Clément Bouynet

Les détenus avaient creusé un tunnel d’une quinzaine de mètres. Mal préparée, l’évasion a tourné court et tous les fugitifs ont été rattrapés au bout de quelques jours. Ils seront libérés après les accords d’Évian. L’histoire est rocambolesque. Elle semble aujourd’hui invraisemblable. Elle nous rappelle surtout que des centaines de militants du Mouvement national algérien (MNA) étaient détenues en plein milieu du Périgord. L’espace de quelques jours, en novembre 1961, des cohortes de policiers et de gendarmes ont ratissé le moindre taillis de châtaigniers à la recherche de 39 prisonniers politiques, évadés du camp Nord de Mauzac, à Sauvebœuf.

Jour J

Le camp à l’époque de l’évasion.

Le modus operandi rappelle celui utilisé par les 203 alliés captifs du Stalag Luft III, pendant la Seconde Guerre mondiale, le 23 mars 1944, et immortalisé en 1963 par John Sturges dans « La Grande Évasion ». Dans le film au casting cinq étoiles (Steve McQueen, Charles Bronson, Richard Attenborough), on suit les prisonniers creusant patiemment un tunnel principal, baptisé Harry. L’ouvrage se fait de nuit, pour ne pas éveiller l’attention des gardes.

Il ne reste plus grand-chose du camp Nord.

Il ne reste plus grand-chose du camp Nord. Clément Bouynet

Bis repetita à Mauzac. « La terre était meuble à cet endroit-là. Ils n’ont même pas eu besoin d’étayer le tunnel », insiste Jacky Tronel, historien du camp et spécialiste de la question pénitentiaire. L’article de « Sud Ouest », écrit le lendemain des faits, le confirme : « Les détenus n’ont eu qu’à déclouer quelques lames de plancher et à creuser, à l’aide de morceaux de bois semble-t-il, le boyau souterrain qui les menait vers la liberté. La terre de déblai dissimulée sous le plancher, il ne leur restait plus, le jour venu, qu’à reclouer les planches. »

Le baraquement n’avait pas été conçu pour abriter des prisonniers, en raison de sa proximité avec les grilles d’enceinte

« Sud Ouest », le 7 novembre 1961

Un gendarme montre le tunnel au départ du baraquement.

Un gendarme montre le tunnel au départ du baraquement. Archives départementales de la Dordogne

La date de l’évasion est fixée à la nuit du dimanche 5 au lundi 6 novembre. Les prisonniers s’infiltrent alors un à un par la tranchée large d’une soixantaine de centimètres et longue d’une vingtaine de mètres. Une évasion audacieuse, mais moins risquée qu’il n’y paraît. « Le baraquement n’avait pas été conçu pour abriter des prisonniers, en raison de sa proximité avec les grilles d’enceinte », rappelle l’article d’époque.

Les forces de l’ordre dans le fossé dans lequel finissait le tunnel, le lendemain de l’évasion.

Les forces de l’ordre dans le fossé dans lequel finissait le tunnel, le lendemain de l’évasion. Archives départementales de la Dordogne

Jacky Tronel dans le fossé par lequel les 39 prisonniers ont pris la fuite. Derrière, on aperçoit l’église de Sauvebœuf et le croisement entre la route Bergerac/Le Bugue et la route de Mauzac.

Jacky Tronel dans le fossé par lequel les 39 prisonniers ont pris la fuite. Derrière, on aperçoit l’église de Sauvebœuf et le croisement entre la route Bergerac/Le Bugue et la route de Mauzac. Clément Bouynet

Une prison inadaptée

Un seul bâtiment d’époque est encore visible, à côté de l’actuelle déchetterie.

Une autre évasion a marqué l’histoire des camps de Mauzac. Elle a eu lieu dans la nuit du 15 au 16 juillet 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale. 11 agents secrets français et britanniques du Special operations executive (SOE), arrêtés en octobre 1941, ainsi qu’un gardien, sont parvenus à s’enfuir. Il s’agissait de Georges Bégué, Jean Bouguennec, Jack Hayes, Clément Jumeau, Georges Langelaan, Jean Le Harivel, Philippe Liewer, Robert Lyon, Raymond Roche, Michel Trotobas, le gardien Sevilla et Jean Pierre-Bloch. Ce dernier est devenu bien plus tard président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Un téléfilm de Jean Kechbron, diffusé en 1970, relate l’aventure de ces héros de la Résistance : “Adieu Mauzac”.

Jacky Tronel dresse un rapide historique des lieux : « Ce qu’on appelle le camp Nord de Mauzac a été bâti dans le cadre d’un projet de poudrerie annexe à celle de Bergerac. Il a servi ensuite de prison militaire pendant la guerre, puis de prison pendant l’épuration. On y a ensuite installé les femmes condamnées, puis les relégués (anciens bagnards). Les premiers prisonniers du MNA arrivent le 3 janvier 1961. »

Face au nombre important et fluctuant de ces captifs, décision est prise d’utiliser ces dortoirs peu adaptés à l’univers carcéral. « Le système de surveillance était basique : gardes, clôtures barbelées, miradors », liste Jacky Tronel. Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de cet ancien camp qui finit par accueillir, après les accords d’Évian signés le 18 mars 1962, des objecteurs de conscience. Depuis, une déchetterie y a pris place et d’autres bâtiments sont sortis de terre. Seule une baraque est encore debout et permet d’imaginer dans quel cadre évoluaient les militants du MNA.

