REPORTAGE. Si la protection de l’environnement commence par la gestion des déchets, Dakar a encore du pain sur la planche. Explication.

Alioune est un « Boudiouman », un récupérateur de la décharge de Mbeubeuss, dans la banlieue de Dakar, qui s’étend sur 160 hectares. Il trie le métal et le plastique qu’il revend au poids. Comme lui, plus de 3200 travailleurs informels côtoient les 1 600 employés de l’État qui contrôlent les 500 camions-bennes qui entrent et sortent de cette décharge.

© Sylvain Cherkaoui/Cosmos

Par Manon Laplace, à Dakar

Publié le 05/06/2018 à 16h26

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Mbeubeuss. Ce nom réveille dans l’esprit de nombreux Dakarois l’image d’une montagne de plus en plus importante de déchets, mais aussi le constat d’une faille pour ne pas dire d’une faillite autour de la gestion des déchets dans ce beau pays qu’est le Sénégal. Mbeubeuss, c’est une décharge qui accumule chaque jour un peu plus les déchets de Dakar et sa région. Face aux difficultés de gestion de l’État, les travailleurs informels et les entreprises privées ont pris le relais.

Tout renvoie à un film post-apocalyptique. Les rapaces tournoient au-dessus d’une proie invisible. La vue est brouillée par les émanations des feux, des pots d’échappement et la poussière. Derrière les fumées, des silhouettes d’hommes, de femmes, de dizaines d’enfants et de bétail. Bienvenue à Mbeubeuss, l’une des plus vastes d’Afrique de l’Ouest, qui concentre les déchets de la région de Dakar et où s’affairent près de 4 000 récupérateurs.

Les parterres d’immondices dessinent par endroits de véritables falaises. Les déchets dégoulinent jusqu’au seuil des habitations de Malika et de Keur Massar, les deux communes qui ceinturent l’immense décharge de Mbeubeuss qui s’étire sur 114 hectares. Le dépotoir sauvage a été créé en 1968 sans étude d’aménagement préalable. Initialement, ce devait être un site d’enfouissement. Cinquante ans plus tard, les déchets s’amoncellent jusqu’à 15 mètres de hauteur et il n’y a toujours pas de délimitation physique. En 2015, Mbeubeuss est passée sous le contrôle de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG), rattachée au ministère de la Gouvernance locale, du Développement et de l’Aménagement du territoire. Pourtant, la gestion de ces ordures relève surtout du secteur informel.

La lutte quotidienne des récupérateurs

Il faut rouler un peu moins de dix minutes à travers les rebuts pour atteindre « Yémen », la zone de déversement exploitée à ce moment de l’année (une rotation s’opère selon les saisons). 2 200 tonnes d’ordures y sont quotidiennement débarquées par quelque 300 camions-bennes, entraînant un mouvement de foule systématique. Visages masqués ou couverts d’un tissu qui ne laissent apparaître que leurs yeux, vêtements sombres et souvent déchirés, crochet métallique à la main, les « boudiouman » (traduire « récupérateurs » en wolof) tirent leur gagne-pain de la récolte et du tri des déchets. Canettes, bidons de plastique, fils de fer, flacons de verre, carcasses de pneus, tissages, perruques… Ils se saisissent de tout ce qui peut se revendre. Le reste fera le bonheur des centaines de bovins qui paissent sur le plancher de Mbeubeuss.

La concurrence est rude. Chaque arrivée de camion déclenche les assauts des crochets métalliques. Pour cause : le kilo de plastique se revend 50 francs CFA, celui de ferraille 75, et on peut obtenir jusqu’à 300 francs CFA pour un kilo d’aluminium. Il faut jouer des coudes. Soda, 29 ans, s’échine à Mbeubeuss depuis plus de deux ans. « Le travail est dur parfois quand les camions arrivent, les hommes ne lâchent rien, il faut se bagarrer avec eux. Sinon, on n’a rien », confie Soda. Des trouvailles dont elle garnit son grand sac en plastique tissé la jeune femme tire autour de 15 000 francs CFA par semaine. Alioune, lunettes polarisantes vissées sur le nez et gants « squelette » troués, récupérateur lui aussi, renchérit : « C’est un métier difficile, on travaille dans la fumée et la poussière. On est ici parce qu’on n’a pas le choix. Si on le pouvait, on serait ailleurs. Mais ailleurs, il n’y a pas de travail. »

