Par Julia Pascual
Reportage Rester en Ukraine et risquer leur vie ainsi que celle du bébé qu’elles portent, ou bien se réfugier en Pologne, en Espagne ou en France et devoir accoucher là où la gestation pour autrui est illégale ? Depuis l’invasion de leur pays par la Russie, Marina, Tatiana, Kate, Yullia se retrouvent face à un dilemme terrible.
C’est un pavillon ordinaire de deux étages, dans une zone résidentielle en périphérie de Poznan, dans l’ouest de la Pologne. La seule chose qui le distingue, c’est son aspect inachevé. Les murs sont nus, les parpaings encore apparents. Jusque-là, il n’y avait que des hommes dans cette maison. Des ouvriers du bâtiment ukrainiens qui vivaient loin de leur famille. Ils se retrouvaient le soir, comme dans un foyer de travailleurs immigrés, pour partager un repas, un moment de repos, dans un confort sommaire.
Mais, depuis quelques jours, à l’entrée, une trentaine de paires de chaussures encombrent le palier. Elles appartiennent aux familles ukrainiennes qui ont fui la guerre et qui vivent désormais ici. Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février, plus de 2,8 millions de déplacés ont franchi la frontière polonaise, faisant de ce pays la première terre d’accueil des réfugiés d’Ukraine.
Plusieurs milliers de naissances
Marina est arrivée à la mi-mars avec son fils, Kirilo, 6 ans, l’épouse de son frère et sa nièce de 4 ans. Ils partagent deux lits dans une petite chambre au dernier étage de la maison. Et, avec le reste de la maisonnée, font salle de bains et cuisine communes.
Comme tous ceux qui ont quitté l’Ukraine du jour au lendemain, Marina vit dans l’incertitude et la douleur de l’exil. Elle est aussi inquiète parce qu’elle est enceinte et qu’elle n’a pas pu faire d’échographie depuis deux mois alors qu’elle attend des jumeaux. Au centre d’accueil des réfugiés de la ville, on lui a donné les coordonnées d’un gynécologue russophone qui pourra enfin l’examiner.
Mais Marina éprouve un stress qu’aucun médecin ne pourra dissiper. Les enfants qu’elle porte depuis six mois ne sont pas les siens. Et elle ne sait pas dans quelles conditions elle devra les mettre au monde, si elle pourra légalement s’en défaire, si leurs parents seront reconnus comme tels, s’ils considéreront qu’elle a respecté les termes du contrat qui les lie. Marina a 32 ans. Elle est mère porteuse. Et la gestation pour autrui (GPA) est interdite en Pologne. Lire aussi Article réservé à nos abonnés En Ukraine, le côté obscur de la GPA
En Ukraine, la pratique est légale depuis 2002. Aucun chiffre officiel ne le dit, mais on estime que plusieurs milliers de naissances ont lieu chaque année qui permettent à des parents chinois, européens, australiens ou américains de fonder une famille en dépit de leur infertilité. Le coût du programme tourne autour de 40 000 euros. Quand un enfant naît du fait d’une GPA, sa mère porteuse abandonne ses droits sur lui et ce sont les parents dits « d’intention » qui apparaissent sur l’acte de naissance ukrainien.
Sortir du pays, une violation du contrat
Avec la guerre, le cadre fragile qui entourait ces grossesses a volé en éclats. En fuyant les conflits, ces femmes enceintes sont allées là où elles pensaient pouvoir se trouver en sécurité, vers l’ouest du pays, relativement épargné par les bombardements, mais aussi vers l’Europe tout entière, au risque de se retrouver dans une insécurité juridique sans précédent. Albert Tochilovsky, le patron d’une des plus grosses agences de GPA en Ukraine, BioTexCom, ne peut qu’en convenir : « Tout est perturbé », dit-il, dans un euphémisme.
Au moment où nous le contactons par téléphone, fin mars, il s’affaire à équiper une camionnette au cas où il devrait subitement déplacer des « milliers d’embryons » congelés et stockés à Kiev. Parmi les « centaines » de programmes de GPA qu’il dit superviser, sa priorité, assure-t-il, est de mettre en lieu sûr les mères porteuses dont l’accouchement est imminent. Et d’éviter qu’elles ne sortent du pays.
