Spécialiste du terrorisme et auteur d’«Otages, une histoire» (Gallimard, 2020), l’historien Gilles Ferragu revient sur les particularités de la médiatisation de la détention du journaliste Olivier Dubois.

Manifestation de soutien à Olivier Dubois le 8 juin 2021 à Paris. (LUCAS BARIOULET/AFP)

par Adrien Franque

publié le 6 janvier 2023 à 20h39

Le correspondant de Libération, du Point et de Jeune Afrique est otage des jihadistes au Mali depuis vingt-et-un mois. L’historien des médias Gilles Ferragu constate que l’attention de l’opinion publique est plus difficile à capter depuis la chute de Daech et l’émergence de nouvelles crises sociales en France.

Quel est traditionnellement le rapport de l’opinion publique aux prises d’otages de journalistes ?

Dans l’histoire des otages, les enlèvements de journalistes ont été un tournant : tout à coup, la corporation des médias se sentait plus concernée. Cela commence en 1986 avec les prises d’otages au Liban du chercheur du CNRS Michel Seurat et du reporter Jean-Paul Kauffmann. A l’époque, la presse et surtout la télévision vont s’emparer de cette affaire. Le journal télévisé de France 2 donne au quotidien le décompte des jours depuis leur enlèvement, ce qui avait déjà été mis en place aux États-Unis lors de la crise des otages en Iran, à partir de 1979. L’État, les médias et, dans une certaine mesure, les organisations terroristes réalisent donc l’influence que peut avoir le fait de prendre en otages des journalistes. Pour l’État, cela suppose des précautions différentes, parce qu’il s’agit de quelqu’un d’exposé médiatiquement. Du point de vue des journalistes, la question est de relayer ou non l’information, pour préserver la vie de l’otage. Pour les organisations terroristes, la question se pose en sens inverse : plus l’information est relayée, plus les enchères montent.

Qu’est-ce qui explique le manque d’intérêt de l’opinion publique à l’égard de la détention d’Olivier Dubois ? Est-ce que le fait qu’il soit correspondant et non envoyé spécial, ou le fait qu’il soit noir peuvent avoir une influence ?

Je retourne la question aux journalistes : est-ce que le fait qu’il soit correspondant et noir intéresse aussi moins la corporation ? Même s’il est mis en avant, il me semble moins médiatisé par les journalistes que dans d’autres cas. Personnellement, je ne pense pas que ce soit lié à sa personne. Je ne pense pas que l’opinion publique, d’ailleurs, fasse la différence entre correspondant et envoyé spécial. Même s’il y a l’idée répandue que le métier de journaliste est un métier à risques, et que parmi les risques, il y a celui de l’enlèvement, notamment chez les correspondants. Selon moi, depuis la chute de Daech, la menace terroriste est considérée avec plus de distance par les Français, alors qu’elle existe toujours. Ces derniers font face à d’autres problèmes : la crise économique, le Covid, la guerre en Ukraine… Le souci des otages n’est plus à l’ordre du jour : c’est un souci pour des populations globalement apaisées. J’ai l’impression aussi que l’affaire Sophie Pétronin, otage au Mali qui a décidé de revenir dans le pays après sa libération, a été un petit électrochoc pour l’opinion publique. Celle-ci a pu se dire : quelle est la logique de tout ça ? Enfin, dans les prises d’otages, il s’agit d’une question d’un individu et d’un État, pas d’un individu et d’une nation, ce n’est pas un match de foot.

Mais dans de précédents cas de prises d’otages, il y a pu avoir un sentiment d’appartenance qui a pu être agité plus vivement auprès de l’opinion publique, du genre «c’est l’un des nôtres qui a été capturé»…

Oui, dans le cas de la prise d’otages au Liban en 1986, cela a beaucoup joué. Mais c’est parce qu’elle a été très fortement relayée par la télévision, qui était alors le média majeur. Ce n’est plus vraiment le cas : le journal de 20 heures n’est plus le lieu où l’on peut évoquer ça de manière sanctuarisée. En 1979, les Américains mettent aussi des rubans jaunes pour évoquer le sort des otages en Iran. La question se retrouvait visible dans l’espace public. Les voies de médiatisation de ce genre d’affaire ont aussi changé. L’avantage et l’inconvénient d’Internet, c’est que les réactions peuvent être vives et rapides, mais une fois que le post Facebook est fait, il disparaît rapidement.

Est-ce que vous observez des spécificités dans la médiatisation de la prise d’otage d’Olivier Dubois par ses ravisseurs ?

De plus en plus, pour les otages au Sahel, par rapport aux otages habituels, j’ai l’impression que la stratégie revient à quasiment les enterrer médiatiquement. Même s’il existe certainement des négociations en sous-main, il ne semble pas y avoir de plan défini. Au Proche-Orient par exemple, il y avait une espèce d’actualité : les preneurs d’otages rendaient compte assez régulièrement de la situation. Là, nous assistons plutôt à une stratégie du silence médiatique. Nous n’avons pas beaucoup d’images. Cela peut être dû au manque de moyens ou de stratégie médiatique des preneurs d’otages – ce n’est pas la même chose d’opérer pour Daech et d’opérer depuis le fin fond du Sahel. Daech avait intégré les otages dans sa diplomatie de la terreur. Ici, on revient plutôt à des pratiques traditionnelles, l’otage est un moyen de pression parmi d’autres.

Quelle influence la médiatisation a-t-elle généralement sur la détention des otages ?

C’est toute la question posée par Hervé Ghesquière, dans son livre 547 Jours. Il rappelait à la fois sa situation d’otage et les débats qu’il y avait eu en France, affreux, après son enlèvement, sur le mode «il l’a bien cherché». Le livre commence par cette question : est-ce que la médiatisation est une garantie pour l’otage, ou une manière de faire monter les enchères et peut-être de le condamner ? J’ai peur qu’il n’y ait pas de réponse idéale. D’ailleurs, aujourd’hui, les États travaillent plutôt désormais sur des solutions alternatives, avec l’intervention d’acteurs privés et de systèmes assurantiels.

Est-ce que l’opinion publique en France est plus ou moins sensible qu’ailleurs au sort des otages ?

Elle l’a été en tout cas. Depuis les années 80, lorsque les affaires d’otages sont relayées dans l’opinion publique, il y a un intérêt. Mais, au début, l’opinion publique s’agite et une fois que l’otage arrête d’être un événement pour entrer dans l’actualité, l’opinion publique se détourne. L’idéal d’une affaire d’otage, c’est qu’elle ne dure pas plus d’un an. D’ailleurs, dans le milieu universitaire, le sort de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah en Iran est similaire à celui d’Olivier Dubois, on a le sentiment que son cas a été abandonné aux négociations diplomatiques.

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