Connue pour son engagement auprès des jeunes Africains à la rue, la généraliste nantaise vient d’être choisie pour diriger l’ONG. Une mission sur mesure pour cette militante qui a toujours soigné les déshérités.
Par Maryline Baumard
Publié le 25 juin 2021 à 17h15
« Je transitionne »… C’est l’expression qu’a choisie la nouvelle présidente de Médecins du monde (MDM) pour raconter sa métamorphose de médecin généraliste en responsable de l’ONG. Elue samedi 19 juin, pour un mandat de trois ans, Carine Rolland ne sera que la troisième femme – après Françoise Sivignon – à occuper ce poste depuis la fondation de l’association, en 1980.
Si cette ONG qui aide chaque année 4 millions d’êtres humains sur les cinq continents ne l’avait pas choisie pour prendre les rênes de son destin, la jeune quinquagénaire (née à Limoges en 1970), que Nantes connaît comme « la toubib des migrants », aurait de toute façon fermé son cabinet. « Parce que tout notre système de santé dysfonctionne aujourd’hui. Le Covid a montré le manque de lits d’hôpitaux, mais a aussi révélé le malaise profond de la médecine de ville », résume celle qui a très tôt dénoncé l’absence de masques, puis le manque de tests, et regrette plus fondamentalement que « le généraliste soit transformé en agent administratif ».
« Pas facile de lui faire des compliments ni de lui dire que son immense humanité est un trésor. » Osman Djallale, ancien sans-papiers
Elle dit aimer avant tout « soigner », prêter attention et tendre la main aux plus fragiles. Nul doute que son vécu nantais l’aidera à porter les trois missions de Médecins du monde, auprès de qui elle s’est engagée il y a dix ans : soigner, témoigner et accompagner le changement social. Une approche politique, qui, selon Benoît Letellier, urgentiste de Saint-Brieuc et ami de trente ans de Carine Rolland, va comme un gant à cette praticienne attachée depuis toujours à faire en sorte que sa vie soit le reflet de ses valeurs. « Etudiante déjà, elle avait une réflexion sur la marche du monde, s’intéressait à bien d’autres univers que la médecine et portait un engagement. Une femme qui déjà voyait loin et revisitait nos modèles de société », résume-t-il aujourd’hui.
Destins cabossés
Son militantisme, Carine Rolland l’a développé en parallèle à ses consultations classiques, au point que sa fille Oriane, 21 ans, raconte la triple vie de sa mère qui, en plus de son cabinet et de ses trois enfants, se bat depuis six ans pour les jeunes Africains échoués à la rue. Des jeunes traumatisés par leur parcours migratoire et abandonnés par une aide à l’enfance totalement dépassée.
Marie Hénocq, membre de l’association Cimade Bretagne, proche de la généraliste, pointe son énergie structurante, « sa capacité, au cœur du mois d’août 2015,au début de ce qu’on a appelé “la crise migratoire”, à mobiliser des réseaux multiples pour apporter une aide d’urgence aux jeunes à la rue, une aide juridique et alimentaire, et à ne pas lâcher l’affaire ensuite pour faire évoluer l’approche politique du sujet ».
« Pas facile de lui faire des compliments ni de lui dire que son immense humanité est un trésor », résume le Tchadien Osman Djallale, qu’elle a croisé alors qu’il était sans-papiers et qui s’est fait sa place comme ouvrier du bâtiment. Comme lui, ils étaient plusieurs dizaines aux destins cabossés à rejoindre sa patientèle classique d’un quartier nantais.
« Fille de la mer »
Si son parcours reste pour l’heure plus national qu’international – hormis quelques missions sur le continent africain –, la médecin explore depuis trente ans les tréfonds de la société française, des zones que MDM a faites siennes en ouvrant son premier centre de soins parisien en 1986. Aujourd’hui, l’ONG dispose de 60 programmes nationaux, autant de missions internationales réparties dans 45 pays.
De 1996 à 2010, Carine Rolland a traîné son stéthoscope dans les quartiers déshérités comme dans les aires rurales. « J’ai fait mon premier remplacement long au Chêne pointu de Clichy-sous-Bois. La banlieue du film Les Misérables, de Ladj Ly », indique celle qui s’est aussi arrêtée à l’hôpital de Nanterre, démunie parfois face aux overdoses nocturnes. Puis elle a opté en 2002 pour la Bretagne parce qu’elle se dit « fille de la mer » et qu’elle « aime la savoir proche ». Elle reprend alors les chemins de ferme qu’avait sillonnés son père, vétérinaire de campagne dans le Morbihan.
Cet ancrage territorial lui a donné conscience de la nécessité d’un combat pour le climat et d’une lutte pour plus d’égalité afin d’« inventer une société plus solidaire, plus redistributive, respectueuse de la biodiversité ». Sans angélisme, car elle a « bien conscience que les valeurs que nous portons à MDM sont minoritaires dans la société. Ça ne veut pas dire que le combat est perdu, juste qu’il va falloir se glisser dans les interstices pour faire avancer les possibles », résume celle qui lit aussi bien le romancier Alain Damasio que l’essayiste Sandrine Roudaut avec qui elle partage l’analyse que « l’utopie ce n’est pas l’irréalisable mais l’irréalisé »…
ONG difficile à gouverner
Même si elle connaît son sujet, si elle ne manque ni de dynamisme ni de ténacité, la nouvelle présidente n’aura pas la partie facile. Certes, les Français se sont montrés généreux avec les ONG et ont globalement donné 13 % d’argent de plus en 2020 que l’année précédente, ce qui n’est pas une mince affaire pour cette structure financée à plus de 40 % par des donateurs privés (à 50 % par des subventions publiques et les 10 % restant provenant pour une large part du mécénat d’entreprise). Dans ce climat positif, Carine Rolland dispose de trois ans pour avancer.