L’extrême droite se sent pousser des ailes à Bordeaux
Numéro 26
Mercredi 8 novembre 2023
par LA RÉDACTION
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On les voit se multiplier sur les murs. Des tags racistes, antisémites, homophobes, découverts au matin sur les façades des mosquées, d’associations luttant pour les droits humains, ou sur des locaux de partis politiques. Et souvent, la même signature : “Action directe identitaire”.
À Bordeaux, depuis plusieurs mois, des groupuscules d’extrême droite frappent la nuit et attaquent des lieux symboliques de la ville, quand ils ne s’en prennent pas directement aux passants. Dernier en date, le local du PCF a été la cible de l’extrême droite, il y a une dizaine de jours.
Mais qui se cache derrière ce groupe ? Combien sont-ils, ces militants qui taguent des croix celtiques la nuit ? Dans cette newsletter spéciale, nous ferons le bilan d’un an et demi de violences de la part de l’extrême droite bordelaise, et le point sur le profil de ces jeunes militants.
On rembobine
Remontons un peu le temps. Dimanche 12 juin 2022, Bordeaux est en fête : des milliers de personnes célèbrent la Pride et dansent debout sur des chars au milieu de drapeaux arc-en-ciel. Alors que le cortège rejoint les quais, une dizaine d’hommes cagoulés montent sur le toit de la maison écocitoyenne et y déploient une banderole sur laquelle on peut lire : « Protégeons les enfants. Stop folie LGBT » en tendant le bras droit.
Quelques jours plus tard, dans la nuit du 24 au 25 juin, des habitants du quartier Saint-Michel sont réveillés en pleine nuit par des cris. Masqués, habillés en noir, des militants d’extrême droite tabassent des passants en scandant « On est chez nous ». Cris de singe, saluts nazis, agressions… Ce soir-là, en pleine rue, deux hommes seront gazés et frappés, une femme insultée. Et entre deux coups, un cri de ralliement : « Bordeaux nationaliste ».
Bordeaux nationaliste n’est pas un parti, ni une association : c’est un groupuscule, sans statut déposé, de militants regroupés autour de valeurs racistes et xénophobes. Apparu début 2019 sous ce nom, le groupe serait en réalité actif depuis 2016 et occupait un local appelé « Le Menhir ». Mais c’est véritablement à partir de l’été 2022 que les membres de Bordeaux nationaliste commencent à faire parler d’eux.
Une trentaine d’actes haineux en un an
Après la ratonnade de Saint-Michel, les militants se sentent pousser des ailes : fin novembre 2022, les militants de l’Association de solidarité avec tous les immigrés (Asti) se réveillent avec l’inscription « Qu’ils retournent en Afrique ! » sur leur devanture. En décembre, des membres du groupuscule font une irruption violente à l’université Bordeaux Montaigne, lors d’une conférence de deux élus France insoumise. Dans la nuit du 21 au 22 février, 2023, le groupuscule s’en prend au local des Hébergeurs solidaires, une association d’aide aux mineurs isolés. Quant au Planning familial, il est vandalisé trois fois au cours du mois de février.
Au total, on recense près d’une trentaine d’actes racistes, xénophobes ou haineux depuis novembre 2022 : SOS Racisme, mais aussi la Cimade, le Boulevard des Potes, le local d’un député LFI, ainsi que les mosquées de Pessac et de Saint-Michel font aussi partie des cibles de l’extrême droite. À chaque attaque, un prétexte politique en filigrane pour diffuser leurs idées nauséabondes : le meurtre de la petite Lola à Paris, l’attaque au couteau à Annecy, ou l’assassinat d’un professeur à Arras.
Après plusieurs mois d’impunité, l’État met un premier coup d’arrêt au groupuscule : en février 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonce la dissolution de Bordeaux nationaliste. Mais à peine dissous, le groupe est déjà reformé sous un autre nom : la Bastide bordelaise.
