Analyse
Le président de la République a appelé les familles à se confiner pour freiner l’épidémie de coronavirus. Mais que se passe-t-il quand celle-ci est défaillante ou quand l’enfant en a été retiré par la justice ?
- Emmanuelle Lucas,
Le confinement renvoie chacun à des situations familiales très inégales. Dans un certain nombre de cas, rares, la famille est le théâtre de maltraitances. evgeny atamanenko/JenkoAtaman – stock.adobe.com
Depuis ce mardi 17 mars, les familles sont confinées partout en France. Les enfants ne vont plus à l’école, les parents restent travailler chez eux, et ils se côtoient donc en permanence. Une solution, maillon essentiel dans la lutte contre le coronavirus, qui pose des questions inédites à la protection de l’enfance.
En effet, le confinement renvoie chacun à des situations familiales très inégales. Dans un certain nombre de cas, rares, la famille est le théâtre de maltraitances. Dans d’autres, l’enfant en a été séparé et confié aux services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Comment dès lors s’assurer que la lutte contre le coronavirus ne se fera pas au détriment des droits de chaque enfant ?
Une source de violence
Les écueils sont nombreux. Premier sujet d’inquiétude : réunir 24 heures sur 24 des familles parfois très fragiles peut constituer une source de violences. « On sait très bien que la plupart des maltraitances sur enfant ont lieu dans le cadre familial, note Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). On peut redouter que ce confinement se double d’un pic de violences intrafamiliales. » Le jeune militant, ancien enfant placé, exhorte donc chaque Français à faire œuvre de civisme sur ce sujet aussi. « Il faut appeler le 119 dès lors que l’on a un doute. » Le gouvernement, de son côté, rappelle que ce numéro d’appel va continuer à fonctionner en permanence pendant la toute la période du confinement.
Deuxième pan du problème : comment bien accompagner les jeunes déjà placés à l’heure où les services de l’Aide sociale à l’enfance, les associations et la justice tournent au ralenti ? Alors même qu’il est en théorie impossible de renvoyer ces enfants chez eux, cette solution est parfois retenue. « Certains jeunes placés vont être confinés chez leurs parents, témoigne le juge pour enfants Laurent Gebler. L’ASE nous demande l’autorisation de faire sortir les jeunes les moins en difficulté pour se concentrer sur les plus fragiles. »
Parfois, il manque jusqu’à 50 % des éducateurs
La situation est en effet critique dans certaines maisons d’enfants à caractère social. Il y manque parfois jusqu’à 50 % des éducateurs, qui restent à la maison garder leurs propres enfants. Dans les villages d’enfants, ce n’est en revanche pas le cas car « le personnel est là, puisqu’il est rôdé à travailler plusieurs jours d’affilée », comme l’explique Marc Chabant, directeur développement d’Action enfance.
Au ministère, on assure avoir conscience de cet effet du confinement sur les familles les plus fragiles. « Nous avons demandé à Matignon de permettre aux personnels de ce secteur de bénéficier de modes de garde pour leurs enfants, comme le personnel médical, explique le cabinet du Secrétaire d’État Adrien Taquet, nous attendons les arbitrages. » En attendant, les services s’organisent comme ils peuvent. En Gironde, par exemple, les futurs travailleurs sociaux et éducateurs non-diplômés sont réquisitionnés.
Et palier l’absentéisme des éducateurs n’est pas la seule urgence. L’autre concerne les décisions judiciaires d’aide éducative à domicile, qui imposent à certaines familles en grandes difficultés d’être suivies par des travailleurs sociaux. Et qui ne peuvent plus être appliquées non plus. « Avec le confinement et l’interdiction de déplacements, les travailleurs sociaux ne vont plus chez les gens, développe Laurent Gebler, rejoint par plusieurs responsables associatifs. Les mesures de contrôle et les aides décidées par la justice sont vidées de leur effet ».
« Les Préfets contraindront à prendre les mesures nécessaires »
Le dernier problème, et non des moindres, ce sont les « sorties sèches », qui renvoient les jeunes à la rue dès le jour de leurs 18 ans.Là, le ministère affiche sa fermeté : « Si nous savions que certains départements laissent les jeunes sans solution en ce temps de confinement, alors les Préfets les contraindront à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’accueil de ces jeunes jusqu’à la fin de l’épidémie ».
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Et déjà des solidarités s’organisent. Lyes Louffok lance avec d’autres anciens enfants placés une « task force » d’entraide (1). « Si besoin, nous organiserons l’accueil », assure le jeune homme. À Paris, Dominique Versini, élue à l’enfance, explique se battre aux côtés des associations sur la question des mineurs non accompagnés. « On n’est plus en mesure d’évaluer leur âge faute de personnel disponible. Mais on va ouvrir un gymnase pour les jeunes qui demandent à être évalués. On aura peut-être aussi une équipe qui se déplacera pour repérer ces jeunes dans la rue. »