C’est une disparition silencieuse dont personne ne parle : selon The Language Conservancy, une ONG de défense des langues indigènes aux États-Unis, 61% des langues parlées en tant que première langue dans le monde en 1795 sont désormais condamnées ou éteintes ; et quelque 1 500 langues – sur les 7 000 actuellement parlées dans le monde dont un tiers sont abritées en Afrique – auront disparu d’ici la fin du siècle, estime de son côté la Brock University, dans un court article publié le 8 février. En Afrique, ce sont 10 % des langues qui devraient disparaître d’ici un siècle, d’après l’Atlas des langues en danger dans le monde de l’Unesco.
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Face à ce constat, l’ONU a lancé en 2022 la Décennie des langues autochtones (2022-2032). « Avec les langues autochtones disparaît inévitablement un ensemble de connaissances environnementales, technologiques, sociales, économiques et culturelles que ses locuteurs ont accumulées et codifiées au fil des millénaires », s’alarme German Freire, spécialiste du développement social à la Banque mondiale, et interrogé en 2023 par le média Sustainabilty for all.
L’accélération de cette hécatombe est connue : la colonisation, en imposant la langue du colon, a largement contribué à faire disparaître les cultures autochtones et les langues vernaculaires. Le linguiste burundais Jean Ntakirutimana (Brock University) indique que « la mondialisation a poursuivi cette tendance ». Les langues des puissances coloniales ont par ailleurs introduit des concepts étrangers comme les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver) dans des régions où il n’en existe que deux…
Mais un autre péril menace, celui du réchauffement climatique qui pourrait être « le dernier clou dans le cercueil », expliquait en 2023 la journaliste Karen McVeigh, dans une enquête sur le sujet publiée dans The Guardian. En premier lieu, la montée des eaux va inévitablement créer de nombreux déplacements de population. « La migration de personnes qui en résulte entraîne une fragmentation des communautés linguistiques », explique Karen McVeigh. Le changement climatique pourrait aussi affecter la compréhension des langues, comme l’explique Jean Ntakirutimana : « Par exemple, le mot kirundi pour le mois d’avril est Ndamukiza, ce qui signifie vaguement “saluez les voisins pour moi parce que je ne peux pas traverser la rivière pour venir leur dire bonjour”, parce que les rivières débordaient à cause de la saison des pluies. De nos jours, la rivière déborde à différents moments de l’année, donc la signification du mois a été complètement perdue. Allons-nous changer les noms des mois dans les années à venir ? »
La disparition d’une langue et tout ce qu’elle véhicule n’est pas une fatalité. « Dans les années 1970, rappelle The Guardian, il ne restait plus que 2 000 locuteurs natifs de l’hawaïen, la plupart dans la septième décennie de leur vie, mais les défenseurs ont lancé des « écoles d’immersion », où les enfants apprennent en hawaïen. Aujourd’hui, plus de 18 700 personnes le parlent. En Nouvelle-Zélande, seulement 5 % des jeunes Maoris parlaient cette langue dans les années 1970, mais grâce en grande partie aux efforts des Maoris, soutenus par le gouvernement, plus de 25 % la parlent désormais. »