Alors que des chercheurs ont annoncé jeudi que 2023 serait l’année la plus chaude jamais enregistrée, les pourparlers à Dubaï autour de la sortie des énergies fossiles restent au point mort. À cinq jours de la fin du sommet, des manœuvres dilatoires bloquent toute décision.
8 décembre 2023 à 13h44
AprèsAprès un festival d’annonces et de discours politiques grandiloquents, les négociations climatiques sont entrées dans le dur à la 28e Conférence internationale sur le climat (COP28). Et à cinq jours de la clôture du sommet diplomatique, les pourparlers patinent.
Le raout onusien avait pourtant démarré sur les chapeaux de roue avec, dès le premier jour, la concrétisation d’un fonds pour les « pertes et dommages », c’est-à-dire des dégâts irréversibles causés par les événements climatiques extrêmes.
Ce mécanisme de solidarité des pays historiquement les plus émetteurs à l’égard des États les plus touchés par les dérèglements climatiques a été acté l’an dernier à la COP27 mais son opérationnalisation était sujette à d’intenses débats. « Cela a été une immense victoire diplomatique car c’est une attente des pays du Sud depuis trente ans, explique Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de Care France. L’argent demeure toutefois le nerf de la guerre et, pour l’instant, le compte n’y est pas. »
Au 8 décembre, les pays ont promis au total près de 700 millions de dollars pour abonder ce fonds – la France a fait une promesse de 100 millions d’euros. Une goutte d’eau dans l’océan de la justice climatique, car le coût des destructions liées au chaos climatique pourrait atteindre les 580 milliards de dollars par an d’ici à 2030.
Idem pour le Fonds « adaptation ». Pour le moment, la COP28 est parvenue à rassembler à peine 158 millions de dollars pour aider les pays du Sud à s’adapter aux canicules ou aux pluies diluviennes qui deviennent, avec l’élévation des températures, plus intenses et plus fréquentes.
C’est presque deux fois moins que l’objectif initial annoncé. Pourtant, d’après un récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, le financement de l’adaptation au changement climatique nécessiterait des montants 10 à 18 fois plus importants que ce que les nations les plus pauvres perçoivent actuellement. « Les 55 économies les plus vulnérables du point de vue climatique ont déjà subi des dommages à hauteur de plus de 500 milliards de dollars au cours des deux dernières années », rappelle l’ONU.
Dans ce paysage diplomatique peu reluisant, l’annonce d’un groupe de travail pour instaurer des taxes sur le principe du pollueur-payeur afin de financer l’action climatique est à souligner. Cette « task force » est composée de cinq gouvernements – France, Kenya, Barbades, Antigua-et-Barbuda, Espagne –, de la Commission de l’Union africaine et de la Commission européenne. Les ONG écologistes espèrent que la taxation des multinationales fossiles ou du très émetteur transport maritime débouche de ces discussions.
Un texte phare cristallise cependant toutes les tensions. Intitulé en langage onusien Global Stocktake, il s’agit de la réponse technique et politique du tout premier « bilan global » de la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat de 2015.
Ce mécanisme d’évaluation, prévu tous les cinq ans, doit servir à redéfinir une feuille de route pour le renforcement des plans climat nationaux afin de garder la limitation du réchauffement à + 1,5 °C à portée de main. Publié en septembre par les Nations unies, ce bilan mondial résume la liste des mesures climatiques prioritaires à déployer comme « la montée en puissance des énergies renouvelables » ou « l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles », avec, dans le viseur, l’amélioration des plans climat de chaque État pour 2025.
Les énergies fossiles, pierre d’achoppement
C’est que la marge de progrès reste énorme. Pour l’instant, les politiques climatiques des nations nous condamnent à un réchauffement compris entre + 2,1 et + 2,8 °C d’ici à la fin du siècle. Les engagements actuels de la communauté internationale conduisent à 2 % de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des 43 % préconisés pour rester sous la barre de 1,5 °C.
Longue de 24 pages, la première mouture du Global Stocktake est à l’heure actuelle une coquille vide, dépliant de multiples engagements potentiels autour desquels les délégué·es s’écharpent.
