Le Musée des Confluences, à Lyon, réunit des œuvres et des objets témoignant du mode de vie des peuples premiers d’Amérique du Nord et du regard porté sur eux.

Par Marc-Olivier Bherer(Lyon)

Un chef de guerre de la tribu des Nez-Percés, photographié avant 1915 par Edward Sheriff Curtis (1868-1952), héliogravure.
Un chef de guerre de la tribu des Nez-Percés, photographié avant 1915 par Edward Sheriff Curtis (1868-1952), héliogravure. COLLECTION MUSÉE DU NOUVEAU MONDE, LA ROCHELLE

Sous un auguste tipi, un homme se tient assis, une coiffe de plumes sur la tête, un long calumet cloué au bec. Un peu plus loin, deux fiers bisons broutent paisiblement. Au loin, l’immensité se déploie, entre herbes basses et canyons vertigineux… C’est avec cette scène que s’ouvre l’exposition « Sur la piste des Sioux », au Musée des Confluences, à Lyon.

Le diorama avec Indien et bisons s’inspire des grands musées américains qui, au début du XXe siècle, popularisèrent ce mode d’exposition, installant durablement certains préjugés. Toutefois, l’exposition ne nous montre pas ce que serait la vie des Indiens, mais nous met face à notre habitude d’enfermer ces peuples dans des rôles bien précis, le bon sauvage ou le scalpeur emplumé.

Une image qui s’effritera peu à peu au cours de la déambulation, avec une mise en perspective de la construction en France de « l’Indien » et l’histoire réelle des peuples premiers d’Amérique. Au passage, les Sioux (re)deviendront des Lakotas, reprendront le nom qu’ils se sont eux-mêmes attribué, délaissant celui que les hommes blancs leur avaient accolé. De sorte que le Sioux de cette exposition, c’est nous, c’est l’homme blanc qui ne doit plus ruser avec l’histoire.

Entre innocence et barbarie

Nous remontons donc le temps pour revenir à l’époque où l’Europe « découvre » l’Amérique et développe maints fantasmes. « L’Indien » devient un écran sur lequel se trouvent projetés nos peurs et nos espoirs. Une gravure de Théodore de Bry (1528-1598), artiste né à Liège qui se passionna pour le Nouveau Monde au XVIe siècle, le rappelle. Il installe l’image de l’Indien armé d’un arc, vivant dans un éden. De Bry le représente aussi en anthropophage. Très vite, l’enfant de la nature se partage entre innocence et barbarie. Son vêtement devient déguisement, comme le montre un ravissant tableau de la fin du XVIIIe, Fillette en Indienne, d’un auteur inconnu.

Puis le massacre commence, les colons avancent à travers l’Ouest américain. C’est l’époque où George Catlin (1796-1872) peint ses célèbres tableaux d’un monde qu’il croit sur le point de disparaître. Ses œuvres fixent l’image européenne de l’Indien des plaines, majestueux, digne, richement vêtu. On retiendra le magnifique Portrait de Ee-ah-Sa-Pa (La Roche Noire), chef des Nee-Cow-e-je, bande de la tribu des Sioux, peint en 1845 et que Catlin montre lors d’expositions itinérantes aux Etats-Unis et en Europe.

« L’Indien » devient un écran sur lequel
se trouvent projetés nos peurs et nos espoirs

A la même époque, Chateaubriand écrit son roman Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert (1801). L’héroïne de ce drame est l’objet de maints tableaux, mais aussi d’estampes, comme celles de Napoléon Thomas (1804-1879). Est ainsi figée l’image de l’Indien chassé de ses terres, et donc de l’histoire. Cette vision rassure l’homme blanc, sûr d’emmener avec lui la civilisation à mesure qu’avance la conquête de l’Ouest américain : une « race » plus avancée en supplanterait une autre. Les Indiens se retrouvent parqués dans des réserves. Le Wild West Show de Buffalo Bill, dont on retrouve de nombreuses affiches, tourne en France et en Europe, emportant avec lui des Native Americans, qui gagnent ainsi de quoi se nourrir à une époque de famine organisée.

