Comment décrypter le phénomène Eric Zemmour à six mois de l’élection présidentielle ? Eric Darras, le directeur de Sciences Po Toulouse, parle d’un épiphénomène, d’une création principalement médiatique.
Alors que le mouvement Génération Zemmour revendique 280 militants en Haute-Garonne, France Bleu Occitanie a voulu décrypter l’engouement suscité autour du polémiste qui ne s’est toujours pas officiellement déclaré à l’élection présidentielle. Eric Darras, professeur de science politique et directeur de Sciences Po Toulouse, était l’invité de la matinale de France Bleu Occitanie.
France Bleu Occitanie : Prenez-vous le phénomène Eric Zemmour au sérieux ?
Eric Darras : Pour tout vous dire, j’ai hésité à venir [sur l’antenne de France Bleu Occitanie, ndlr]. Zemmour est un épiphénomène, une création principalement médiatique mais pas seulement. Du point de vue intellectuel c’est quelqu’un qui est médiocre, plus que médiocre, qui est indigent, dont les travaux sont indigents. Un grand historien qui s’appelle Gérard Noiriel a écrit un livre, il s’est abaissé à lire les travaux de Zemmour en détails et qui les a critiqués. Il en résulte que ce sont des travaux qui sont à la fois simplistes, ignorants de la littérature d’analyse, qui vont citer des références complètement dépassées ou anachroniques et ce Zemmour est présenté, notamment dans les médias, comme un intellectuel.
Il n’empêche qu’au début du mois, un sondage l’a donné qualifié au deuxième tour derrière Emmanuel Macron. Il surfe sur quoi Eric Zemmour ?
Un sondage de quoi ? On ne peut pas parler d’intentions de vote en l’occurrence, on est à six mois de l’élection donc qu’est-ce que mesurent ces sondages à un moment où il n’y a pas de candidat à droite déclaré ? Aucune campagne n’est lancée donc les opinions ne sont pas mobilisées, ces sondages n’ont aucun sens.
RÉÉCOUTEZ – Eric Darras, directeur de Sciences Po Toulouse
Il surfe sur une vraie droitisation de la société ?
En 95, on annonçait Delors à cette époque-là, on annonçait Balladur pour la première fois gagnant au premier tour, un grand sondeur a annoncé ça à la télévision. En 2002, personne n’avait prédit que Jospin ne serait pas au deuxième tour.
Qui pourrait voter pour Eric Zemmour ? Quels profils ont ceux qui militent pour le polémiste ?
C’est vrai que le discours de Zemmour est bien reçu dans certaines fractions de l’électorat parce qu’il est déjà reçu. Il est reçu parce qu’il réussit en quelque sorte un grand écart absolument incroyable du côté de l’extrême droite puisqu’il est à la fois à la droite de Marine Le Pen, il a des propos qui sont ultra-sexistes, qui sont racistes, il a été condamné et puis il réussit aussi en tant que pseudo-intellectuel à convaincre la droite des indépendants plus Mariage pour tous, la droite plus diplômée, plus âgée, plus catholique intégriste.
Pourquoi tarde-t-il à se présenter ?
S’il faut en parler aujourd’hui, c’est parce qu’on passe de l’épiphénomène médiatique, au politique, d’où ma présente aujourd’hui. Donc aujourd’hui, les choses sont sérieuses, très sérieuses. Imaginez qu’il ne soit pas candidat à l’arrivée, c’est la moissonneuse-batteuse de l’extrême droite. On a là quelqu’un qui travaille à labourer le terrain sur des populations qui répugnent pour l’instant qu’elles soient de droite à voter Marine Le Pen.
Il peut ne pas être candidat ?
Il y a plusieurs difficultés. Il pourrait être inéligible du fait de ses saillies racistes. Il y a aussi une difficulté financière, il faut plusieurs millions même si un candidat comme Philippe Poutou n’a eu besoin que de 800.000 euros et ça, il a, de fait, des revenus des livres qu’il vend. Et puis l’autre limite, ce sont les 500 signatures, mais là-dessus, il y a des tas d’organisations politiques installées qui, pour lutter contre Marine Le Pen, vont faire en sorte qu’ils les aient donc ça, c’est pas un problème en soi.