Deux gros films passent sous les radars de nos critiques et chacun porte en lui une part d’histoire familiale : celle d’un père de famille, commandant d’Auschwitz dans “La zone d’intérêt” de Jonathan Glazer, et celle de quatre frères, rois du catch dans “Iron Claw” de Sean Durkin.
- Thierry Chèze Journaliste, critique de cinéma, directeur de la rédaction du magazine Première, animateur de télévision et de radio
- Charlotte Garson Rédactrice en chef adjointe des Cahiers du cinéma
Place à la critique et à deux films qui nous plongent tous les deux dans l’espace étouffant d’une famille… Cependant, la comparaison s’arrête là car le premier, Grand Prix au Festival de Cannes, prend place chez la famille Hauss, famille nazie installée à côté du camp d’Auschwitz dans La zone d’intérêt de Jonathan Glazer. L’autre nous plonge dans l’univers viril et mascu du catch américain sous le joug d’un père tyrannique, c’est Iron Claw de Sean Durkin.
“La Zone d’intérêt” de Jonathan Glazer
Avec Sandra Hüller et Christian Friedel
Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans un pavillon avec jardin à côté du camp. Petits déjeuners, tâches domestiques, fêtes de famille et baignades en rivière rythment leur quotidien comme si de rien n’était. De fait, à l’écran, le camp d’Auschwitz reste en hors-champ. De lui, on ne voit qu’un mur ou de la fumé, seuls percent des cris et des coups de feu.
En cela, le réalisateur Jonathan Glazer, pour son quatrième et très attendu long métrage, respecte l’interdit formulé par Claude Lanzmann, “ne pas représenter ni fictionaliser la Shoah”, mais il respecte aussi la thèse d’Anna Arendt de “révéler la banalité du mal”. Ici, la zone d’intérêt, les 40 kilomètres qui encerclent le camp, est un huis clos, un dispositif de surveillance des bourreaux, une mise en scène maîtrisée et un Grand Prix au festival de Cannes.
Shoah de Claude Lanzmann est disponible sur le site de France.tv jusqu’au 2 mars 2024.
L’avis des critiques :
- Thierry Chèze a beaucoup aimé la manière qu’a le film d’interroger le spectateur : “Plus que sur la Shoah, c’est un film sur sa représentation. En tant que spectateur, on n’arrête pas de se poser des questions, on est attentif au moindre détail, j’aime que ce film questionne, c’est ce qui le rend vivant”. Il souligne également la prestation de Sandra Hüller dans le rôle de la femme du commandant : “Je l’ai trouvé très impressionnante, il n’y a que les comédiennes de son niveau qui peuvent arriver à cet exploit là”.
- Charlotte Garson a trouvé le film “bien écrit, rusé, bien mis en espace”. Mais cette mise en espace a aussi des limites, selon elle : “Ce qui nous apparaît comme une installation, un pur dispositif, pose la question non plus de l’espace, mais du temps, le film dure 1h45, c’est pour moi un gros problème”. Si la critique salue le travail d’installation du cinéaste, elle ajoute que le spectateur peut vite en venir à bout : “Une fois qu’on a compris que tout va être présent dans le son, on a une matière d’ambiance un peu ‘creepy’ [effrayant]”.
À écouter : Sandra Hüller, actrice : “J’ai choisi de ne rien donner à ce personnage de reine d’Auschwitz”
Les Midis de Culture
39 min
“Iron Claw” de Sean Durkin
Avec Zac Efron, Jeremy Allen White, Harris Dickinson, Stanley Simons et Lily James
L'”iron claw” ou l’étau de fer est une figure de catch qui consiste à enserrer le crâne de son adversaire au sol, mais elle est aussi une métaphore de l’emprise qu’exerce le père du clan Von Erich sur ses quatre fils. Son but ? Les faire devenir des champions du catch, coûte que coûte, car dans cette Amérique texane des années 80, virile et musclée, être faible relève de la tragédie, en témoigne l’histoire vraie de cette famille Von Erich dont s’est inspiré le réalisateur Sean Durkin pour son troisième long métrage. Une famille maudite, déchirée par les suicides des fils, mais d’autant plus liée par l’amour fraternel.
Ici, les acteurs sont body buildés, oubliez le Zac Efron qui sévissait chez Disney, la masculinité est toxique, les émotions spectaculaires sur les ring, mais étouffées en famille.
L’avis des critiques :
- Thierry Chèze est conquis : “C’est le film qui m’a le plus emballé cette année, sûrement parce que je n’en attendais pas grand chose”. Il est dithyrambique : “Il y a un vrai attachement, on arrive à faire vivre tous les personnages, il y a une manière de partir de tout ce qui est physique qui fait qu’on est emporté”. L’émotion était à son comble : “J’ai été impressionné par ce film, je me suis surpris à être très ému : j’ai fini dévasté et en larmes”.
- Charlotte Garson est moins enthousiaste : “Il y a une sorte de familiarité un peu molle et tiède”. Mais elle nuance : “Je trouve beau ce qui se joue sur la fratrie, entre la ressemblance et la dissidence, on peut sentir leur densité physique qui va avec une grande intuition de ce qu’est le jeu d’acteur lorsqu’il est incarné”. De manière générale, elle salue le film, qui est “très réussi sur ce que c’est d’être un frère”.
Extraits sonores :
- Extrait du film La zone d’intérêt de Jonathan Glazer
- Extrait du film Iron Claw de Sean Durkin
L’équipe
- Géraldine Mosna-SavoyeProduction
- Nicolas Herbeaux Production
- Aïssatou N’Doye programmateur
- Anaïs Ysebaert programmateur
- Cyril Marchan programmateur
- Nicolas Berger Réalisation
- Laura Dutech-Perez Collaboration
- Manon de La Selle Collaboration
- Zohra Vignais Collaboration