Depuis 2018, des pesticides seraient largués depuis les airs pour empoisonner la végétation amazonienne et ainsi déboiser plus facilement. Discrète et illégale, cette méthode hautement toxique laisse présager des conséquences désastreuses sur l’homme et l’environnement.
par Eléonore Disdero
La déforestation, contre laquelle l’Union européenne se targue de lutter, continue de faire des ravages à grande échelle, avec des méthodes à l’avenant. En Amazonie brésilienne, les pesticides sont désormais largués par avion et hélicoptère pour tuer la végétation et faciliter le déboisement.
Selon le site américain d’informations environnementales Mongabay, cette méthode d’épandage serait fréquemment employée depuis 2018 pour atteindre les zones reculées et difficiles d’accès de la forêt. Si cette pratique est plus laborieuse que le recours aux machines, elle ne peut pas être détectée par les images satellites en temps réel. Et permet donc aux défricheurs clandestins d’échapper aux autorités.
«Cette façon de dégrader les forêts prend plusieurs années, mais c’est un processus avantageux pour les criminels car les chances d’être pris sont très faibles. Nous ne pouvons voir les dégâts que lorsque la clairière est déjà formée», explique sous couvert d’anonymat un responsable de l’agence fédérale du Brésil pour l’environnement (Ibama). «Une forêt morte est plus facile à enlever qu’une forêt vivante : certains pesticides ne laissent que les grands arbres debout.»
Glyphosate, carbosulfan et composant de l’agent orange
L’Ibama précise que certains de ces produits chimiques, agissant comme défoliants, provoquent la mort des feuilles et d’une bonne partie des arbres. Une fois la végétation empoisonnée et détériorée, il ne reste plus qu’à brûler le tout et finir le travail à la tronçonneuse et au tracteur.
Parmi les substances utilisées : le très controversé glyphosate, du carbosulfan – interdit dans l’Union européenne du fait de sa toxicité –, et le 2,4-D, un composant de l’agent orange, utilisé massivement pendant la guerre du Vietnam et qui entraîne encore des cas de malformations congénitales dans le pays.
Une fois la végétation éradiquée, les défricheurs larguent des graines d’herbe par avion dans le but de faire passer une parcelle déforestée illégalement pour une «ferme en formation» et faciliter sa vente.
«Très dangereux pour quiconque se trouve à proximité»
«Provoquer la dégradation des forêts par les pesticides est une agression majeure pour l’environnement… Les animaux vont manger les feuilles et les fruits empoisonnés de la forêt», s’alarme le biologiste Eduardo Malta, de l’ONGbrésilienneInstitut socio-environnemental (ISA). «C’est aussi très dangereux pour quiconque se trouve à proximité lorsque les pesticides sont largués.»
Arrêter la déforestation en 2030, réaliste ou incantatoire ?
Le problème est d’autant plus complexe que, si elle est interdite sur des forêts primaire, l’utilisation de certains pesticides est permise dans les exploitations agricoles. Le média Mongabay relate qu’en s’apercevant que la végétation d’une propriété rurale était sèche et brunâtre, des agents de l’Ibama, intervenus sur place, ont trouvé des douzaines de bidons vides de l’herbicide Planador XT.
«Les bidons [jetés sur le sol, ndlr] n’étaient pas lavés correctement, et les pluies ont pu transporter les résidus», rapporte un représentant de l’Ibama dépêché sur place. «Des adultes, des enfants et des animaux vivent sur le site. La santé de tout le monde est en danger.»
Manque de surveillance des autorités
En s’intéressant de plus près aux clairières déboisées, l’Ibama a constaté que nombre d’entre elles étaient situées sur des fermes d’élevage de bétail, principalement dans l’Etat du Mato Grosso, au centre-ouest du Brésil. Des exploitations qui n’ont pourtant pas l’utilité de ces pesticides.
De son propre aveu, le responsable de l’Ibama explique que cette explosion de la déforestation aux pesticides est liée à un manque de surveillance de la part des autorités. «Nous étions plus concentrés sur la lutte contre la déforestation à blanc [par machine] en raison de l’augmentation de leur taux ces dernières années», concède-t-il.Le peu d’agents sur le terrain est également un problème : en 2019, ils n’étaient que 591, soit 55% de moins qu’en 2010. Un nombre trop faible au regard de l’étendue de la tâche et du territoire à couvrir.