Les ascendants Mbappé, Dembélé, Tchouameni, Upamecano, Koundé et autres Varane n’auraient jamais pu venir, moins encore rester en France, sous le régime d’exception migratoire qui sévit désormais.
Nacira Guénif • 4 janvier 2023
Article paru
dans l’hebdo N° 1739 Acheter ce numéro
Avant que la défaite en finale ne ruine l’espoir d’un long dimanche de célébration, les footballeurs aux portes de la victoire en Coupe du monde ont accompli une œuvre décisive : exister politiquement. Leurs noms ont écorché plus d’une oreille et leur alignement a fait vaciller des regards blancs de rage.
Une frange jalouse de sa supériorité, prompte à confisquer à son avantage l’héritage d’une nation trop idéalisée, s’est sentie offensée. Si l’échec, si proche du but, a semblé lui donner raison, cet assemblage-là ne pouvant pas arracher le doublé, l’imaginaire qui l’incarne a transcendé l’instant.
Les Mbappé, Dembélé, Tchouameni, Upamecano, Koundé et autres Varane font résonner les sonorités de ce que la France est déjà devenue. Ces vice-champions du monde ne déparent pas, loin de là, aux côtés des Giroud, Griezmann, Rabiot, Lloris et Hernandez. Ils s’additionnent plutôt qu’ils ne se soustraient aux aspirations d’une jeunesse résolue à combattre le racisme à tous les étages de la maison France. Ils lui donnent raison !
Nous faisons face à des défis que seule relèvera l’ouverture de la maison France à une politique de l’altérité.
Cependant, quarante ans de durcissement des lois d’immigration révèlent un fait indéniable : les ascendants de ces champions n’auraient jamais pu venir, moins encore rester en France, sous le régime d’exception migratoire qui sévit désormais. Migrer ne doit plus être la règle, un droit universel, mais l’exception.
Pourtant, loin d’un grand remplacement fantasmatique, ces corps venus d’ailleurs signalent le grand dérangement subi chez eux, glissé au fond de leur maigre bagage. Plutôt que de vouloir les renvoyer là où des générations d’Européens se sont installées en colons, pour fuir la pauvreté, par goût de l’aventure ou par avidité, il importe de tirer les leçons de cet exode vers le Nord.
Legs hérité des bouleversements politiques et climatiques en cours, il nous interroge sur notre gouvernement de ces vies venues d’autres continents. Ces multitudes en mouvement incarnent notre dette envers l’espèce humaine. Exilé·es comme sédentaires, nous faisons face à des défis que seule relèvera l’ouverture de la maison France à une politique de l’altérité qui ne se paie plus de mots, mais affronte sa part d’injustice historique et assume d’y répondre avec courage.
Une politique d’immigration qui s’exempte de réparer les dommages commis et les morts gisant au fond des mers est coupable. Les arguments spécieux de sécurité ou de fermeté ajoutent à l’infamie. Cette politique piétine l’humanité dont elle se targue lorsqu’elle nie celle de quiconque accomplit au péril de sa vie un tel périple, et le punit d’y avoir survécu. Regarder en face ces visages, célèbres ou anonymes, trace le chemin de générosité et de responsabilité qu’il faut résolument ouvrir.
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