Ce drame est une nouvelle illustration du chaos sécuritaire dans lequel est plongé Haïti, englué dans une crise profonde, six mois après l’assassinat du président Jovenel Moïse.
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La violence s’enracine sans fin en Haïti. Deux journalistes haïtiens ont été tués, jeudi 6 janvier, par un gang, en périphérie de la capitale Port-au-Prince, six mois après l’assassinat du président Jovenel Moïse.
Wilguens Louissaint et Amady John Wesley ont été pris dans une fusillade dans une zone sous contrôle de bandes armées, a précisé à l’Agence France-Presse (AFP) l’employeur du second, Radio Ecoute FM, un média en ligne basé à Montréal, où vit une large communauté haïtienne. Un troisième journaliste qui les accompagnait lors de leur reportage, portant sur « le climat sécuritaire de la zone », a pu s’enfuir, selon la même source.
« Nous condamnons avec la dernière rigueur cet acte criminel et barbare », a réagi Francky Attis, directeur général de Radio Ecoute FM, qui dénonce également « une atteinte grave » aux droits « des journalistes d’exercer leur profession librement dans le pays ». Le média en ligne a demandé, jeudi soir dans un communiqué, aux autorités haïtiennes de « prendre leurs responsabilités en vue de créer des conditions sécuritaires favorables à toutes et à tous ».
Une crise politique endémique
Haïti est, depuis des mois, sous la coupe de gangs dont l’emprise s’est largement étendue au-delà des quartiers défavorisés de Port-au-Prince. La zone de Laboule 12, où les trois journalistes s’étaient rendus jeudi, fait l’objet d’intenses combats entre plusieurs bandes armées qui veulent s’en assurer le contrôle. Le chemin qui la traverse est l’unique voie terrestre alternative pour rejoindre la moitié sud du pays, faute de pouvoir emprunter la route nationale totalement contrôlée, depuis juin, par l’un des plus puissants gangs d’Haïti.
La crise politique endémique dans ce pays pauvre des Caraïbes, encore aggravée par l’assassinat du président Jovenel Moïse il y a six mois, n’a fait que détériorer la situation sécuritaire.
Le premier ministre haïtien, Ariel Henry, qui assure les affaires courantes depuis l’assassinat du président Moïse, a déclaré avoir été visé par une tentative d’assassinat, samedi 1er janvier, lors des célébrations de la fête nationale aux Gonaïves.
Une police sous-équipée
Au moins 950 enlèvements ont été recensés en Haïti en 2021, selon le Centre d’analyse et de recherche en droits humains, organisation basée à Port-au-Prince. Sous-équipée face à des groupes criminels disposant d’un arsenal de guerre, la police haïtienne n’a pas organisé d’opérations d’ampleur contre les gangs depuis mars 2021.
Le 12 mars 2021, les forces de l’ordre avaient tenté d’intervenir dans un quartier de la capitale connu pour être utilisé par un gang comme lieu de séquestration de personnes enlevées. Quatre policiers avaient alors été tués, et leurs corps et du matériel n’avaient jamais pu être récupérés.
L’impunité dont jouissent les membres des gangs révèle également la très grande faiblesse du système judiciaire haïtien, dont les enquêtes n’aboutissent qu’en de très rares occasions. Emblématique, le cas de l’assassinat, en avril 2000, du plus célèbre journaliste haïtien de l’époque, Jean Dominique, n’a toujours pas été résolu. En juin 2021, le journaliste Diego Charles a été tué en pleine nuit auprès d’une militante politique d’opposition et de treize autres personnes : les auteurs de la fusillade, au cœur de Port-au-Prince, n’ont pas encore été identifiés par les forces de l’ordre.
Le photojournaliste Vladjimir Legagneur n’est, lui, jamais revenu d’un reportage en mars 2018 dans le quartier pauvre de Martissant, dans le sud de la capitale, aujourd’hui entièrement contrôlé par les gangs. La police n’a toujours pas publié les résultats d’un test ADN qu’elle avait annoncé réaliser quelques jours après sa disparition. Les enquêtes sur deux autres meurtres de journalistes, en juin et en octobre 2019, n’ont pas non plus abouti à ce jour.
Le Monde avec AFP