Le député de gauche affrontera le populiste José Antonio Kast au second tour du scrutin présidentiel, le 19 décembre, au Chili. Rien ne laissait imaginer qu’il incomberait à cet élu de 35 ans d’être le dernier rempart contre l’extrême droite.
A deux points de l’extrême droite, arrivée en tête du premier tour de la présidentielle (27,9 % des suffrages), le 21 novembre, le camp de Gabriel Boric (gauche) sait que la route pou rle palais de la Moneda, à Santiago, le 19 décembre, sera difficile. « Nous sommes le meilleur chemin vers un pays plus juste », a pourtant harangué le député chilien, élu depuis 2014, devant ses supporteurs, à la tête d’une vaste coalition allant du Parti communiste aux sensibilités de centre gauche.
Il y a cinq mois encore, rien ne laissait imaginer que ce jeune candidat de 35 ans – l’âge légal pour concourir à la présidence du pays – jouerait le rôle de dernier rempart contre le retour de l’extrême droite, incarnée par l’ex-député José Antonio Kast, avocat de 55 ans et père de neuf enfants, déjà candidat à l’élection de 2017, lors de laquelle il avait été crédité de près de 8 % des suffrages.
En juillet, Gabriel Boric crée la première surprise à l’élection primaire de la gauche : il l’emporte sur le candidat favori, un maire communiste du nord de la capitale. L’année précédente, chemises à carreaux aux manches retroussées laissant apparaître ses tatouages, il déclarait lors d’un entretien télévisé : « Je n’ai pas l’expérience, j’ai encore beaucoup à apprendre. » Cette phrase et sa jeunesse lui ont été maintes fois reprochées. « Les conditions collectives [ont depuis] été construites », a-t-il rétorqué, en octobre 2021, à un animateur de télévision qui le poussait dans ses retranchements.
« Un jeune idéaliste »
Pendant la campagne, Gabriel Boric a été notamment attaqué sur le volet économique de son programme et les projections d’augmentation d’impôts – afin de financer les droits sociaux réclamés par la rue en 2019, avec une santé, une éducation et des retraites universelles –, jugées démesurées par ses détracteurs.
« Dire “je n’ai pas d’expérience”, c’est nécessaire pour un président, car c’est un signe d’humilité, mais cela révèle aussi son manque d’appuis, décrypteKenneth Bunker, politiste et directeur du cabinet de conseil Tresquintos. Gabriel Boric est un jeune idéaliste qui a un grand sens de l’adversité : originaire du sud du pays, il a réussi à s’imposer à Santiago, d’où vient toute l’élite chilienne. »
C’est à Punta Arenas, là où la terre du Chili s’émiette entre les océans Pacifique et Atlantique que le candidat a passé son enfance, dans une famille sociale-démocrate où les discussions politiques s’invitaient à table. « Nos parents travaillaient beaucoup, on a grandi entre nos oncles et nos grands-parents, dans un climat chaleureux, je pense que cela a forgé son sens du collectif, décrit Simon Boric, 33 ans, l’un de ses deux frères cadets. C’est une personne réfléchie, mesurée, sans grandes ambitions matérielles, fidèle à son groupe d’amis, de bon conseil. »
Le renouveau de la gauche
En 2011, alors étudiant en droit – il lui manque toujours un examen pour avoir son diplôme –, Gabriel Boric devient l’une des voix du mouvement universitaire réclamant une éducation publique de qualité, avant de prendre la tête de la fédération des étudiants de l’université du Chili. Depuis son élection comme député, en 2014, il incarne, aux côtés d’autres trentenaires, l’irruption en politique d’une nouvelle génération, formée dans les manifestations, derrière les mégaphones. Il se fait ainsi l’écho des thématiques progressistes portées par la jeunesse de gauche : le féminisme, les droits des minorités sexuelles, l’écologie, mais aussi la décentralisation.
« Lors d’une réunion, Gabriel est la personne qui reste silencieuse quand tout le monde s’agite et qui prend la parole à la fin, calmement, pour faire la synthèse », témoigne Gonzalo Winter, député de gauche et ami intime du candidat. Les deux hommes se sont connus à l’université et ont travaillé ensemble à plusieurs reprises, notamment lorsque Gabriel Boric est entré à la Chambre basse.
A l’Assemblée, le jeune député peut surprendre par ses habitudes faussement farouches. Il lui arrive de déjeuner seul, avec un livre pour seule compagnie. « Il est très cultivé, il lit et écrit de la poésie, il connaît sur le bout des doigts le rock régional et international », dévoile son frère. Selon ses proches, le candidat ne rate pas un seul match de football de Universidad Católica, l’équipe de Santiago.
« Son jeune âge ne suscite pas d’admiration. Quelque part, je comprends que les électeurs se méfient d’une personne qui n’a ni enfants ni tableaux accrochés aux murs. » Un membre de la coalition de Gabriel Boric
En 2018, il demande de lui-même à être hospitalisé en raison de troubles obsessionnels compulsifs, un épisode dont il s’est spontanément ouvert à la presse. « Il a connu un moment de trop-plein. Mais je ne l’ai jamais vu aussi rayonnant qu’en pleine campagne », assure Gonzalo Winter. « Le tournant de sa carrière, c’est novembre 2019 : en pleine révolte sociale, il a défendu un accord pour l’écriture d’une nouvelle Constitution, contre l’avis de sa famille politique. Là, il a montré qu’il savait prendre un risque », décrit un universitaire et militant de gauche de son alliance souhaitant rester anonyme.
Pendant la campagne présidentielle, il a tenté de modérer son apparence et son discours, quittant définitivement les habits d’étudiant pour apparaître plus professoral. « Son jeune âge ne suscite pas d’admiration. Quelque part, je comprends que les électeurs se méfient d’une personne qui n’a ni enfants ni tableaux accrochés aux murs », confie un politique membre de sa coalition. Conscient de la nécessité de tisser des alliances, Gabriel Boric a assuré, le 21 novembre, qu’il écouterait les Chiliens n’ayant pas voté pour lui et les abstentionnistes. Plus de la moitié des électeurs sont restés chez eux lors du premier tour de la présidentielle.
Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)