Le syndicat agricole majoritaire a obtenu de Gabriel Attal la mise sous tutelle de l’Office français de la biodiversité, et réclame toujours la fin de l’autonomie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur les pesticides.
2 février 2024 à 07h45
Ce ne sont que deux phrases à la fin d’une liste de revendications de la FNSEA. Pour la « simplification » : « placer l’action de l’OFB [l’Office français de la biodiversité] sous l’autorité des préfets et désarmer [ses] agents ». Pour la « compétitivité » : « placer l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] sous l’autorité politique ».
Le 26 janvier, parmi de multiples annonces – et notamment la fin de la hausse du gazole non routier agricole –, le premier ministre Gabriel Attal n’a retenu que l’une des deux, la reprise en main de l’OFB. « Il faut qu’on arrive à faire baisser la pression, a-t-il dit en visite à Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne). Désormais, l’OFB sera sous la tutelle du préfet, ce qui renforcera votre capacité à dire au préfet quand ça va ou quand ça ne va pas. » Puis il a ajouté : « Pour faire baisser la pression, faut-il vraiment être armé quand on contrôle une haie ? »
© Photomontage Mediapart
Cette déclaration a plongé les personnels de l’OFB, 3 000 agents et agentes environ, dans l’incompréhension. D’abord parce qu’ils sont loin d’être des électrons libres. Ils sont déjà sous la tutelle des préfets – délégués territoriaux de l’OFB – s’agissant des contrôles administratifs, et sous l’autorité des procureurs pour les volets judiciaires de leur mission. Ensuite parce que le nombre de contrôles visant les exploitant·es agricoles s’est élevé à 2 759 en 2023, soit 0,5 % de contrôlé·es – pour une population agricole de 500 000 personnes – dont 40 % seulement sont verbalisé·es.
Lors de sa conférence de presse à Matignon, jeudi 1er février, Gabriel Attal n’a pas précisé l’intention du gouvernement, affirmant seulement que « le travail » allait « se poursuivre sur l’OFB ».
« On ne comprend pas pourquoi le gouvernement a pris l’OFB pour cible pour désamorcer un conflit avec les agriculteurs, commente Pascal Wanhem, co-secrétaire du SNE-FSU. On fait beaucoup de pédagogie, beaucoup de rappels à l’ordre. Et on a bien d’autres missions, sur la faune sauvage, le contrôle de la chasse et de la pêche… C’est l’État qui a décidé de réduire l’utilisation de produits phyto, d’interdire d’épandre en cas de vent : on est chargés de faire respecter ces normes. C’est l’administration qui nous demande d’intervenir. »
Les négociations se poursuivent
Va-t-on laisser aux responsables des manquements la faculté de dire aux contrôleurs et contrôleuses « quand ça va et quand ça ne va pas » ? À partir de quelle ligne rouge ? Quels pouvoirs accrus seront donnés aux préfets ? Pour l’instant, aucune communication interne n’est venue préciser les contours de la nouvelle « tutelle du préfet ». « Ce point inquiète légitimement puisqu’on connaît la propension des préfectures à minorer les problématiques environnementales au profit des intérêts économiques industriels ou agricoles locaux, relève le SNE-FSU dans un communiqué. Cette relocalisation des décisions est rarement une plus-value pour le droit environnemental. »
Contacté par Mediapart, le service communication de l’OFB renvoie sur Matignon, qui renvoie sur le ministère de la transition écologique, lequel précise que les négociations se poursuivent à ce sujet. En fin de semaine, un communiqué de l’OFB rappelant qu’il ne se livre pas à un « ciblage en particulier des agriculteurs » a été trappé sur instruction de Matignon.
Sur X, le SNE-FSU a posté ironiquement un message d’« alerte enlèvement » au sujet du ministre Christophe Béchu. « Menacés, vilipendés, leurs services attaqués, les personnels OFB attendent depuis plus d’une semaine un mot, un soutien de leur ministre. Si vous l’apercevez, n’hésitez pas à lui faire part de la situation. Merci ! » Le ministre s’est rendu, mardi, sur le site de Vincennes, mais rien n’a filtré de sa visite.
