Mi-janvier, un jeune militant palestinien s’est lancé le défi de réunir des fonds pour les réfugiés du nord de la Syrie, touchés par une vague de froid. Un mouvement d’une ampleur sans précédent.
Des hommes comptant en chœur les liasses de billets et les tas de pièces qui les entourent. La vidéo, qui circulait sur les réseaux sociaux palestiniens début février, aurait pu être celle d’une soirée dans un tripot de Cisjordanie. Il n’en est rien : depuis un mois, une campagne de fonds, lancée en vue d’offrir un toit aux déplacés du nord de la Syrie, a déjà réuni plus de 10 millions de dollars. Selon ses organisateurs, il s’agit de « la plus grande collecte de l’histoire récente de la Palestine ».
Quelques semaines plus tôt, et alors qu’une vague de froid exceptionnelle – jusqu’à – 15 °C par endroits – déposait un manteau de neige sur tout le Proche-Orient, les images des enfants grelottant dans les camps avaient ému dans le monde arabe. Jusqu’au smartphone d’Ibrahim Khalil, un Palestinien de Nazareth, à l’initiative du mouvement.
Cheveux peignés et barbe impeccable, le jeune militant qui maîtrise les codes de Facebook et de TikTok souhaitait initialement réunir des fonds pour financer des équipements de chauffage. Son message, relayé dans les familles des territoires occupés et d’Arabes israéliens, s’est vite transformé en un appel à « remplacer les tentes par des maisons », devenu viral en quelques jours.
Des points de collecte se sont montés partout, dans des maisons de notables locaux ou des petites boutiques de commerçants. À Beit Hanina, quartier arabe de Jérusalem, le marchand de kebabs Abu Ali reçoit les donateurs depuis deux semaines. « Au dixième jour, j’avais déjà récolté près de 500 000 dollars en espèces », s’étonne Jabr Hegazy, un épicier arabe du nord d’Israël, l’un des premiers à avoir suivi le mouvement. Dans sa boutique, il l’assure, tout le monde donne, « les riches comme les plus pauvres », en dépit d’un niveau de vie moyen assez faible. En Cisjordanie, où un tiers de la population est touchée par le chômage et la pauvreté, selon les Nations unies, le don est parfois synonyme de sacrifice. Certaines familles sont allées jusqu’à vendre une voiture, d’autres à donner des bijoux, selon le commerçant.
10 millions de dollars ont déjà été récoltés, de quoi construire plusieurs milliers de maisons.
« En hiver, il est fréquent de voir des mouvements de solidarité palestinienne se mettre en place pour les déplacés vivant dans les camps. Mais c’est souvent avec l’appui d’associations. Là, c’est la première fois qu’une initiative citoyenne prend une telle ampleur », note Valentina Napolitano, sociologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du militantisme palestinien.
Selon la chercheuse, l’ampleur de la collecte est d’autant plus étonnante que, depuis la révolution contre Bachar Al-Assad en 2011, les Palestiniens sont divisés sur la question syrienne. « Le président syrien a toujours soutenu la cause palestinienne lors des guerres avec Israël. Lorsque la révolution a commencé, beaucoup de Palestiniens ont eu peur de perdre un allié », développe la sociologue, qui explique l’ampleur du mouvement actuel par la similarité entre la situation des déplacés syriens et celle de nombreuses familles palestiniennes : « Beaucoup s’identifient, car eux-mêmes ont vécu dans des camps et sous des tentes. »
Dans le nord de la Syrie, à une poignée de kilomètres de la frontière turque, ils sont près de 1,5 million de déplacés à stationner depuis 2011, la moitié dans des camps bondés, souvent sans toit. Sur place, des associations bien connues dans la région, comme Molham, reçoivent les dons et construisent les maisons. Chacune d’elles coûte 2 200 dollars environ, selon l’organisation. Les premières pierres des logis financés par la récente campagne ont été posées. Une vidéo, diffusée sur la chaîne YouTube de l’ONG Onsur, a même permis de suivre l’avancée des travaux en direct, le 10 février dernier.
Face à l’ampleur de la mobilisation, d’autres ONG se sont immiscées dans le mouvement. Mercredi, la fondation Al-Khair et Onsur lançaient leur propre cagnotte en ligne, relayée par l’influenceur et militant palestinien Saleh Zighari, aux quelque 350 000 abonnés sur YouTube. Son hashtag #Newlife a déjà permis de réunir 620 000 dollars – de quoi construire 248 nouvelles maisons, selon Al-Khair – et d’étendre le mouvement jusqu’en Algérie, pays duquel des dons sont arrivés.