hommes. Il y a dix ans, il n’y avait pratiquement pas de femmes. Il y a maintenant des cortèges féministes. Il a sans doute aussi territorialisé les mouvements sociaux. C’est assez médiatisé maintenant. Il y a eu des gilets jaunes dans le Sud-Gironde, dans le Médoc…. On ne part plus manifester qu’à la grande ville, on va aussi à Libourne, Saint-André-de-Cubzac.
« On présuppose que le mouvement des gilets jaunes a féminisé les mouvements sociaux »
Que lit-on dans ces cahiers à l’aune de la grogne sociale actuelle ?
Il y a deux liens à tisser. 25 % des 1 996 doléances girondines analysées par l’Agence nationale de recherche gilet jaune parlent de la question des retraites. C’est LE sujet principal. Cela ne se traduit pas ensuite dans l’action publique nationale. La question saillante de la contestation actuelle ne sort pas de nulle part. D’autres thèmes forts sont le « pouvoir vivre », la participation citoyenne, les services publics. La souveraineté et la sécurité, c’est 6 %. Autre espace important : la transition écologique avec le prix de l’énergie, la LGV, les inégalités territoriales, l’agriculture bio, l’accès à l’eau…
La parole citoyenne a-t-elle été prise en compte ?
On cherche aujourd’hui à encourager la participation citoyenne, à tous les échelons. Si les citoyens ne voient pas de résultats à la suite de ces consultations publiques, si cela ne se traduit pas dans l’action publique, cela pourrait produire des effets négatifs sur leurs prochaines participations politiques. Ceux qui ont écrit dans les cahiers voudront-ils encore s’exprimer ? Comment viendra-t-on les capter ? Plus loin, à quel moment la parole citoyenne est légitime ? Seulement pendant l’élection politique ?
« Intégrer cette parole »
Le doctorant au Centre Durkheim à Bordeaux est pour trois ans en contrat Convention industrielle de formation par la recherche avec le Département, qui a déclaré grande cause en 2022 la participation citoyenne. Un cas unique. Céline Goeury, conseillère déléguée à la citoyenneté et à la laïcité, a rappelé « l’importance d’avoir cette lecture territorialisée. Il y a de multiples enjeux comme l’eau, les incendies, la ZFE. En Gironde, les mouvements de gilets jaunes ont été forts. Nous devons prendre notre part, avoir une réponse, intégrer cette parole. »