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La commune de Melles, à la frontière franco-espagnole, possède un patrimoine naturel remarquable. © Crédit photo : Laurence Fleury
Par Laurence Fleury
Publié le 12/12/2022 à 17h28
Dans les Pyrénées, un petit village de Haute-Garonne redynamise son territoire en déshérence. Face à l’urgence climatique, ses habitants se retroussent les manches, emmenés par leur maire, pour encourager la reprise agricole et tendre vers l’autonomie alimentaire
Ce n’est pas la première fois que ce village de Haute-Garonne, frontalier avec l’Espagne, fait parler de lui. En 1996, il a défrayé la chronique en accueillant sur son territoire la première réintroduction d’ours en France. Aujourd’hui, c’est pour ses nombreuses initiatives et son esprit de fraternité que Melles fait des envieux. Car, assurément, « le bonheur est à Melles », martèlent ses habitants.
« Ici, quand on a une idée, on la met en pratique tout de suite et tous ensemble »
À tel point que la liste d’attente pour l’achat d’une maison s’allonge : plus de 15 acquéreurs en lice. Le village ne perd pas d’habitants, il en gagne même ! Ils sont 120 à y vivre à l’année, plus du double si l’on compte les résidents secondaires.
Dans un champ très en pente, comme la plupart des terrains du village, un petit groupe de bénévoles s’emploie à construire un abri pour les ânes qui entretiennent les sentiers de la commune. « Ici, quand on a une idée, on la met en pratique tout de suite et tous ensemble », clame Vincent. « On a tous acheté ici il y a vingt ans pour y passer le week-end et les vacances, et on est devenus des copains, avec la même envie de s’investir pour le village. Celui qui vient à Melles n’en repart plus ! » ajoute Véro, son épouse. Quant à Henri, natif de Melles, il n’est jamais parti.
Les ânes sont utilisés pour débroussailler les sentiers communaux.
Laurence Fleury
« On y vit très bien grâce à tous ces gens venus d’ailleurs qui ont dynamisé le village. » Et depuis deux ans, avec l’arrivée du nouveau maire, le dynamisme mellois a changé de braquet pour passer à la vitesse supérieure.
Reprise agricole et circuits courts
Alban Dubois, 53 ans, est un homme pressé, qui préfère l’action aux grands discours. Son combat, depuis qu’il est à la mairie, c’est de sauvegarder la ruralité, unique parade au réchauffement climatique qui menace ses montagnes. « Melles est la seule commune du département classée rouge en termes de risques d’incendie, or il n’y a qu’une route jusqu’au village. En cas de problème, nous sommes bloqués là-haut. L’urgence est d’encourager la reprise agricole en accompagnant l’écopastoralisme et en visant la sécurité alimentaire. La commune doit redevenir une terre nourricière pour ses habitants. C’est utopique, mais, en cas de rupture d’approvisionnement ou de nouvelle pandémie, nous sommes démunis. Le Covid nous l’a prouvé et nous a fait prendre conscience que l’entraide et la solidarité étaient la clé. » Ce néomontagnard, arrivé à Melles en 2006 et ancré sur place à plein temps depuis quatre ans, s’est présenté aux dernières élections municipales, encouragé par ses amis. « Il a l’étoffe d’un leader et dix idées à la minute ! » confie l’un d’eux. Depuis deux ans, son équipe et lui multiplient les initiatives participatives pour améliorer le « bien vivre ensemble » et tenter d’anticiper d’éventuels coups durs liés au changement climatique.
Alban Dubois, maire depuis deux ans, est aussi consultant spécialisé dans la transmission des savoirs dans l’industrie.
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« Il y a encore deux générations, les gens étaient autonomes ici, les terres étaient entretenues. Aujourd’hui, on importe 98 % de ce que l’on consomme, alors que la viande des brebis qui pâturent sur nos estives est vendue ailleurs. Il faut réinventer les circuits courts. » Après la fermeture du seul distributeur de billets de Saint-Béat au printemps dernier (à deux heures de route NDLR), Alban Dubois a installé un comptoir d’échange de touselle, la monnaie locale du Comminges, afin de favoriser l’économie locale. « Pour avoir accès à un distributeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il faut faire 40 kilomètres, s’insurge le maire. Qu’à cela ne tienne ! Motivons les producteurs locaux à s’en emparer pour que ce cercle vertueux se développe. »
La mairie, au cœur du village.
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L’année qui a précédé le Covid, les Mellois ont restauré un vieux pressoir pour faire du jus de pommes issues de pommiers sauvages. Trois cents bouteilles en tout. « L’autonomie alimentaire passe par l’exploitation des ressources que l’on a sur place. » Et Vincent de renchérir : « Au printemps, on a semé diverses céréales sur une parcelle expérimentale : de l’orge, du quinoa, du blé et du sarrasin. Le problème, c’est qu’il n’y avait personne pour les arroser. Avec la canicule, tout a séché. Bref, ce n’était pas le bon moment, mais on a eu le mérite d’essayer. »
Ont également été plantés 70 pieds de vigne. « Dans trois ans, on fera du vin ! On a déjà les œufs issus du poulailler communal. Sauf que nos poules bio de réforme ne pondent pas beaucoup. »
Chantal, conseillère municipale, s’occupe du poulailler communal.
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Henri, éleveur de chèvres et de brebis Manech.
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Florence, éleveuse de chèvres et de brebis, récemment installée.