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Mercredi soir, lors de ses vœux « aux forces vives de l’écologie et des territoires », il a encore soigneusement évité d’aborder le dossier de l’Office de la biodiversité. « Nous traversons une période politique où l’écologie risque gros », a-t-il reconnu, promettant de rester « très ferme » sur ses ambitions et ses convictions, mais « très souple et très pragmatique sur la façon de les atteindre [!] ». Christophe Béchu a eu un mot pour les agents du ministère « qui sont ciblés, menacés, intimidés depuis quelques jours ». « Nous sommes à leurs côtés […]. Et leur demander d’appliquer des textes trop lourds et des injonctions contradictoires, ce n’est pas leur rendre service. »
Lors de son intervention à la suite de Gabriel Attal, jeudi, il a seulement ajouté qu’il fallait, sur le dossier de l’OFB, « trouver une nouvelle manière de travailler » avec le monde agricole, prenant pour exemple la convention signée par la FNSEA avec le ministère de l’intérieur, en 2019.
On n’a jamais subi d’attaques aussi franches. On évite de sortir dans des voitures taguées OFB.
Pascal Wanhem, co-secrétaire du SNE-FSU
La discussion sur la « pression » exercée par l’OFB sur le monde agricole semble avoir galvanisé des manifestants qui s’en sont pris aux locaux de l’office dans différents départements. « On n’a jamais subi d’attaques aussi franches. On évite de sortir dans des voitures taguées OFB, et il y a un certain nombre de services qui conseillent de rester au bureau. On ne fait plus rien », poursuit Pascal Wanhem. « Pourtant, ce n’est pas marqué “Office de lutte contre les agriculteurs” !… », conclut-il.
« Le premier ministre a mis le feu aux poudres », abonde Benoît Pradal, secrétaire général du Snape-Force ouvrière à l’OFB, qui confirme que des atteintes de tous ordres – « des tentatives d’incendies, du fumier déversé, des tags menaçants… » – ont été constatées sur les sites de l’office au plan national.
« Aujourd’hui, on stigmatise l’OFB parce que la FNSEA le demande, estime le syndicaliste. Plusieurs parlementaires ont présenté des projets pour revenir aux deux offices [l’OFB résulte de la fusion en 2020 de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) – ndlr]. Alors que je n’ai pas l’impression que l’OFB ait été particulièrement décrié. On ne peut pas dire qu’on mette la pression aux agriculteurs. Quand il est question d’eau potable, des ressources en eau, les agriculteurs sont concernés. Sur la question du loup, c’est nous qui faisons le taf… »
L’interdiction d’épandre des herbicides sur des zones proches des cours d’eau – jusqu’à 5 mètres –, « c’est pour l’eau potable, la santé de la population et des agriculteurs eux-mêmes ».
La question du désarmement des agents de terrain, une revendication de la FNSEA à laquelle le premier ministre semble avoir été sensible, provoque aussi l’incompréhension des agent·es. « On n’a jamais vu un agent de l’OFB flinguer un agriculteur, poursuit Benoît Pradal. Par contre, il y a eu des agents qui se sont fait tuer par des exploitants. On fait de la police de l’environnement, et on ne sait jamais sur qui on tombe. On fait aussi la police de la chasse, et de ce fait, on contrôle beaucoup de gens armés. On a des protocoles très précis. Tout est encadré. »
Pour le syndicaliste, les griefs véhiculés par la FNSEA sur les entraves à la taille des haies ou les contrôles d’épandages de pesticides concernent avant tout « la grosse exploitation industrielle ». « Ça ne concerne pas les petits agriculteurs », relève-t-il. Les syndicalistes se déclarent par ailleurs solidaires du mouvement actuel.
