Alors que 12 familles et une soixantaine de personnes seules demeurant dans l’ancienne maison de retraite de Gradignan sont toujours en attente de relogement, leur collectif de soutien demande à la mairie de Bordeaux, propriétaire du site, et à la préfecture de la Gironde de surseoir à l’expulsion imminente du squat. Refus de ces dernières, qui promettent toutefois des solutions d’hébergement pour tous les occupants. Le Département aurait également demandé le concours de la force publique pour évacuer le Kabako, squat de Bordeaux où vivent 22 mineurs non accompagnés en recours.
L’avenir est plus sombre que jamais pour l’Eclaircie et La vie est belle. Une centaine de personnes, dont 12 familles avec 25 enfants, devraient quitter dans les tout prochains jours, peut-être dès demain, ces deux squats. Ils sont situés dans une ancienne maison de retraite de Gradignan appartenant au CCAS (centre communal d’action sociale) de Bordeaux.
Lors d’un point presse tenu ce mardi devant la préfecture de la Gironde, le collectif d’associations (Médecins du monde, RESF33, Droit au logement…) qui soutient les occupants, demande de sursoir à l’expulsion afin d’éviter un « scénario catastrophe » tel que celui de la Zone Libre. Les centaines d’occupants du squat de Cenon avaient été réveillés au petit matin par la police, avant d’être dispersés aux quatre coins de la région, et sont pour beaucoup à nouveau à la rue.
12 familles sans solution
A Gradignan, les soutiens de l’Éclaircie avaient donc « dans un premier temps demandé le relogement avant expulsion de toutes les familles », précise Brigitte Lopez, de RESF33 (réseau éducation sans frontière) :
« La mairie de Bordeaux s’était engagée à reloger toutes celles domiciliées dans son CCAS [la domiciliation peut différer du lieu de résidence, NDLR]. 11 familles ont ainsi obtenu un hébergement sur la commune centre de la métropole. En revanche, 12 familles restent à ce stade sans solution. »
5 d’entre elles sont domiciliées à Mérignac, 3 à Gradignan, une à Villenave d’Ornon, une à Pessac et une à Eysines, des communes où sont souvent scolarisés leurs enfants. Contactés par le collectif, seuls les maires de Mérignac et Gradignan ont répondu, indiquant qu’ils ne logeraient pas ces familles.
« Nous avons écrit à Alain Anziani en tant que président de Bordeaux Métropole pour lui demander de reloger ces personnes, dans la mesure où le parc immobilier vacant de la métropole et de ses 28 communes permettrait largement de le faire, affirme Brigitte Lopez. Nous avons aussi envoyé un courrier au maire de Bordeaux pour lui demander de surseoir à l’expulsion et de retirer sa demande de recours à la force publique. Enfin nous demandons à la préfecture de ne pas procéder à cette évacuation qui se soldera par de nouvelles personnes à la rue. »
Une évacuation avant le 12 juillet
A Rue89 Bordeaux, Harmonie Lecerf, adjointe de Pierre Hurmic chargée de l’accès aux droits et des solidarités, confirme toutefois que l’expulsion aura bien lieu. Celle-ci devrait intervenir entre le 7 et le 12 juillet, soit entre le premier jour des vacances et le démarrage d’un diagnostic amiante, préalable à la démolition des bâtiments par la FAB (fabrique de Bordeaux Métropole, en charge du programme 50000 logements), qui doit y construire un groupe scolaire.
« Les travaux vont commencer et on ne peut pas faire des trous dans les murs pour aller chercher de l’amiante avec des enfants à côté, affirme l’élue. Mais la préfecture nous dit qu’elle a des solutions pérennes à proposer à toutes les familles ».
Les services de l’État assurent également à Rue89 Bordeaux qu’un diagnostic social a été établi et qu’une proposition sera faite « à chacune des personnes évacuées le jour même », sans préciser la date de l’expulsion.
« Cenon a marqué tous les esprits et nous travaillons depuis des semaines en bonne collaboration avec la préfecture, qui a la compétence de l’hébergement d’urgence, reprend Harmonie Lecerf. Nous le faisons aussi car on pense que c’est une nécessité. Mais tout le monde ne partage pas notre position volontariste, et nous le déplorons. La préfecture ne pourra pas tout faire, il va falloir que les autres maires s’y mettent. »
« Pas à la hauteur » face aux squats et bidonvilles
Mais pour Morgan Garcia, de Médecins du Monde, cet immobilisme n’est pas surprenant :
« Les mairies ne relogent pas car c’est en partie du ressort de l’État, pas des municipalités. L’Éclaircie n’est qu’un des 150 squats de Gironde, qui détient le record de France, loin devant la Seine-Saint-Denis ou le Pas-de-Calais, car il n’y a ici aucune stratégie de résorption des squats et bidonvilles. La circulaire gouvernementale du 25 janvier 2018 en ce sens n’est pas appliquée, et le bilan est catastrophique. Reste que les municipalités ont du patrimoine vacant, et la possibilité de l’utiliser, comme l’ont fait Grande-Synthe ou Montpellier. Bordeaux le fait un peu, mais pas à la hauteur de l’enjeu et de ses moyens. »
Jointe par nos soins, Bordeaux Métropole n’a pour sa part pas indiqué quelle réponse avait été apportée au collectif de soutien des squats de Gradignan. Quant au projet de ZAC de Gradignan, porté par la FAB, et dans lequel s’inscrit le programme de groupe scolaire sur le site du CCAS de Bordeaux, l’intercommunalité n’a pas l’intention de revenir dessus, pas plus que la mairie de Bordeaux.
« Ce projet est travaillé depuis 10 ans, une déclaration d’utilité publique (DUP) a été signée, nous sommes arrivés l’année dernière et n’avons pas la main dessus, rappelle Harmonie Lecerf. Les dés sont jetés. Mais l’argent de la vente du site sera réinvesti pour reconstruire des logements sociaux de la Cité jardin, qui n’étaient plus entretenus depuis des années dans l’attente de l’évolution de la ZAC. »
Quant à savoir si d’anciens résidents de l’Éclaircie pourraient un jour y vivre, c’est une autre affaire. D’ici là, Bordeaux n’est pas à l’abri d’une crise de l’hébergement telle qu’elle en a connu à l’été 2019.
Le Kabako bientôt à la rue ?
Les 22 mineurs non accompagnés en recours, qui habitent ce squat de la rue Camille-Godard à Bordeaux, devraient également être expulsés cette semaine, indique ce mardi le Collectif du Kabako. « Pour le moment aucune solution d’hébergement ne leur a été proposée, le Département ne nous a pas contactés pour un quelconque diagnostic social », selon ce dernier, qui affirme que le recours à la force publique a été demandé.
« A peine une semaine après sa réélection en tant que Président du conseil départemental, la première action de Jean-Luc Gleyze sera donc de jeter à la rue au moins 22 mineurs en exil. Comble du cynisme et de l’inhumanité, plusieurs mineurs en recours auprès du juge des enfants qui étaient jusqu’alors hébergés, à titre exceptionnel, dans des structures dépendant de la protection de l’enfance vont être mis à la rue par le Département ce mardi 6 juillet. Ils n’auront donc d’autre solution que de trouver refuge temporairement au Kabako. »
Pour le collectif, « le Département de la Gironde qui est à la fois propriétaire du bâtiment et responsable de la protection de l’enfance doit proposer immédiatement une solution de logement pérenne pour l’ensemble des habitants du Kabako » et « s’engager à protéger l’ensemble des mineurs en exil, du début à la fin de leur procédure ». Le Département n’a pas donné suite à nos sollicitations.