Première Amérindienne à occuper un ministère dans toute l’histoire de son pays, Sônia Guajajara est la nouvelle ministre des peuples autochtones du Brésil. À Mediapart, elle explique être venue à la COP28 de Dubaï pour convaincre de l’importance de protéger les terres indigènes et les forêts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
2 décembre 2023 à 11h50
AprèsAprès quatre ans de lutte contre le président Jair Bolsonaro, qui a méthodiquement démantelé les droits indigènes pour faciliter l’exploitation des ressources forestières, Sônia Guajajara a été la première personnalité autochtone à devenir ministre au Brésil.
En début d’année, elle a en effet été nommée par Lula, réélu fin 2022, à la tête d’un nouveau portefeuille : le ministère des peuples autochtones.
Activiste au sein de l’Apib (Articulação dos Povos Indígenas do Brasil), la coordination du mouvement indigène brésilien, élue députée fédérale au scrutin législatif de 2022, Sônia Guajajara vient d’atterrir à Dubaï, aux Émirats arabes unis, afin de participer à la 28e Conférence internationale pour le climat (COP28).
Dans un entretien accordé à Mediapart, elle revient sur les propositions climatiques qui sont défendues par le Brésil et plus particulièrement par son ministère lors de ces négociations onusiennes qui se tiendront jusqu’au 12 décembre prochain.
Mediapart : Quelle est la réalité climatique du Brésil aujourd’hui ? Qui souffre le plus des impacts du changement climatique dans votre pays ?
Sônia Guajajara : Les dérèglements climatiques sont en train d’impacter de façon dramatique toutes les régions du Brésil. Une vague de chaleur a récemment frappé le pays, avec près de 60 °C ressentis à Rio de Janeiro. La forêt brésilienne et le fleuve Amazone ont subi une sécheresse sans précédent, et un mégafeu a ravagé dernièrement le sud du Brésil.
Les zones les plus touchées par ces événements climatiques extrêmes sont les territoires forestiers riches en biodiversité où vivent les peuples autochtones, mais aussi les périphéries des métropoles, où habitent les Brésiliens les plus précaires.
2023 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée sur terre. Mais il faut bien s’ancrer dans nos têtes que, dans le futur, 2023 sera perçue dans notre mémoire collective comme une des dernières années froides vécues par l’humanité.
Cette catastrophe en cours nous démontre qu’il est urgent de bousculer le statu quo et d’obtenir des avancées concrètes durant les négociations diplomatiques de la COP28 pour enfin lutter contre les dérèglements climatiques.
Quelle importance pour vous, et les peuples autochtones que vous représentez, d’être à Dubaï ?
Depuis la COP15 de Copenhague (Danemark) en 2009, une délégation de peuples autochtones brésiliens est présente durant les pourparlers. Au début, nous n’étions qu’une poignée pour tenter de visibiliser ne serait-ce que notre existence et faire entendre les voix des peuples indigènes. Mais aujourd’hui à Dubaï, c’est la plus grosse délégation de l’histoire des COP qui est là, avec une centaine de représentants venus sous l’égide du gouvernement ou encore du mouvement indigène brésilien.
Notre principale revendication portée durant cette COP28 est la démarcation des terres des peuples indigènes du Brésil [un droit reconnu par la Constitution brésilienne et toujours en cours de réalisation – ndlr] afin de les protéger de l’exploitation illégale du bois et de l’extractivisme minier, qui détruisent nos territoires.
Le temps du climatoscepticisme de Jair Bolsonaro est révolu.
Délimiter ces terres forestières sous la responsabilité directe des populations autochtones est une réelle solution climatique pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre car les stocks de carbone en réserve dans les territoires indigènes brésiliens sont très importants.
Cette dernière décennie, onze territoires autochtones ont été l’objet d’une démarcation officielle de la part de l’État brésilien. Depuis la création du premier ministère des peuples autochtones en janvier 2023 à la suite de l’élection de Lula, huit nouvelles terres indigènes ont été délimitées.
Que va défendre en priorité le Brésil à cette COP28 ?
Premièrement, nous sommes présents à cette COP pour faire savoir à la communauté internationale qu’au Brésil, le temps du climatoscepticisme de Jair Bolsonaro est révolu.
Une des priorités portées ici par le gouvernement sera la lutte contre la déforestation de l’Amazonie bien sûr, mais aussi du Cerrado, une région de savane menacée par l’agriculture intensive. Depuis le départ de Bolsonaro, la déforestation a déjà chuté de 20 et 40 % dans certains États comme celui de Rondônia ou du Para. Sur mes terres, le territoire autochtone Araribóia (dans l’État du Maranhão, situé dans le nord-est du pays), l’exploitation illégale du bois a été quasiment stoppée.
Nous venons donc à Dubaï pour montrer que cette mise à l’agenda national de la protection des forêts contribue à réduire les émissions, qu’il est possible de lutter pour le climat en sauvegardant les territoires riches en biodiversité.
Le Brésil veut montrer par l’exemple que défendre les droits des peuples autochtones, c’est aussi défendre le climat.
La fin des énergies fossiles sera aussi au centre de cette COP. Au Brésil, la compagnie pétrolière nationale Petrobras a enregistré en 2022 un profit record de 36 milliards de dollars…
Il faudra mettre sur la table des négociations l’obligation pour les entreprises productrices d’énergies fossiles de réduire leurs émissions.
Le Brésil doit produire des énergies renouvelables et cette transformation énergétique doit aussi être opérée par les pétroliers. C’est de toute façon le seul chemin possible.
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Le Brésil est en première ligne des velléités de compensation carbone des multinationales. La valeur financière attribuée au carbone stocké par la forêt amazonienne est énorme. Que pensez-vous des marchés carbone, de plus en plus présentés comme une solution face aux dérèglements climatiques ?
Les projets de compensation carbone actuels marchandisent la terre. Ces initiatives ne doivent pas être imposées aux populations, ni faire l’objet de transactions financières abusives au détriment des peuples autochtones.
Les marchés carbone doivent encore être discutés durant les COP pour être mieux encadrés, mieux régulés et plus respectueux des droits humains.
On parle de compensation carbone face au réchauffement global, mais je rappelle qu’une solution existe déjà : protéger les territoires autochtones qui représentent des puits de carbone indispensables à l’équilibre climatique.
La table des négociations mondiales sur le climat demeure extrêmement ségréguée…
Effectivement, et on essaie avec le Brésil, avec le ministère des peuples autochtones, d’avoir une COP plus diversifiée, plus inclusive.
Le chemin à parcourir est encore long afin que les sommets internationaux sur le climat accueillent tous les peuples et toutes les cultures du globe.
Mais cette année, pour la première fois, les peuples autochtones sont assis à la table des négociations et participent à l’élaboration des accords diplomatiques. C’est une énorme avancée pour nous.