Jacky Tronel insiste sur les failles de la sécurité, mises en avant par l’enquête interne : « Les agents de surveillance, se heurtant à l’hostilité des condamnés, ne pénétraient que rarement dans les baraques dortoirs et pratiquement jamais dans les salles de classe et de prière lorsqu’elles étaient occupées. »

Les prisonniers se sont évadés depuis le dortoir le plus proche de la route.

Les prisonniers se sont évadés depuis le dortoir le plus proche de la route. Archives départementales de la Dordogne

L’évasion tourne court

Le lendemain de l’évasion, le photographe Michel Le Collen avait survolé le camp à bord de l’avion « Sud Ouest ».

Le jour n’est pas encore levé lorsque les premiers fuyards quittent le camp. Ce n’est qu’au petit matin que les gardiens vont s’apercevoir que la totalité du baraquement, soit 36 prisonniers et trois venus d’un autre bâtiment, a pris la poudre d’escampette. Ils découvrent le trou dans le plancher et l’amas de terre à la sortie du tunnel. Et ensuite plus rien, comme précisé dans l’article d’époque : « En fait de preuves matérielles de leur passage, on a juste retrouvé, sur la voie ferrée, une boîte d’allumettes contenant des lames de rasoir. »

« Ils se retrouvent alors en pleine pampa périgourdine. On s’apercevra après qu’ils n’avaient quasiment aucun appui extérieur », constate Jacky Tronel. C’est le sentiment aussi de Djamel Zaoui, réalisateur de plusieurs documentaires sur la guerre d’Algérie : « Cette idée d’évasion a dû germer à l’intérieur du camp. » Le camouflet est considérable pour l’administration pénitentiaire française. Ce fait divers fait les gros titres et la dimension politique de l’affaire attise les critiques. « Il est étonnant de voir comment la presse avait traité l’évasion à l’époque. On présente les fuyards comme de dangereux criminels, de véritables maquisards. Ils seront tous arrêtés au bout de quelques jours », taquine Jacky Tronel.

La faim et le froid sont les meilleurs alliés des forces de l’ordre. Six Algériens en cavale sont ainsi appréhendés près de Cendrieux : « Mardi, trempés par la pluie de la journée, ils commirent l’imprudence d’allumer un petit feu, autant pour se réchauffer que pour se sécher. L’épouse d’un cultivateur eut l’attention attirée par ce point lumineux et avisa la gendarmerie », relate « Sud Ouest » le 9 novembre.

« Lutte à mort »

Les évadés s’étaient évanouis dans toutes les directions.

Le 10 novembre, le dernier fuyard est arrêté en gare de Limoges. Le groupe ne peut pas regagner les geôles mauzacoises d’où il s’est évadé. Il y a bien d’autres indépendantistes algériens incarcérés en Dordogne à l’époque, à Périgueux. Mais il y a un hic. Ils sont tous d’obédience Front de libération nationale (FLN), faction adverse du MNA. « Leurs choix politiques étaient opposés. Les partisans de Messali Hadj, les messalistes, soutenaient le MNA dans cette guerre de pouvoir. C’était une lutte à mort entre les deux camps », décrit Djamel Zaoui.

La liste des 39 prisonniers évadés.

La liste des 39 prisonniers évadés. Archives départementales de la Dordogne

Aussi, ceux qui sont restés à Mauzac plaident pour leur retour. Le 3 janvier 1962, une partie des détenus se lance dans une grève des soins, suivie le 23 janvier d’une grève de la faim. Au sein de l’administration pénitentiaire, c’est la panique. Garde des Sceaux, préfet et directeur de la prison s’écrivent quotidiennement via des télégrammes ou des missives confidentielles. « La situation peut rapidement devenir dramatique », énonce l’une d’elles. « C’est une guerre d’usure », insiste une autre. « Cette population pénale nord-africaine est exigeante », abonde une troisième.

La ville de Bergerac est insuffisamment gardée la nuit, ce qui laisse le champ libre aux agitateurs.

Sous-préfet de Bergerac, janvier 1962

Le sous-préfet, lui, insiste sur le déploiement de forces de l’ordre suite à l’évasion et aux différentes grèves. « La ville de Bergerac est insuffisamment gardée la nuit, ce qui laisse le champ libre aux agitateurs. » Les autorités décident d’accéder aux revendications des prisonniers. Les « 39 » sont autorisés à retrouver Mauzac et leurs camarades du MNA. Cet hiver rigoureux sera leur dernier à Mauzac.

Libérés

Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962.

Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, mettent un terme à la guerre d’Algérie. Les prisonniers politiques sont libérés. « Leurs crimes allaient de l’assassinat à la distribution de tracts », liste Djamel Zaoui. Aujourd’hui, il reste peu de survivants des « 39 ».

Dans le cadre d’un reportage, le réalisateur avait eu l’occasion de rencontrer l’un d’entre eux, le détenu 3 044 : « C’est difficile de suivre leur trace après leur libération. La plupart avaient donné un faux nom à l’administration. » À peine les détenus algériens partis, les objecteurs prennent leur place dans les geôles mauzacoises.

Jamais telle évasion ne s’est reproduite depuis.

06/12/1960

Décision est prise de regrouper les condamnés du MNA

5/11/1961

Évasion de 39 détenus politiques

10/11/1961

Le dernier détenu est arrêté à la gare de Limoges

3/01/1962

Début d’une grève des soins de la part des détenus politiques

23/01/1962

Début d’une grève de la faim pour les détenus politiques

6/02/1962

Fin des grèves de la faim et de soins

18/03/1962

Signature des accords d’Évian et libération des prisonniers

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