Photo © Carole Lemee – carnets ethnographiques
Le monde de la déportation et l’Afmd 33 est en deuil. L’ancien déporté résistant Guy Châtaignier, camp d’Orianenbiurg-Sachsenhausen, nous a quittés au petit matin. Presque centenaire, il était l’une des grandes figures du monde de la déportation, pas seulement localement. Guy avait une stature à tout point de vue impressionnante, une personnalité et une force incroyable. Il était comme notre chêne. J’avais commencé mes terrains ethnographiques en milieu scolaire avec des déportés avec lui, avec Germaine Bonnafon, avec Émile Soulu et Henri Pages au tout début des années 90. J’ai sillonné la Gironde en tout sens avec eux pour le concours national de la Résistance et de la Déportation. Ils étaient mes aînés et amis. Dans les années 2000, Guy fut l’un des protagonistes de l’oratorio dont j’avais écrit le livret en yiddish puis traduit en français “La voix de la mémoire. Paroles de déportés” donné en première mondiale à l’opéra de Bordeaux en 2005. Il était aussi l’un des déportés que mes étudiants affectionnaient tout particulièrement de rencontrer quand j’organisais des séances de rencontres en amphi. La force, la présence, l’élocution et le caractère de Guy les scotchaient. Au point qu’il fallait leur dire qu’on devait fermer l’amphi à 20h… (avec des séances qui commençaient à 14h…). Guy c’était une voix puissante et posée, mais des coups de tonnerre aussi quand il fallait s’élever contre quelque chose. Guy était cet homme qui, aux côtés de Germaine Bonnafon, venait toiser quasi quotidiennement Papon durant son procès, assis au premier rang sur la travée de gauche. Comme un lion il fixait de sa tête bien droite et altière Papon, il le défiait il ne le quittait pas des yeux comme dans une sorte de combat de regard au corps à corps – et cela vous ne le verrez pas dans le film du procès… -, c’était d’une densité incroyable. Guy m’appelait “fille”, j’avais partagé mon quotidien du procès Papon avec lui aussi, et à la pause ou à la suspension des audiences, il me disait “bon alors fille, tu en as pensé quoi ?” etc. Mais Guy, c’était aussi toutes les commémorations de Mérignac, et quand il le pouvait encore, c’est lui qui tous les ans lisait, devant le Monument aux morts, le message des déportés lors de la Journée nationale en mémoire des déportés. J’avais pris cette photo de lui pendant sa lecture en avril 1999 du message des déportés. Guy, tu resteras toujours dans nos mémoires et tu camperas toujours en chacun de nous pour ferrailler et faire respecter les valeurs que nous défendons
Carole Lemée ( Anthropologue, Chargée d’enseignement, Université bordeaux; UMR 5319)