En janvier, deux « espaces temporaires d’insertion » seront installés à Bègles et Mérignac, et accueilleront plusieurs dizaines d’occupants. Bordeaux Métropole, qui porte l’initiative, souhaite ainsi résorber une partie des nombreux squats et bidonvilles implantés sur son territoire, tout en favorisant l’intégration de familles Roms.
Nasko Nikolov a 50 piges. Ce Rom bulgare traîne un visage marqué par les épreuves de la vie. Depuis trois ans, il vit illégalement, avec son épouse, dans un squat situé à l’angle de la rue de la Moulinatte et du quai Wilson, à Bègles, à deux pas de l’A631.
La trentaine de personnes y cohabite sous des hangars, dans des conditions forcément difficiles. Les baraquements sont précaires et insalubres. Avec seulement une douche et une toilette, l’accès à l’eau potable ayant été garanti par la Ville de Bègles en lien avec Bordeaux Métropole. À ses côtés, sa femme touche son nez pour expliquer qu’elle attrape le rhume, en allant simplement se laver.
« La plupart des occupants travaillent. Ils sont domiciliés à Bègles et les enfants sont scolarisés », précise Amélie Cohen-Langlais, adjointe au Maire de Bègles, Chargée des Solidarités, de l’Habitat, de la Politique alimentaire et des Anciens combattants.
« Vivre normalement » en France
Le couple Nikolov a quitté la Bulgarie en bus, voilà plusieurs années, direction l’Allemagne d’abord, puis la Gironde. Là-bas, Nasko raconte « la corruption, le manque de travail et la discrimination envers les Roms ». Il parle aussi de ses trois enfants qui auraient été placés du jour au lendemain, selon lui, par l’État bulgare : « Sans mon autorisation, car selon eux, j’étais incapable de m’en occuper. » Il confie ne plus avoir de nouvelles…
Depuis son arrivée en France, il a bossé dans le BTP pour plusieurs sociétés, aujourd’hui dans les vignes. Son futur ? Il souhaite apprendre le français « pour être tranquille » et n’envisage pas un retour en Bulgarie. En un mot, il souhaite s’intégrer et vivre « normalement ».
ETI, téléphone, maison
Première bonne nouvelle, les habitants de ce squat vont sortir de cette illégalité – de façon transitoire pour l’instant – d’ici fin janvier. Ils quitteront alors les hangars – voués à la destruction – pour être relogés légalement dans sept mobile homes (des T4), installés juste à côté. Ils sont entièrement équipés, avec place de parking et box de rangement. Un espace collectif abrité de type préau est également prévu, ainsi qu’un autre mobile home servant de bureau au gestionnaire de cet ETI (espace temporaire d’insertion).
« La vie sera moins difficile », estime Nasko.
Porté par Bordeaux Métropole, ce projet d’ETI a pour objectif de résorber une partie des squats et bidonvilles implantés sur son territoire : plus de 130 aujourd’hui, notamment à Bordeaux, Mérignac, Bègles et Pessac.
« Environ 2 000 personnes y vivent actuellement, dont les deux tiers sont des ressortissants européens (Roms bulgares et roumains) », précise Jean-Jacques Puyobrau, vice-président de Bordeaux Métropole en charge de l’habitat et maire de Floirac.
La politique d’expulsion ne « marche pas »
« Ce nombre est exceptionnel », constate Morgan Garcia, coordinateur de la Mission squats de Médecins du Monde. Il traduit, selon lui, l’échec d’une « politique d’expulsion extrêmement onéreuse ». En Gironde, 95 expulsions ont été prononcées entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021. Soit 31% des expulsions en France (1 330 lieux de vie informels expulsés au total, contre 1079 l’année dernière sur la même période), indique l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels (voir le document).
« En France, il y a de plus en plus de squats et de personnes à la rue. En faisant disparaître un bidonville, on en créé deux, avec des populations qui sont maintenues dans la précarité », poursuit Morgan Garcia.
Pour lui, ces espaces « peuvent participer à la résorption mais cela ne doit pas être l’unique solution envisagée. Il faut une pluralité de solutions ».
Galère de terrains
En France, ces fameux ETI existent dans plusieurs régions. La métropole, elle, s’est notamment inspirée de la ville de Strasbourg. Une délégation d’élus s’est d’ailleurs rendue, il y a plusieurs années, dans ce type de lieu. Une visite « poussée par le groupe écologiste et qui s’est avérée très importante », souligne Sylvie Cassou-Schotte, vice-présidente (EELV) de Bordeaux Métropole et adjointe à la Ville de Mérignac.
