Nathalie Zanzola
Lâm Duc Hiên, ex boat-people réfugié en Saône-et-Loire, est aujourd’hui photographe de renom. Il a parcouru le monde entier, sur de nombreuses zones de conflits et crises humanitaires. Reporter sans frontières, arpenteur du chaos humain, il noue un lien particulier avec le Kurdistan irakien et ses habitants dès 1991. Le film “Kurdistan mon amour” raconte ce parcours émouvant.
Un boat-people réfugié en France devenu un photographe de renom
Lâm Duc Hiên est né au Laos de parents vietnamien, il est ce qu’on appelle un « boat people ». Il fuit le pays en 1975 après la victoire du Pathet-Lao et passe 2 ans dans des camps de réfugiés en Thaïlande.
De cet exil et de ces années passées dans ce camp, il garde une cicatrice profonde dont il a du mal à parler. Dans sa culture asiatique, on ne parle pas des choses qui font souffrir.
J’allais chercher le soulagement, des réponses dans la guerre des autres.Lâm Duc Hiên
Il arrive en France en 1977 et est accueilli avec sa famille à Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire en 1978. De nombreux réfugiés laotiens sont déjà sur place, notamment la famille de son ami Ngân, (alias Boston), qui était dans le même camp de réfugiés en Thaïlande.
A Montceau-les-Mines, l’intégration de ces réfugiés se fait sans problème. La ville est à l’époque une ville minière et de nombreuses nationalités (Italienne, Polonaise, Turque, Portugaise…) cohabitent.
Diplômé des Beaux-Arts, il devient photographe et suit des organisations humanitaires. Il couvre la Roumanie libérée du joug de Ceausescu, la Russie, les zones de conflit : Mauritanie, Kurdistan, Soudan…
La photographie, un miroir à sa propre histoire
En 1990, la route de Lâm Duc Hiên croise celle des humanitaires : un long compagnonnage commence, d’Équilibre à Médecins du Monde, de la Roumanie au Rwanda, de la Russie au Sud Soudan, et surtout en Irak dont il couvre le territoire depuis 30 ans.
Lâm Duc Hiên photographie les premiers réfugiés kurdes dans les montagnes situées entre le Kurdistan et la Turquie en 1991. Dans la série de photos qu’il prend à l’époque en argentique, l’une d’elles le marque à jamais, malgré la mauvaise qualité du cliché. C’est celle d’une femme qui tend la main avec un regard désespéré : Cette photo me parle…je voyais ma mère quand on traversait le Mekong la nuit, on était dans la boue et il fallait courir pour ne pas se faire tirer dessus par les soldats.
Depuis la fuite de sa famille en Thaïlande, c’est la première fois qu’il retrouve la réalité d’un camp de réfugiés. Il est de nouveau confronté aux cauchemars de son enfance : la peur, la faim, les familles déchirées.
A partir de ce jour, il décide de faire de la photographie pour montrer la situation à ceux qui ne la connaisse pas. A cette époque, personne n’en parlait et pour lui, le pire est l’ignorance de la souffrance des autres : Un moment j’ai compris que je me photographiais moi, c’est mon histoire personnelle.
Selon Lâm Duc Hiên, l’art doit avoir un sens et dans chacune de ses images, il y a souvent une part de lui-même.
Une relation intime avec le Kurdistan et ses habitants
Quand Lâm Duc Hiên arrive au Kurdistan en 1991, les Kurdes fuient Saddam Hussein.
Photographe pour EquiLibre, une ONG française, Il se retrouve dans les montagnes avec eux, en plein chaos, dans l’attente des camions de ravitaillement. Cette mission humanitaire est un déclencheur pour Hiên qui tisse avec ce pays des liens indéfectibles. Un pays où il revient régulièrement depuis 30 ans : c’est un peu l’œuvre de ma vie.
Profondément touché par le destin du peuple Kurde qui lui rappelle sa propre histoire de réfugié, il noue une véritable amitié avec cette population. Parmi eux se trouvent des enfants, des anciens peshmergas (littéralement “ceux qui affrontent la mort “), des cadres de l’armée…
Le travail de Lâm Duc Hiên au Kurdistan a été récompensé par le prestigieux World Press en 2001.
Le photographe et l’enfant
Khazwam, réfugié Yézidi (minorité kurde non-musulmane), ex-enfant soldat de l’État Islamique fait partie des personnes auxquelles le photographe est très attaché. Hiên ne peut s’empêcher de voir sa propre histoire dans celle du petit Yézidi.
Sur le visage de cet orphelin on voit clairement les terribles années où il était devenu un esclave, un enfant-soldat dans les griffes de Daech.
Il n’a que 13 ans et pourtant de profondes rides entourent son large sourire et son regard malicieux. Il raconte avec pudeur son histoire au photographe. Quand Daech arrive dans son village ils tuent tous ceux qui ne sont pas musulmans. Pour sauver sa vie, le jeune garçon décide de se déclarer musulman. Il est ensuite vendu plusieurs fois avant de se retrouver en Syrie, dans une maison où il doit faire la prière. A cet endroit se trouve un groupe de combattants dont il devient l’assistant. Il doit nettoyer leurs armes et faire le ménage chez eux. Il détaille avec minutie le nettoyage d’une kalachnikov devant le regard médusé du photographe. Il avoue que ce groupe lui a même appris à tirer. Il a également porté une ceinture explosive, car il devait être prêt à tuer les « koufar » (mécréants).dont font partie les Yézidis selon les extrémistes de Daech. Le petit Khazwam, était donc destiné à tuer les membres de sa communauté. Très pudique, Khazwam ne s’étend pas sur ses conditions de vie au sein de ce groupe.
Ce jeune garçon, Lâm Duc Hiên vient le retrouver à chacune de ses visites dans le pays. Après 1 an ½ d’absence il le retrouve à Sharya, au nord-est du Kurdistan irakien. Le jeune garçon a retrouvé son jeune frère Barzan, prisonnier de Daesh pendant 6 ans. Khazwam vit désormais dans une maison avec ses frères et sœurs dans leur village du Sinjar. Les retrouvailles entre le photographe et les enfants restent toujours bouleversantes pour lui.
Lâm Duc Hiên est très inquiet pour ces enfants.
Ils sont retournés dans l’enfer, entouré de violence…ces enfants étaient captifs et éduqués par Daesh…ils peuvent basculer dans le Bien ou le Mal.Lâm Duc Hiên
Le cas de Khazwam n’est pas isolé, des centaines d’ex-enfant-soldats, aujourd’hui orphelins et sans liaison avec une famille occidentale, restent sans avenir dans les camps de réfugiés en Irak.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime que sur 6 000 femmes et jeunes filles enlevées par L’Etat Islamique, 1 400 sont toujours portées disparues.
En mai 2019, le nombre de personnes disparues yézidies est estimé à 3 000, principalement des femmes et des enfants.
Le film documentaire “Kurdistan mon amour” est l’histoire d’un écorché vif, qui puise sa créativité dans les yeux d’un peuple sans pays, et qui comme lui cherche son identité.
“Kurdistan mon amour”, un film de John Paul Lepers
Coproduction France Télévisions / ON Y VA ! media
♦ Diffusion jeudi 10 février en deuxième partie de soirée et lundi 28 février à 9h50