Stickers d’Hitler et « poings levés »
Qui sont ces militants de la Bastide bordelaise ? Au total, ils ne seraient pas plus d’une trentaine au sein du groupe. Et s’ils agissent cagoulés et de nuit, certains ont été forcés de montrer leur visage : en avril dernier, huit prévenus membres du groupe comparaissaient pour les violences commises à Saint-Michel l’année précédente. Sur le banc des accusés : des hommes célibataires, la vingtaine, insérés socialement, pour la plupart jamais condamnés. Ils sont moniteurs d’auto-école, apprentis mécanos, ouvriers dans le bâtiment.
À la barre, ils défilent un à un, et renvoient tous cette impression étrange de jeunes perdus qui n’assument rien. Chez plusieurs d’entre eux, lors de perquisitions, la police retrouvera des stickers à l’effigie d’Adolf Hitler et des affiches « Non au génocide européen ». Mais pour eux, pas question de s’affirmer raciste ou nazi. Si Sacha a rejoint Bordeaux nationaliste, c’est surtout pour « éviter la solitude ». Et les saluts nazis, filmés par des passants ? « C’est un poing levé, comme en manifestation », assure Fabien.
« Racaillisation » de la France
D’autres sont plus francs. Yanis, qui se place en tête de file du petit groupe, ne cache ni son visage, ni ses idées : reconnaissable par son tatouage, une croix chrétienne accompagnée d’une devise en latin, « si tu veux la paix, prépare la guerre », il apparaît souvent sur les vidéos de la Bastide bordelaise.
Chez lui, la police a retrouvé un couteau à cran d’arrêt, une bombe lacrymo et une batte de baseball, « pour se protéger ». Ulcéré par la « racaillisation de ce pays », Yanis a été recalé par la Légion étrangère avant de s’engager chez Génération Zemmour lors de la campagne présidentielle. C’est là où il a rencontré plusieurs des membres de ce qui sera la Bastide bordelaise.
Sept des huit prévenus ont été condamnés à deux ans de prison ferme dont un avec sursis pour la ratonnade de Saint-Michel, et purgent actuellement leur peine sous surveillance électronique. Une peine qui ne semble pas pour autant les empêcher de fêter leur anniversaire en grande pompe sur les quais de la ville.
Que fait la police ?
Si plusieurs membres du groupe ont été entendus et condamnés par la justice suite aux attaques de Saint-Michel et de la Pride, la plupart des tags restent eux impunis. Le maire Pierre Hurmic affirme qu’à chaque attaque, la ville porte plainte systématiquement aux côtés des victimes.
Alors, en attendant que les coupables soient condamnés, les associations, elles, se regroupent, et des collectifs se créent : c’est le cas de l’Organisation antifasciste bordelaise, qui organise des manifestations contre l’extrême droite et informe régulièrement sur les violences commises par la Bastide bordelaise.
Pour aller plus loin
📍L’extrême droite près de chez vous. Libération a récemment publié une carte interactive des groupuscules d’extrême droite. Un bon moyen de savoir où agissent les groupes, et quels sont leurs liens. Si le sujet vous intéresse, Libé a aussi lancé Frontal, une newsletter dédiée à l’extrême droite.
👊Aidez StreetPress à lutter contre l’extrême droite. Le média indépendant a lui aussi sa newsletter consacrée aux fachos, FAF. Aujourd’hui, StreetPress s’apprête à lancer une grande enquête participative sur l’extrême droite et a besoin de vous.
📺Chants antisémites et krav-maga. Déjà, en 2010, l’ombre de l’extrême droite planait sur la capitale girondine. Dans un reportage des Infiltrés diffusé sur France 2, on découvrait que de jeunes enfants entonnaient des chants antisémites dans une école privée de Bordeaux. Pour revoir l’émission complète, c’est ici.⚜️Le passé identitaire de Grégoire de Fournas. Vous vous souvenez sûrement de lui : l’an dernier, le député RN de Gironde s’était fait remarquer en lançant « Qu’ils retournent en Afrique ! » dans l’Hémicycle. Selon le site La Horde, rien d’étonnant : dans les années 2010, De Fournas était l’un des responsables du Bloc identitaire d’Aquitaine.