Pour l’instant, le triplement de la production des énergies renouvelables d’ici à 2030 sera très certainement inscrit dans cet accord final. L’Union européenne (UE), les États-Unis et les Émirats arabes unis sont en effet parvenus à rassembler 123 pays autour de cette mesure. « Avec cet objectif mondial, on envoie un message très fort en direction des investisseurs et des marchés financiers. On montre le sens de la marche », s’est félicitée la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Mais cette avancée ne doit pas faire oublier l’éléphant dans la pièce des négociations : la fin des énergies fossiles.
Le paragraphe 35 du Global Stocktake, qui traite de cette question épineuse,est devenu ces derniers jours la pierre d’achoppement de la COP28, avec plusieurs options sur la table.
Technologies de décarbonation
La plus ambitieuse mentionne « une sortie juste et coordonnée des énergies fossiles » – sans aucune précision de date. Cette position est défendue par l’UE, qui peut s’appuyer sur plus d’une vingtaine de pays s’étant publiquement prononcés en faveur de la fin du pétrole, du gaz et du charbon.
D’autres options proposent dans le document de travail « d’accélérer les efforts en vue de la sortie des énergies fossiles » ou encore « l’élimination rapide, dans la décennie, des centrales au charbon non équipées de systèmes de capture de CO2 ». Cette dernière mention, clairement pro-business, ouvre la porte aux controversées technologies de décarbonation de l’industrie fossile, qualifiées encore récemment de « fantasme » par Fatih Birol, le patron de l’Agence internationale de l’énergie et que les études pointent comme un mirage technosolutionniste.
Les États-Unis, qui ont déjà apporté près de 200 modifications et commentaires à ce brouillon de texte, la Russie ou le Canada font de la défense de ces dispositifs de piégeage du CO2 une de leurs priorités diplomatiques.
Nous avons un texte de départ sur la table, mais c’est un empilement de vœux plein de postures.
Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat
Quant à la Chine, l’Inde ou les pays arabes producteurs de pétrole, ils militent pour une suppression pure et simple de toute mention des énergies fossiles dans le Global Stocktake,l’Arabie saoudite allant jusqu’à déclarer que le paragraphe 35 du texte était pour elle un véritable « traumatisme ».
Ces positions ont passablement énervé Simon Stiell, à la tête de l’ONU Climat qui, le 6 décembre, a accusé les pays de camper sur leurs positions. Et d’ajouter : « Nous avons un texte de départ sur la table, mais c’est un empilement de vœux plein de postures. »
« Si nous ne parvenons pas à obtenir un bilan mondial solide, il sera beaucoup plus difficile de quitter cette COP en affirmant que nous pouvons rester sous la limite de 1,5 °C. Si nous échouons, les conséquences seront catastrophiques »,s’est pour sa part inquiété Cedric Schuster, ministre de l’environnement des Samoa et président de l’Alliance des petits États insulaires (Aosis). Cette coalition de nations fortement menacées de disparition par la montée des eaux veut sortir des négociations par le haut en demandant à coller aux trajectoires de décarbonation du Giec, qui appelle à réduire de près de moitié les émissions mondiales d’ici à 2030.
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« Pour le moment l’Aosis et des pays de l’Amérique du Sud comme la Colombie comptent sur les nations européennes pour tenir bon durant les pourparlers autour de ce paragraphe 35 car l’UE est vraiment le bloc le plus puissant pour porter la sortie des énergies fossiles », résume Arnaud Gilles, chargé climat chez WWF France.
Ce vendredi 8 décembre, l’arrivée des ministres des différents pays dans l’arène des négociations doit donner un nouvel élan politique à la COP28. Et après la révélation de l’accréditation de 2 456 lobbyistes des énergies fossiles pour ce sommet – un nombre record –, un nouvel électrochoc devrait ramener les délégué·es à la réalité climatique : hier, la communauté scientifique a officiellement annoncé que 2023 serait l’année la plus chaude jamais enregistrée.