« J’ai dû menacer de mettre les enfants à l’orphelinat, car ils [les parents d’intention] rechignaient à payer alors qu’on a épuisé nos fonds. » Svitlana, directrice d’agence
« Certaines mères porteuses sont empêchées de partir en Pologne, car ce serait considéré comme une violation du contrat et je le comprends », convient Svitlana Sokolova. Cette Ukrainienne de 39 ans, elle-même ancienne mère porteuse, est à la tête d’une petite agence, Ferta, qui pilote actuellement six programmes de GPA pour des clients chinois. Le 6 mars, c’est tout un convoi qu’elle a mis sur pied pour quitter Kiev et rejoindre l’Ukraine occidentale.
Elle y a mis à l’abri ses enfants, sa compagne mais aussi deux mères porteuses et leur famille ainsi que deux bébés de 3 mois nés à une semaine d’intervalle et dont les parents, des ressortissants chinois, n’ont pas pu venir en raison du Covid-19. « Les bébés n’ont toujours pas de prénoms. On les appelle “ma petite puce” et “mon petit bout de chou” », dit Svitlana. Dans les Carpates, où les réfugiés affluent de toute l’Ukraine, elle a difficilement trouvé un logement de trois pièces avec une cuisine où entasser le groupe de neuf adultes et huit enfants qu’elle a composé. « On paie plus de 100 euros par jour, se plaint-elle. La situation est épuisante et très lourde moralement. »
Pour s’occuper des bébés chinois, trois « nounous » se relaient nuit et jour, mais l’une d’elles a déjà menacé de jeter l’éponge. « Si elle part, tout explose », redoute Svitlana, qui a convaincu les parents en Chine de prendre à leur charge la location d’une chambre supplémentaire pour soulager le groupe. « J’ai dû menacer de mettre les enfants à l’orphelinat, car ils rechignaient à payer alors qu’on a épuisé nos fonds. »
Se mettre à l’abri dans l’ouest de l’Ukraine
Plusieurs agences se sont aussi repliées dans la ville de Lviv, à 70 kilomètres de la frontière polonaise. Les Français Olivier et Stéphanie (comme les autres couples interrogés, ils préfèrent conserver l’anonymat) partaient y retrouver leur mère porteuse fin mars. Nous rencontrons ce couple de trentenaires à la tombée du jour, dans un hôtel modeste en périphérie de Rzeszow, dans le sud-est de la Pologne. Stéphanie et Olivier ont choisi une enseigne abordable pour dormir quelques heures sans trop s’éloigner de leur itinéraire.
« Je me suis dit qu’on ne récupérerait jamais notre enfant, qu’il grandirait dans un orphelinat ou se prendrait une bombe. » Stéphanie, mère « d’intention »
Ils sont partis des Yvelines la veille et doivent arriver en Ukraine le lendemain. Ils ont déjà parcouru 1 700 kilomètres et ressentent encore beaucoup d’appréhension. Ce soir-là, Stéphanie ne finit pas les pierogi qu’elle a commandés. Devant l’assiette de raviolis farcis et baignés d’huile qui lui a été servie, elle raconte s’être « effondrée » le jour où l’Ukraine a été attaquée. « Je me suis dit qu’on ne récupérerait jamais notre enfant, qu’il grandirait dans un orphelinat ou se prendrait une bombe. »
Leur mère porteuse, Tatiana, a finalement réussi à quitter Kiev deux jours après le début de l’offensive pour rejoindre Lviv, avec sa fille de 4 ans et son mari. Stéphanie et Olivier ont beaucoup échangé avec leur gestatrice, même si elle ne s’est pas épanchée sur sa vie privée. « Lorsque je demandais des nouvelles de sa fille, elle ne me répondait pas, rapporte Stéphanie. C’est quelqu’un qui compartimente beaucoup et d’un naturel extrêmement introverti. »
Stéphanie et Olivier avaient demandé à Tatiana si elle accepterait de s’occuper de leur bébé dans le cas où ils ne pourraient pas se rendre en Ukraine pour la naissance de leur fille. Elle avait dit oui et Stéphanie se faisait à l’idée « horrible » de « débarquer » des mois plus tard pour récupérer un enfant qui aurait non seulement été porté et mis au monde, mais aussi bercé par une autre. En dépit des mises en garde de l’ambassade de France, le couple a finalement décidé de se rendre en Ukraine, le coffre chargé de lait en poudre et de couches.
