Pour acheter un billet de train, je fais l’âne (1) et je vais au guichet de la gare. Et encore, j’ai de la chance, il y a encore un guichet et une gare dans ma ville et je peux ainsi me permettre de faire l’âne. Il y a encore des guichets mais quasiment plus personne derrière, en revanche, ils sont une demi-douzaine à l’entrée de la salle prê-t-es à vous conseiller mais surtout à vous aider à utiliser les ordinateurs où vous devez, seul, faire l’achat. Et de fait ils se coupent l’herbe sous le pied car la prochaine fois, soit le ” client ” fera l’opération seul, chez lui, sur son ordi s’il est équipé, soit il se débrouillera là, seul, sans chaperon et du coup, on pourra virer les ” conseillers ” qui seront Gros Jean comme devant. J’ai un peu perdu mon calme et insisté pour être servi au guichet, quitte à poireauter quelques minutes. Seuls deux des 10 guichets de la salle était ouverts, à ma dernière visite, il y en avait encore 5 ou 6, la fin approche. Je m’en suis ouvert à l’une des conseillères qui m’a avouée son impuissance et sans doute son fatalisme. J’imagine que ces réductions de poste et cette automation font, ou devraient tout du moins, faire gagner des points de productivité à la SNCF et partant, baisser le prix des billets afin de regagner des parts de marché sur la voiture et les bus macron par exemple. Mais il n’en est rien et j’ai pu en juger très vite avec mon aller retour pour une petite ville du département voisin, plus de 3X plus cher que si je prends ma voiture et aucun péage…cherchez l’erreur…
Mais cette logique me poursuit quelques minutes plus tard dans le mini super marché du quartier où je vais faire quelques indispensables courses. Là aussi, il faut résister aux caisses automatiques, la stratégie étant sensiblement la même: on réduit le nombre de caisses ouvertes, on y allonge donc les queues aux heures de pointe et on pousse le chaland pressé vers la caisse automatique. Au début, comme précédemment, on vous aide le cas échéant, jusqu’à la formation de tous les clients qui un jour seront seuls dans la boutique avec un ou deux vigiles et le tour est joué. Là non plus, ça ne fait pas baisser les prix, le jeune SDF qui vient d’acheter sa bière à l’unité en fait la remarque à la caissière, car lui non plus ne passe pas par les caisses automatiques. Au moins il peut échanger quelques mots…
Et que vont devenir tous ces employé-e-s/travailleur-eu-r-s quand ce processus sera arrivé à son terme. On sait que l’automation dans l’industrie anciennement dite manufacturière a permis des gains de productivité très conséquents, l’introduction de l’IA, intelligence artificielle, en remet une couche, le tout produit du chômage technologique. L’agriculture en est un des exemples parmi les plus frappants, l’agro industrie devrait encore perdre 40 000 emplois d’ici 2030. Au final c’est plus de richesses et moins d’emplois et comme l’a montré Piketti, aujourd’hui la rente du capital rapporte plus que le travail. Bref, que vont devenir toutes ces petites mains, ces derniers de cordées. A l’instar du jeune sdf de tout-à-l’heure, ils sont déjà là. Devant le parking de la boutique, un? quelqu’un, en plein jour, dort rassemblé sous sa méchante veste sur un matelas miteux. Tout à coté, c’est un squat de plein air qui accueille depuis des mois de jeunes et de moins jeunes SDF. Par tous les temps, ils dorment là, vaguement abrités sous un avant toit de béton. Les derniers comptages font apparaître que plus d’un millier de personnes dont des enfants, dorment à la rue à Bordeaux. Et c’est sans compter les milliers d’autres qui vivent en squats insalubres, dans des bidonvilles, sous des tentes. Et les autres encore, mal logés, vivotant en dessous du seuil de pauvreté. Les dystopies les plus craignos pointent leurs nez, ces sociétés à deux vitesses avec une minorité de riches qui se protégeront d’une majorité de miséreux légitimement agressifs..
Jean-François Meekel
1 je fais l’âne car je sais, en dépit de mon grand âge, me servir, assez, de l’ordinateur, celui sur lequel j’écris ce texte..