Si peu que certains viennent de loin pour travailler à Mbeubeuss. C’est le cas de Daouda, originaire de Bambey, à 120 kilomètres de Dakar. Il travaille sept jours sur sept, de 7 à 18 heures, et loue une chambre à Malika, ne rentrant dans son village que pour la Tabaski et les grandes occasions. Ces sacrifices lui rapportent autour de 5 000 francs CFA par jour, de quoi nourrir sa famille restée au village.

Une chaîne de valeur dont l’État reste absent

Avec près de 2 000 employés, contre plus du double du côté des travailleurs informels, l’UCG fait face à de nombreux enjeux. L’Unité fait appel à 18 concessionnaires privés pour la collecte et le transport des poubelles de l’ensemble de la région de Dakar. Sur place, elle est en charge de la pesée et l’orientation des camions-bennes. Mais aussi de la sécurité sur la décharge qui ne dispose d’aucune structure physique pour en restreindre les points d’entrée. « Nous ne sommes que cinq personnes à la sécurité et faisons des gardes de 24 heures », précise Libasse, employé par l’UCG. Avec des moyens de surveillance limités, Mbeubeuss est régulièrement le théâtre d’incendies volontaires, déclenchés notamment pour faire fondre des matériaux. Incontrôlés, ces feux font, au mieux, perdre la marchandise des récupérateurs. Mais certains se sont avérés fatals, comme ce fut le cas le 22 décembre 2016, quand un incendie a fait deux morts.

Vue générale de la décharge de Mbeubeuss dans la banlieue de Dakar. L ©  Sylvain Cherkaoui/Cosmos

S’ils sont les plus nombreux à Mbeubeuss, les récupérateurs ne sont pas les seuls à tirer profit de l’exploitation des déchets ménagers. Deux entreprises privées, chinoises, sont installées en bordure de la décharge et vivent de la revalorisation des objets récupérés. Un nouveau site de tri et de valorisation des déchets devrait voir le jour d’ici à juin 2018. L’initiative, privée elle aussi, est portée par 14 associés, dont certains sont des employés de l’UCG, ainsi que l’homme d’affaires suisse Patrick Roussillon. « Dakar et sa banlieue représentent 80 % des déchets du Sénégal. Il s’agira d’abord de mettre en place des conteneurs de tri dans les quartiers de Dakar et de racheter les ordures aux camions à la place de l’UCG », fait valoir ce dernier. Dans l’équation, on peine encore à trouver l’État sénégalais. Pourtant, l’Unité mène actuellement une étude de faisabilité et un recensement des acteurs de la décharge pour une restructuration de celle-ci.

Avec un appui de la Banque mondiale estimé à 100 millions de francs CFA, l’Unité souhaite créer un centre de tri et monter une clôture. L’unique moyen de contrôler les accès et de lutter notamment contre le travail des enfants à Mbeubeuss. Pour autant, une fois le site réorganisé, le travail des récupérateurs restera informel, donc sans perspective de sécurité sociale ou d’équipement fourni. « L’UCG ne peut pas équiper tout le monde », admet Lamine Kebe, coordonnateur de l’UCG à Dakar.

« Mbeubeuss est une bombe écologique et une nuisance pour les communes alentour, reconnaît-il, mais on ne peut pas la fermer, nous n’avons aucun autre endroit où la transférer. » S’il promet une transformation progressive de Mbeubeuss, le Sénégal a le besoin urgent d’une politique étatique effective en matière de gestion et de valorisation des déchets. Pour ses travailleurs, mais aussi pour l’environnement du pays dont l’un des volets du Plan Sénégal émergent (PSE) ambitionne de faire de Dakar l’une des capitales les plus propres d’Afrique.

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