Leur fille est née le jour de leur arrivée. Ils n’ont croisé la mère porteuse que plus tard, chez le notaire. « On y a passé une heure ensemble et on a pu briser la glace, se souvient Olivier. Comme elle avait eu une césarienne, elle n’avait pas encore pu voir le bébé. C’était un peu émouvant. » Olivier et Stéphanie sont rentrés en France début avril. Tatiana a quitté l’Ukraine. Elle est aujourd’hui réfugiée en Autriche.
Partir pour la Géorgie, où la GPA est légale
D’autres gestatrices ont été prises au piège de la guerre. C’est le cas de Kate, qui porte depuis sept mois l’enfant de Sonia et Samuel, un autre couple français. Elle vivait à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, quand les Russes ont envahi le pays. La ville a été parmi les plus bombardées. A distance, de l’Isère, où ils habitent, Sonia et Samuel ont vécu au rythme des offensives. Quand Kate avait du réseau, elle pouvait leur donner des nouvelles et les rassurer. Le reste du temps, ils l’imaginaient dans des abris antibombes et replongeaient dans la peur et l’impuissance.
« Si la naissance n’a pas lieu en Ukraine, ce sera difficile d’établir la filiation entre l’enfant et ses parents d’intention. » Hélène, une Française qui suit des couples dans leur projet de GPA
Et puis Kate est partie se réfugier à Yalta, en Crimée, une région annexée par la Russie en 2014. Un des pires scénarios pour Sonia et Samuel : « Ce sont les mêmes lois qu’en Russie… Si elle accouche là-bas, Kate et son mari seront reconnus comme les parents de l’enfant. » Sonia le dit sans détour : « C’est très compliqué psychologiquement. » « C’est dramatique, convient, anonymement, Hélène, une Française qui suit une quinzaine de couples par an dans leur projet de GPA et qui accompagne Sonia et Samuel. Si la naissance n’a pas lieu en Ukraine, ce sera difficile d’établir la filiation entre l’enfant et ses parents d’intention. »
En théorie, Marina, elle, devait accoucher à Kiev, mais la guerre a très vite rendu cette hypothèse caduque. Elle n’aurait de toute façon jamais envisagé que les jumeaux qu’elle porte naissent à Nikopol, où elle résidait. « Dans une petite ville, tout se sait », confie-t-elle. Bien que légale, la GPA continue de faire l’objet d’une désapprobation sociale en Ukraine. « Mes parents, mon frère et quelques amis sont au courant de ce que je fais, mais pas au-delà », explique Marina, qui a simplement dit à son fils, Kirilo, que « maman [avait] grossi », espérant ne pas devoir se justifier davantage.
« C’est injuste, mais on n’a pas une très grande marge de manœuvre. Je connais des filles qui sont restées en Ukraine parce que les parents biologiques n’ont pas voulu financer leur déplacement. » Marina, mère porteuse
Alors que les combats s’intensifiaient autour de Nikopol, les parents d’intention, un couple d’Italiens, lui ont proposé de quitter l’Ukraine. L’agence de GPA avait été claire : ses frais seraient pris en charge seulement si les futurs parents acceptaient d’envoyer de l’argent supplémentaire. « C’est injuste, mais on n’a pas une très grande marge de manœuvre, regrette Marina. Je connais des filles qui sont restées en Ukraine parce que les parents biologiques n’ont pas voulu financer leur déplacement. » Marina n’a pas le droit de divulguer le montant de sa rémunération, mais on estime que les mères porteuses perçoivent autour de 15 000 euros pour un enfant.
Jusqu’à la guerre, Marina était employée dans une agence de microcrédit. Divorcée du père de son fils, elle vivait chez ses parents. Avec l’argent qu’elle va gagner, elle veut constituer un apport pour un achat immobilier. En restant en Pologne, Marina prenait le risque d’être considérée comme la mère des jumeaux. Recontactée mi-avril, elle s’apprêtait à rejoindre avec son fils la Géorgie, où la GPA est légale. « Les billets d’avion ont été payés par les parents biologiques. Un représentant de l’agence nous amènera dans un appartement à Tbilissi », nous dit-elle, contente de partir enfin.