Ces spectacles sont à l’origine de ce qui constitue le clou de l’exposition : plus de 150 objets lakotas, bracelets, tuniques, colliers, coiffes, gants, etc., des objets cérémoniaux tous finement travaillés, datant des années 1920-1930. Telle cette chemise de guerre en cuir criblée de coquillages et de perles, suivant des motifs géométriques, parée sur les manches de cheveux humains et de crin de cheval. Ou encore un gilet bleu ciel, décoré de bisons et de guerriers. L’histoire des Lakotas redevient visible.

Incroyable découverte

La présence à Lyon de ces artefacts est due à l’incroyable découverte faite par François Chladiuk, un collectionneur belge propriétaire d’une boutique western à Bruxelles. En 2004, il achète à un antiquaire huit malles en métal dans lesquelles se trouve ce trésor. « Quand, j’ai ouvert ces caisses, j’en ai eu le souffle coupé », dit-il.

Puis il se lance à la recherche de photos d’époque, car il comprend que ces vêtements proviennent du spectacle inspiré du Wild West Show de Buffalo Bill tenu à deux pas de l’Exposition universelle de Bruxelles en 1935. Grâce à un travail de fourmi, François Chladiuk parvient à identifier des dizaines d’objets sur des images d’époque. A la faveur d’un reportage télévisé, il entre en contact avec Walter Littlemoon, un Lakota dont la famille a participé au spectacle.

Invité à l’inauguration de l’exposition à Lyon, Walter Littlemoon, 79 ans, ne se pose pas la question de la restitution de ces objets. Joint dans le Dakota du Sud, il habite Wounded Knee, site d’un massacre commis en 1890 par l’armée américaine qui mit fin aux guerres indiennes, mais aussi d’un important mouvement de protestation en 1973, Littlemoon ne croit pas réunies les conditions pour un retour de ces pièces dans la réserve. Il se dit heureux de voir célébrer en Europe la culture de son peuple dont on a longtemps nié l’humanité. C’est pour lui un geste de fraternité.

« Il n’y a pas chez nous d’attachement aux objets. Et il y a plus urgent. Les Lakotas de ma génération qui comme moi ont été arrachés à leurs parents pour être placés de force dans des pensionnats par les autorités américaines afin de “tuer l’Indien en eux” ont subi de dures violences. Les suicides sont nombreux. » Cette politique d’assimilation forcée, commencée en 1860, n’a pris fin que tardivement, à la fin du XXe siècle. Walter Littlemoon a publié à ce propos They Called Me Uncivilized : The Memoir of an Everyday Lakota Man from Wounded Knee (non traduit, Universe, 2009).

L’histoire y est explorée avec des interventions mesurées et précises, dénuées de lourdeur et sans apitoiement

En associant Walter Littlemoon à sa collection, François Chladiuk montre que la culture populaire peut d’elle-même travailler à réviser ses représentations, puis s’inscrire dans un cadre savant en entrant au musée. Les deux hommes ont publié ensemble, avec Steven Friesen, ancien directeur du Musée Buffalo Bill à Golden (Colorado), un livre retraçant le destin de cette collection et des hommes qui l’emmenèrent en Europe, Lakota Performers in Europe : Their Culture and the Artifacts They Left Behind (non traduit, University of Oklahoma Press, 2017), pour lequel ils ont reçu un prestigieux Western Heritage Award, en 2018.

Au Musée des Confluences, l’entrelacement entre les Lakotas et la représentation des Indiens se poursuit par un retour sur l’histoire du western et des usages plus récents du bon sauvage, notamment par la publicité. L’histoire y est explorée avec des interventions mesurées et précises, dénuées de lourdeur et sans apitoiement, afin de rendre enfin possible la rencontre.

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« Sur la piste des Sioux », Musée des Confluences, à Lyon. Jusqu’au 28 août. Tarif : 9 euros. Museedesconfluences.fr

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