Par Christophe Lucet – c.lucet@sudouest.fr
Exposés jusqu’au 28 mars au Musée de préhistoire des Eyzies, les rares tableaux de François Augiéras, rassemblés pour la première fois, sont un voyage initiatique chez les vivants et les morts
De profil, un personnage androgyne à peau sombre, vêtu d’un pagne blanc, contemple un tableau dans le tableau : une falaise blanche dont les piliers sont suspendus sur un ciel turquoise. « Ici, l’Afrique rencontre la Vézère, hors du temps et d’une réalité qui ne l’intéressait pas. » Marc Saboya arrête longuement l’œil du visiteur sur cette étrange et petite peinture sur bois. Car pour l’historien de l’art bordelais, elle résume la quête par François Augiéras (1925-1971) « d’un lieu où vivre et survivre loin de la civilisation occidentale ».
Intemporelle, fascinante, avec ses aplats de couleurs vives, ses fonds d’or rappelant les icônes des monastères orthodoxes, ses panthères allongées, ses personnages hiératiques juchés sur de longues barques égyptiennes, la peinture d’Augiéras renvoie aussi bien au Livre des morts de la civilisation du Nil, aux royaumes du Niger qu’à la plus haute préhistoire. Son créateur, qui ne peignait ni pour les salons ni pour les musées, voyait dans l’acte de peindre un moyen de rejoindre l’ailleurs du monde : une démarche performative absolument moderne.
Remontée vers l’origine
Rien de paradoxal, donc, à ce que cet ensemble exceptionnel d’une cinquantaine d’œuvres, rassemblé pour le cinquantenaire de la mort de cet artiste aux semelles de vent, soit exposé parmi les collections du Musée national de préhistoire (1). Car Augiéras s’inspirait de l’art pariétal dont il ressentait l’intention mystique. Et c’est de la « maison de l’Aurore », toujours visible sous la falaise qui domine le musée des Eyzies de Tayac, qu’il lançait, avec son ami, l’instituteur sarladais Paul Placet, ses nomadisations à pied et en radeau le long de la Vézère et des Beunes.
Il peint comme on remonte un fleuve vers un jardin d’Éden à l’origine du monde. Ses « rives primitives » sont survolées par l’ibis. Il peint comme un moine du mont Athos, où il séjourna. Mais ses icônes terminent parfois trouées d’un tir de carabine, laissées dans un bois ou lâchées au fil de l’eau comme une offrande ou un appel. Pas étonnant que la plupart soient perdues. Et c’est miracle qu’une poignée d’entre elles ait atterri dans des collections privées dont celles de Paul et Annie Placet, Jean Chalon, Laure Crouzet-Fanlac ou du grand artiste espagnol Miquel Barceló.
Piero della Francesca et Paul Klee
Autodidacte éloigné de tout académisme, Augiéras citait pourtant parmi ses maîtres le primitif italien Piero Della Francesca. Il avouait sa haine des créateurs reconnus de son époque mais entretint des liens (orageux) avec le peintre bordelais Raymond Bissière. « Il puisait aussi son inspiration dans les magazines et chez l’Andy Warhol de ‘‘Shot Marylin’’ », note Marc Saboya. « On est tenté de le rattacher au courant de l’art brut mais à l’inverse de ces artistes-là, il était capable de transformer sa manière, y compris vers l’abstraction. »
On le découvre dans ces « Carrés magiques » (1956) : sa composition abstraite rappelle Paul Klee, dont le Périgourdin aimait la pureté géométrique et qui partageait son goût pour l’Afrique du Nord et le Sahara. On songe aussi aux signes cabalistiques qui ponctuent les parois des grottes ornées, en particulier Lascaux, Font de Gaume ou la Madeleine qu’Augiéras admirait et « occupait ».
Des antennes vers le ciel
Égaré dans une époque qu’il déteste, évadé de l’intérieur, il peint dans ses paysages l’attente d’une existence future ou d’un « Matin des magiciens ». Seuls éléments de modernité, des antennes dressées vers le ciel sur la falaise qu’on imagine être celle de Domme, signalent sa soif de communication extraterrestre. Mais les humains du futur qui peuplent ses tableaux sont des adolescents au sexe indécis à la douceur mélancolique, gardiens mystérieux de quelque temple aux murs invisibles.