Pour Mario Rigo, le frioulan « le sang est italien mais le cœur est français. » Le parcours de sa famille est typique de cet exil lié à la misère de l’entre-deux-guerres au Nord de L’Italie. Les campagnes françaises vidées de leur main d’œuvre par la boucherie de 14/18 avaient besoin de bras, courageux, pas chers pour travailler la terre. Le père de Mario, Marco,  « mort d’usure à 85 ans » fut de ceux-là. Aujourd’hui, Mario termine sa vie en cultivant son beau jardin en bordure de la bastide de Créon. 

Mario Rigo (JF Meekel)

Un jardin à Créon me sert de boussole depuis des années. L’observation régulière de l’avancée des plantations m’évite des impatiences inutiles et des gelées d’avant la fin des saints de glace. Des années que j’admire le courage d’un vieil homme qui « fait » son potager depuis son déambulateur. J’ignorais tout de lui et notamment son âge. Mario Rigo est né en 1925, il a « 92 ans depuis le 11 avril, sans la tva » dit-il en souriant. Lieu de naissance : un petit village proche de la frontière autrichienne dans le Frioul, province de Pordenone. Mario est le plus jeune d’une fratrie de 8 enfants, 3 filles et 5 garçons. C’est la misère alors dans cet entre-deux guerres. Marco, le père, menuisier la nuit, travaille la terre des autres le jour pour nourrir sa grande famille. En 1927, « la misère et pas la politique » dit Mario a poussé son père à rejoindre un de ses frères installé à Saint-Géraud, en Lot et Garonne à la limite de la Gironde. Toujours deux métiers et deux misères pour Marco, la terre des autres, celle d’un Espagnol le jour et la menuiserie la nuit chez un artisan italien de Monségur. En 31 ou 32, Mario hésite sur les dates, la famille, à l’exception de deux des sœurs, fait le grand voyage : trois jours en train, une journée entière bloquée entre Vintimille et Menton pour les vaccinations et puis l’arrivée en gare de Marmande, la charrette tirée par deux vaches pour finir les 20 kms, le taudis où ils vont s’entasser pendant deux à trois ans. « Quand il pleuvait, l’eau coulait dans la chambre, on n’avait pas l’eau courante mais on avait l’eau courant sur le carrelage. » Jusqu’au jour où le médecin de Saint-Martin-de-Lerm en Gironde, « un brave homme » les sort de là et les accueille dans une métairie où ils restent 4 ans avant de s’installer à Camiac au cœur de l’Entre-deux-Mers puis à la Sauve, toujours au soin des animaux ou des cultures. Les ainés ont grandi, pris leur envol ; qui maçon, qui à la terre chez sa jeune épouse.

Chauffeur de car pour la Citram pendant 29 ans

La guerre les cueille à La Sauve, le Château La Renardière verra passer pas mal de maquisards, et d’évadés du camp de Souge refugiés là en attendant de franchir la zone de démarcation. « Un de mes frères en a mené un sur le cadre de son vélo jusqu’à la Réole, pour prendre le train, il a passé la ligne de démarcation avec. » Mario trop jeune passa à travers les gouttes mais l’un de ses frères fut déporté, un autre envoyé sur le front en Alsace, un 3ème resta à Xaintrailles, la caserne de Bordeaux. « On a même nourri les gendarmes de Créon, à la propriété, on faisait des légumes et de tout. On en a vu du monde à la recherche de nourriture pendant la guerre, on aurait pu devenir riche mais mon père a dit non, il n’a pas voulu exploiter les autres. » Mario a fait de tout, employé dans les chais, rechapage de pneus, charbonnier, puis il est rentré à la Citram où il fut chauffeur de car pendant 29 ans. De quoi satisfaire son goût du mouvement : France mais aussi Autriche, Allemagne, et bien sûr l’Italie. « Il me fallait sortir même quand j’avais de la terre, le tracteur, c’était mon outil, je restais des journées entières sur le tracteur, il me fallait quelque chose qui fasse du bruit… » A Venise, le chauffeur laissait ses touristes en plan pendant 48 h et devenait à son tour touriste et partait, en car, visiter les lieux de son enfance. 

Le frioulan si proche du patois du sud-ouest, premier moyen de communication

« Mon sang est italien mais mon cœur est français » assure Mario Rigo. Pourtant côté cœur c’est une italienne née à Pessac qui va partager sa vie, ils se rencontrent dans la communauté et découvrent que sa famille, les Berdato, vient du même village frioulan que la sienne. Le monde est petit tout à coup. Un garçon et deux filles viendront enrichir le couple, 5 petits-enfants composent aujourd’hui la 4ème génération. La belle langue italienne, il la parle peu avec son épouse, le frioulan, quelquefois, cette langue vernaculaire pas si différente du « patois » du Sud-Ouest qui leur a permis de communiquer avec leurs voisins lors de leur arrivée en France. Ses enfants comprennent l’italien mais ne le parlent pas même s’ils restent attachés à ce pays des ancêtres qu’ils visitent à l’occasion. Lorsque l’heure de la retraite a sonné en 1982, Mario Rigo comme beaucoup de ces gens qui ont passé leur vie à travailler ne sait plus quoi faire de ces jours. En hommage à son père, « mort d’usure à 85 ans », il se met à son tour à travailler le bois. « J’ai fait pas mal de choses même si j’ai mis du temps pour apprendre. Dommage que mon père n’était plus là, il aurait été content de voir ce que j’arrivais à faire. »  Puis survint la maladie, « j’étais une loque, j’avais 8 de tension », C’est sur sa seule volonté, son énergie et sans doute son fameux besoin de mouvement qu’il trouve la force de se dresser sur ses jambes raides et avec les moyens du bord, déambulateur renforcé, de « faire » son jardin potager, celui qui me sert de repère temporel. Même le bruit s’y invite car il arrive à se servir de son motoculteur. « Le jardin m’a guéri et le jardin m’enterrera. » conclut-il.

                                       Jean-François Meekel        

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