Un notable de la FNSEA, le sénateur (Les Républicains) Laurent Duplomb, ex-président de la chambre d’agriculture de Haute-Loire et ancien administrateur du groupe laitier Sodiaal, a jugé le 24 janvier qu’il fallait avoir « le courage de revenir en arrière ». « Corriger les erreurs, c’est supprimer l’OFB », a-t-il tranché.
Faites taire, par des arbitrages favorables à l’agriculture, tous ces soldats verts du ministère de l’écologie punitive !
Laurent Duplomb, sénateur LR
« Faites rentrer et retenez vos tigres, qu’ils soient de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), de la direction départementale des territoires (DDT), de l’Office français de la biodiversité (OFB), de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), de l’inspection du travail ou de la police de l’eau, afin qu’ils mettent fin à cette pression insupportable ! », a rugi le sénateur, lors des questions au gouvernement.
« Faites taire, par des arbitrages favorables à l’agriculture, tous ces soldats verts du ministère de l’écologie punitive ! », a-t-il conclu.
« Il y a un décalage entre les situations de souffrance des agriculteurs et les revendications nationales de la FNSEA, constate l’ancienne ministre de l’écologie et députée (Génération écologie) Delphine Batho. Pour esquiver les exigences sur le revenu agricole et les accords internationaux, le gouvernement tente de faire de ce mouvement un mouvement anti-écologie. Avec la bénédiction des promoteurs de l’agrochimie. »
Désarmer l’Anses
En parfait lobbyiste, le sénateur Duplomb a aussi été l’artisan d’une proposition de loi, dite « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France »,adoptée par le Sénat, le 16 mai 2023, mais restée depuis lettre morte, visant entre autres à restreindre l’autonomie de l’Anses. L’article 13 de cette proposition prévoyait que « le ministre chargé de l’agriculture peut, par arrêté motivé, suspendre une décision du directeur général [de l’Anses] après avoir réalisé une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un autre État membre de l’Union européenne, et évalué l’efficience de solutions alternatives ».
En février 2023, toute la sphère agro-industrielle a d’ailleurs enfourché ce cheval de bataille après la décision de l’Anses de procéder au retrait de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) d’herbicides à base de S-métolachlore après des analyses de la contamination de différents types d’eau par cette substance en France (eaux de surface, souterraines ou de robinet destinées à la consommation). Une molécule que l’Agence européenne des produits chimique (Echa) a proposé de classer comme cancérogène probable en juin 2022.
Le 30 mars, lors du congrès de la FNSEA, la présidente sortante Christiane Lambert a interpellé à ce sujet le ministre de l’agriculture Marc Fesneau afin qu’il redonne« tout son poids à la décision politique ». Pour désarmer l’Anses. « Un avis de l’Anses est un avis scientifique. L’analyse bénéfice/risque au regard de la souveraineté alimentaire revient au ministre : c’est à vous qu’il revient de préserver nos capacités de production », l’a-t-elle intimé.
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Et le ministre s’était incliné, en annonçant qu’il avait demandé à l’Anses « une réévaluation de sa décision » sur le S-métolachlore. « Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence », avait-il assuré.
En novembre, lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire sur les pesticides, sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, Marc Fesneau a corrigé le tir en affirmant vouloir préserver les missions actuelles de l’Anses.
Loin de revenir en arrière, la FNSEA, de son côté, va désormais un peu plus loin aujourd’hui dans sa liste de revendications en réclamant de placer l’agence « sous l’autorité politique ».
« C’est incroyable qu’une structure comme la FNSEA qui défend des intérêts sectoriels se permette de remettre en cause l’autonomie d’une agence qui a pour mission la santé publique et la protection des consommateurs, commente l’épidémiologiste Serge Hercberg, ancien président du Programme national nutrition santé (PNNS). Il y a un côté décomplexé. Auparavant, ce genre de revendication se faisait de façon souterraine, mais aujourd’hui on n’est plus gêné de l’exprimer publiquement. Et cela n’entraîne pas de réactions, alors que c’est inacceptable. »
Boîte noire
Contactée, la FNSEA n’a pas donné suite à nos sollicitations.