En Géorgie, elle croisera peut-être Viktoria, une gestatrice de 28 ans avec laquelle elle s’est liée d’amitié. Les deux femmes avaient fait connaissance à Kiev, où elles se croisaient à l’occasion d’examens médicaux organisés par l’agence de GPA. Depuis la guerre, sur les réseaux sociaux, elles discutaient pour rompre avec la solitude de leur sort. Comme Marina, Viktoria attend des jumeaux, qui devraient naître en juin. Comme elle, elle est divorcée et rêve de pouvoir devenir propriétaire. Quand la guerre a éclaté, la jeune femme a fui la ville de Brovary, à l’est de Kiev. « Il y a eu des bombardements russes pas loin, explique-t-elle. J’habitais au dixième étage d’un immeuble, l’ascenseur ne fonctionnait plus et j’étais presque au septième mois de grossesse. »
Viktoria s’est « battue pour pouvoir joindre les parents biologiques », un couple d’Espagnols. C’est en discutant avec eux qu’elle a décidé de se rendre en Pologne et d’y prendre un avion pour Barcelone. En Espagne, Viktoria avait en outre la possibilité d’être hébergée avec son fils de 5 ans chez des amis, dans une petite commune au nord de Barcelone. « Les parents biologiques habitent à deux heures de route. Ils sont venus me voir le lendemain de mon arrivée et on est tout de suite allés faire une échographie », nous relate-t-elle. Confrontés à la législation espagnole prohibitrice, Viktoria et les parents biologiques ont finalement décidé que l’accouchement aurait lieu en Géorgie. Une perspective qui « a rassuré » Viktoria.
Endosser le rôle de pionniers
Ailleurs, en Europe, certains s’apprêtent au contraire à endosser le rôle de pionniers. Clélia Richard, avocate spécialisée en droit de la famille, suit actuellement le cas de six mères porteuses qui se sont réfugiées en France. « L’une d’elles a déjà accouché à Villeurbanne [Rhône] et les autres sont à Saintes, en Vendée, à Amiens et en Provence », liste-t-elle. L’objectif de l’avocate est de « pouvoir faire respecter le contrat de GPA », c’est-à-dire de faire en sorte que la mère porteuse accouche « dans des conditions dignes et sans figurer sur l’acte de naissance ».
Pour cela, la gestatrice doit faire le choix d’un accouchement sous X, tandis que le père effectue une classique reconnaissance anticipée de paternité en mairie. Une procédure parfois difficile à faire admettre. « A Saintes, la clinique a essayé de convaincre la mère porteuse de ne pas renoncer à l’enfant », s’étrangle Me Richard.
Yohann se réjouit d’avoir trouvé un personnel soignant qui se concentre sur le suivi médical de sa gestatrice. Il veut éviter à Ella un « imbroglio juridique ». Lui est conscient de s’exposer à des poursuites pénales pour « incitation à l’abandon ». « Je suis prêt à plaider ma bonne foi devant les tribunaux », nous confie ce Français de 40 ans, à la tête de plusieurs sociétés dans l’événementiel et la communication audiovisuelle. Il raconte comment il a fait sortir d’Ukraine Ella, enceinte de huit mois, et ses deux filles de 4 ans et 8 ans, en les intégrant à un convoi de bus sécurisé entre Kiev et la Pologne, en louant quelques jours un appartement à Varsovie, en réservant des billets FlixBus vers Paris et en les accueillant chez lui, en Vendée.
Près de La Roche-sur-Yon, dans un cadre champêtre, il réhabilite un vaste logis du XVIIIe siècle où habitent aussi ses parents et sa sœur handicapée et où sa compagne doit bientôt s’installer. La bâtisse est encore en chantier en divers endroits et on y devine une vie plutôt solitaire et affairée. Dans une petite partie de la propriété d’ordinaire louée à des touristes, Ella et ses filles reconstituent un quotidien. Les enfants vont à l’école la semaine. Le week-end, des sorties en bord de mer s’organisent. Yohann décrit une femme « timide et introvertie ». Et on devine aussi, à son refus de nous rencontrer, la grande insécurité de sa situation. Ella est sur le point d’accoucher dans un pays où la GPA est illégale.