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Le maire aimerait accueillir un maraîcher, un paysan boulanger. « Des terres, il y en a dans la commune. Ce sont de petites parcelles disséminées, souvent en pente et pas toujours à proximité d’un point d’eau. » Mais l’élu voit grand et envisage de créer une association foncière pastorale (AFP) qui gérera les terrains privés en friche pour les mettre à disposition des paysans et éleveurs qui souhaiteront s’installer. « Cela nous permettra de toucher des subventions, sauf qu’il faut d’abord convaincre les propriétaires de nous les confier en leur expliquant qu’ils n’en seront pas dépossédés. Il va bien falloir entretenir ces hectares de friche, car, depuis la sécheresse et les incendies de l’été, l’État durcit les obligations légales de débroussaillement. »
Une rue du village, accroché à la montagne.
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Benoît, herboriste, installé depuis quatre ans.
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Florence et Henri, des quinquagénaires, viennent de s’installer en haut du village avec un petit troupeau de chèvres et de brebis laitières. D’ici à deux ans, ils fabriqueront du fromage. « On apprend sur le tas, confie Henri, ancien cadre chez LVMH en reconversion. On nous a traités de farfelus à notre âge, mais on prend plaisir à ce qu’on fait et c’est ce qui compte. » Benoît, arrivé avec sa femme et leurs cinq enfants, cultive à la main des plantes médicinales dans le hameau voisin. « J’ai 7 hectares, essentiellement embroussaillés de genets, de fougères et de ronces. Je m’en suis vu pour défricher une parcelle, confie l’herboriste. Je pourrais faire venir des amis pour m’aider, ils ne demandent qu’à s’installer, mais où les loger ? Je n’ai pas le droit de reconstruire les ruines sur mon terrain, je ne peux même pas mettre de panneau solaire car toute la vallée est classée. C’est bien beau de vouloir sauvegarder la ruralité, encore faut-il nous en donner les moyens. »
Une cabane pour fédérer
Le projet phare de la nouvelle municipalité a été la construction de la cabane pastorale d’Aouéran. Une fuste, ou cabane en rondins de 50 mètres carrés, à 1 700 mètres d’altitude, pour offrir de bonnes conditions de travail au berger du groupement pastoral. Un projet inédit dans les Pyrénées ! « Car il a fallu faire accepter le fait qu’elle soit construite avec les arbres déracinés lors de la tempête Barbara. Et, au-delà du projet pastoral et de l’occasion d’exploiter ce bois pyrénéen en circuit court, il s’agissait de créer du lien social, poursuit le maire. Cinquante personnes ont prêté main-forte bénévolement et se sont relayées pendant deux mois et demi jusqu’à ce que le projet aboutisse, en novembre 2021. Notre plus belle réussite ! »
« Être mellois, ce n’est pas forcément y être né, c’est participer à la vie du village »
Dominique Boutonnet, conseiller municipal du village voisin, porte un regard admiratif sur le dynamisme de Melles. « Alban Dubois est à l’image de ce qu’on attend d’un élu local, il en faudrait d’autres comme lui dans le canton ! Melles a toujours bougé plus qu’ailleurs, déjà du temps d’André Rigoni, maire de 2001 à 2014, qui a su s’approprier les lâchers d’ours pour faire connaître le village tout en attirant une population aisée grâce à la chasse. Alban, lui, va plus loin encore. Il ose et porte un tas de projets qu’il entend mener jusqu’au bout. »
« On se rend service »
Pour fédérer plus encore les habitants, l’appli Ma mairie et un compte WhatsApp les tiennent informés de ce qu’il se passe dans la commune. « On se rend service, on est présents les uns pour les autres. Être mellois, ce n’est pas forcément y être né, c’est participer à la vie du village, assure Jean-Michel, l’adjoint au maire. Certains Mellois de souche n’adhèrent pas forcément, mais on ne peut pas plaire à tout le monde. »
La cabane pastorale d’Aouéran, située à 1 700 mètres d’altitude.
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Et Alban Dubois, pour qui le mot « impossible » ne fait pas partie du vocabulaire, de poursuivre : « L’individualisme à Melles n’existe pas. La fraternité, en revanche, est bien réelle. On a prouvé que l’on peut bien vivre ensemble, porter des projets, comme des cabanes en bois et que c’est juste du bon sens. Il serait d’ailleurs aberrant de ne pas continuer d’exploiter cette richesse locale, créatrice d’emplois. Tout comme il est aberrant de ne pas pouvoir rebâtir une ruine dans la commune (voir encadré ci-contre). »
La construction d’un abri pour les ânes de la commune, un travail collectif.
Laurence Fleury
Une gageure qui fera partie des prochains défis de cet homme que rien n’arrête. « À nous de donner aux paysans l’envie de s’installer à Melles, seule manière d’assurer notre sécurité alimentaire. Et, pour cela, il faudra bien les loger. » D’ailleurs, l’auberge du Crabère, l’unique commerce du village, cherche un nouveau gérant.
Les contraintes d’un site classé
Du fait des ouvrages remarquables présents sur son territoire – une tour à feu, à la frontière avec l’Espagne, et les mines de Pala Bidaou, situées sous le pic de Pale Bidau –, le village de Melles est un « site inscrit », c’est-à-dire un espace où les paysages sont protégés. Dans ce cadre, l’avis des architectes des Bâtiments de France est nécessaire pour toute reconstruction. Il faut savoir également que, dans un site inscrit, toute ruine qui n’a plus de toit n’est pas reconstructible.