A Mérignac, un « espace d’insertion temporaire » près de la base aérienne 106
Situé avenue de l’Argonne, l’espace temporaire d’insertion est un projet mixte et se composera d’une maison réhabilitée et de cinq mobile-homes. Il devrait accueillir au maximum 10 ménages.
« Les familles proviendront en priorité du camp de la bache de l’eau, dans la zone aéroparc. Elles vivent dans des conditions infernales. La métropole, propriétaire du terrain, souhaite résorber ce camp, avec des entreprises riveraines qui sont vent debout », indique Sylvie Cassou-Schotte, adjointe au maire de Mérignac et vice-présidente de Bordeaux Métropole.
Les choses ont depuis pris du temps. En 2017, la collectivité souhaitait créer deux ou trois espaces, dans des communes volontaires, mais sur des terrains lui appartenant. Annoncée pour 2019, l’opération a été retardée par la pandémie, ainsi que par les difficultés pour la Métropole à trouver du foncier disponible.
Aujourd’hui, on y voit plus clair : d’ici fin janvier, deux ETI verront le jour à Bègles et Mérignac. Et deux autres devraient être créés à Floirac et Bordeaux, a priori durant la seconde moitié de l’année 2022.
Le montant estimatif atteindra, au maximum, 5,85 millions d’euros (hors TVA et sur quatre ans), pour la métropole. Avec une aide de l’Etat, pour l’instant, de 100 000 euros (DIHAL sur le volet social) et 230 000 euros via le plan pauvreté.
« A Bègles, le coût est d’environ 600 000 euros (partie installation, entretien et désinstallation) et de 540 000 euros (gestion sociale et accompagnement des familles) », fait savoir la Mission squats de Bordeaux Métropole.
Du côté de Mérignac, le coût est de 470 000 euros (installation et entretien des mobil-homes), 1 120 000 euros au maximum pour l’accompagnement des ménages. A cela, il faut ajouter les travaux sur la maison existante pour environ 60 000 euros (réfection de l’électricité, menuiseries…) et l’installation d’un assainissement non collectif pour l’ensemble pour environ 80 000 euros (« qui pourra nous servir ailleurs car il est mobile », précise la Mission squats).
Un dispositif « gagnant-gagnant » ?
Dans la métropole, ces espaces sont réservés à des familles Roms essentiellement venus de Bulgarie. Identifiées et suivies par plusieurs acteurs (CCAS, maison départementale des solidarités, Mission squats), celles-ci souhaitent s’intégrer durablement sur le territoire français. A l’instar de Nasko et sa femme.
Pour intégrer ces lieux, elles signeront un « contrat » dans lequel elles s’engagent à respecter les règles de vie en collectivité. Tout en prenant un certain nombre d’engagements : apprentissage du français, scolarisation régulière des enfants, recherche d’un emploi salarié… Elles verseront par ailleurs à Bordeaux Métropole « une participation à l’hébergement, qui correspond à un pourcentage de leur ressource », précise Philippe Rix, directeur du Diaconat de Bordeaux.
Sur place, cette association assurera la gestion du site et le travail social dans le cadre d’un accord avec la Métropole pour quatre ans. Le tout en lien avec les différents acteurs concernés. Et avec l’objectif ultime, pour les bénéficiaires, d’accéder à un logement pérenne.
« C’est un dispositif gagnant-gagnant », assure Jean-Jacques Puyrobrau.
Amélie Cohen-Langlais commente :
« Il ne s’agit pas uniquement de traiter la question sous l’angle de l’urgence et du quotidien, qui, bien sûr, doit être traitée. Mais bien d’une logique d’insertion et d’intégration sur la base d’engagements réciproques. Des retours d’expériences montrent que cela peut fonctionner. »
Des camps sécurisés ?
Sur le papier, cette initiative métropolitaine semble pleine de promesses, mais soulève aussi plusieurs questions. D’abord, certains critiquent la nature de ces ETI, « camps sécurisés » avec portail, vidéosurveillance et vigiles pour rassurer occupants et riverains.
Ensuite, comme leurs noms l’indiquent, ces ETI sont temporaires et sont donc voués à disparaître. À Bègles, le site fermera fin 2023, quand Bordeaux Métropole vendra la parcelle à Euratlantique. Du côté de Mérignac, ce sera pour mi-2025. Nécessairement, de nouveaux lieux devront voir le jour sur le territoire, à condition de trouver des terrains adéquats, et de convaincre certains maires, aujourd’hui réticents, du bien-fondé d’un tel dispositif.
Enfin, le manque de logements sociaux sur la métropole génère selon un temps d’attente long, voire très long pour permettre à « cette population relativement discriminée » d’accéder à un logement pérenne. Ce qui ramène au lancinant problème du nombre insuffisant de HLM.