Faire bouger les législations en vigueur
Avant la guerre, elle n’avait croisé Yohann qu’une fois, en janvier, lors d’une échographie, à Kiev. Leur rencontre avait duré vingt minutes. La GPA était le seul moyen pour Yohann d’avoir un enfant en contournant la maladie génétique dont lui et sa compagne sont des porteurs sains et qui ferait courir des risques de handicap grave à leur enfant. Ils ont également eu recours à un don d’ovocytes. L’enfant s’appellera Anastasia, en hommage à Anne, reine de Kiev et reine des Francs.
Sa compagne devra en passer par une procédure d’adoption. Voilà un an que la chambre du bébé est prête, saturée de tons roses et pastel. Yohann est conscient que l’accouchement aura lieu dans des conditions inédites, mais il est persuadé que, avec la guerre, « énormément de parents » se trouvent dans une situation semblable : « Pour l’instant, chacun gère l’urgence, mais je pense que les choses vont s’organiser. »
« Beaucoup de couples veulent faire bouger les législations en vigueur », abonde Marie, à 700 kilomètres de là, dans un décor tout aussi verdoyant et rural. Nous ne sommes plus en Vendée mais dans le Brabant wallon, dans les environs d’une commune cossue au sud de Bruxelles. Ici, Marie, 40 ans, et son conjoint, qui ne souhaite pas donner son prénom, retapent de fond en comble une vaste maison au décor vieillot. Et, comme Yohann, ils y ont accueilli leur mère porteuse, Yullia, enceinte de six mois, qui a fui la guerre avec son fils de 2 ans. Quand on lui demande ce qui l’a décidée à quitter son pays, Yullia pleure. « J’avais envie de rester pour me battre, mais, quand j’ai vu les images de Marioupol et de la maternité bombardée, je me suis dit que ça pouvait m’arriver. »
Originaire de Kryvyï Rih, la ville natale du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, Yullia a passé des nuits entières sous la menace des missiles russes, allongée dans son couloir, tandis que son fils, Théodore, se réfugiait dans la baignoire de la salle de bains. Elle a pensé rejoindre son mari, soudeur immigré en Pologne, mais il n’avait pas les moyens de la recevoir alors qu’il partage déjà une pièce de vie avec quatre autres Ukrainiens. Alors, le 14 mars, lorsqu’elle a franchi, pour la première fois, les frontières de son pays, c’est le conjoint de Marie qui est venu l’accueillir, à la gare de Przemysl.
Marie refuse d’être considérée comme faisant « quelque chose de mal ». « L’infertilité n’arrête pas d’augmenter et les gens feront tout pour avoir un enfant, alors il faut se mettre au fait de ce changement », martèle-t-elle. Elle était déjà mère d’un petit garçon de 3 ans lorsqu’elle a dû interrompre une nouvelle grossesse après qu’un cancer lui a été diagnostiqué, fin 2019. Après cette épreuve douloureuse, elle a ressenti le « besoin que quelque chose [la] relie à la vie ». Yullia est tombée enceinte le 8 novembre.
Marie veut croire que la guerre, en poussant les mères porteuses à se réfugier en dehors de l’Ukraine, a aussi fait sortir la GPA de ses frontières. Mais, pour l’instant, aucun pays européen ne s’est officiellement exprimé sur leur inextricable situation.
En attendant, Yullia, Marie et son conjoint composent avec l’inconnu de ce contexte. « Beaucoup de parents refusent de rencontrer leur mère porteuse de peur qu’un lien se crée, dit Marie. Moi, j’ai l’impression d’être plus proche de mon enfant. Une relation humaine s’est instaurée. Yullia est comme une tante, une marraine, un membre de la famille. » « C’est un lien particulier », admet son mari. Au moment où les deux femmes posaient pour la photo, Marie a posé sa main sur le ventre de Yullia. C’était la première fois qu’elle osait le faire.