Quand nous publions ce texte, jeudi, deux jours après les élections américaines, on ne sait encore avec certitude qui sera le prochain président des Etats-Unis d’Amérique. L’Amérique retrouvera-t-elle un cours, disons normale, de son histoire avec un président tout aussi normal et respectueux d’un minimum de fonctionnement démocratique ou bien ce clown très triste et dangereux tenant du titre, remettra-t-il le couvert pour 4 ans supplémentaires ? Pour beaucoup d’Américains cela compte, comme la vie des noirs, pour les Africains américains, et aussi et on n’en parle moins, pour ceux qui s’appellent eux même les natifs américains, les premières nations. Louise Erdrich, grande auteure issue de la nation indienne ojibwé, soutien du ticket démocrate, rappelait sur France Inter il y a quelques jours l’importance du vote amérindien dans le résultat final. Elle affirmait avec calme que son pays refusait toujours de reconnaître qu’il s’était constitué sur la sueur des esclaves et le génocide des autochtones. Dans le prochain numéro de la revue à paraître en janvier, je vous livrerai un dossier sur les pensionnats autochtones d’Amérique du nord, ces prisons où l’on enfermaient les enfants indiens pour leur laver le cerveau de leur indianité. Aujourd’hui, pour vous mettre l’eau à la bouche, je vous propose un aperçu de cette dramatique histoire à travers 3 romans : ceux de Richard Wagamese et celui d’une journaliste de radio canada Sonia Perron.
Le cheval indien de Robert Wagamese
Richard Wagamese donc , il fut abandonné à l’âge de 3 ans par ses parents, eux-mêmes passés par les pensionnats dont ils sont sortis traumatisés et alcooliques. Avec ses trois frères et sœurs, il est pris dans « la rafle des années soixante. » 20.000 enfants retirés de force à leur communauté et placés dans des familles d’accueil . « Il y a eu des moments où la douleur et la confusion étaient si intenses que je me sentais comme si ma peau se détachait » écrit-il dans l’un de ses textes autobiographique. Jusqu’à 16 ans, il est balloté d’une famille à l’autre puis il vit dans la rue pendant plusieurs années, aux prises avec l’alcoolisme, la toxicomanie et des troubles « de stress post-traumatique » hérité des abus et de l’aliénation qui ont marqué sa jeune existence. Il séjourne en prison, vit un peu partout au Canada et occupe d’innombrables emplois. « Parfois, j’ai été planteur d’arbres, creuseur de fossés, cueilleur des betteraves à sucre, aide fermier, travailleur de chemin de fer, laveur de vaisselle, nettoyeur de poissons dans une marina et laveur de camions », écrit-il dans un essai.(1)
Les assauts nocturnes
C’est avec tout ce background, cette trame de jeunesse qu’il est devenu journaliste puis l’un des plus grand auteur issu de la communauté amérindienne au Canada. Indian Horse, son premier livre traduit en français par Jeu blanc ( en poche chez 10/18) décrit le parcours d’un enfant indien abandonné, comme lui, qui va passer des années dans un de ces pensionnats épouvantables où seule la pratique du hockey sur glace lui permet de donner un sens à sa misérable existence et de survivre. Sa capacité à anticiper les phases de jeu associée à sa vitesse de patinage lui ouvriront les portes des plus grandes équipes. Mais son origine et le racisme tenace le poursuivront toujours, jusqu’à renoncer au hockey et sombrer dans l’alcool. « Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille dont tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient. » Il ne se sortira de ce piège mortel de l’alcool qu’en acceptant de voir la réalité en face et notamment la violence sexuelle dont il fut victime de la part d’un prêtre dans le pensionnat.» « Les corrections faisaient mal. Les menaces nous rabaissaient. Les incessantes besognes nous épuisaient, nous faisaient vieillir avant l’heure. La mort, la maladie et les disparitions nous emplissaient d’effroi. Mais peut-être que ce qui nous terrifiait le plus, c’étaient les assauts nocturnes. »
Hélas ce résumé ne dit rien de la grande qualité littéraire de ce court roman, de tout ce qu’il nous apprend sur la richesse de la vie des autochtones d’avant la catastrophe.
Medicine Walk
Autre roman de Wagamese traduit en français, medicine walk devenu les étoiles s’éteignent à l’aube publie en 2016 aux éditions ZOÉ. Comme l’indique mieux le titre anglais, ce roman en partie autobiographique comme souvent chez Wagamese, s’apparente à un parcours initiatique, un lent retour aux sources et à la mort rituelle. Ici Franck, un jeune garçon de 16 ans accepte de conduire son père mourant d’alcoolisme vers une montagne lointaine où il veut être enterré, assis face à l’Est comme un guerrier. Ce jeune homme qui ne sait rien de son histoire familiale va tout apprendre de la bouche de son père au fil des jours et des nuits passées à entretenir le feu. Comme Jeu Blanc, ce roman est un magnifique condensé d’Humanité, incarné ici par des humains qui restent en lien avec la nature et ses occupants. A lire de toute urgence à la saison du Covid pour comprendre combien nous avons fait fausse route.
Billydéki Sonia Perron Éditions Fides 2019
Journaliste et documentariste à Radio Canada, Sonia Perron publie avec Billydéki son premier roman/document, fruit de 4 années d’enquêtes. Un conte en court chapitre donnant à chaque fois la parole à l’un des protagonistes du drame ; un dispositif efficace pour un drame quasi policier : celui du Petit et de Billydéki (quasiment Billy the kid) internés dans l’un de ces pensionnats amérindiens et victimes de la violence d’un prêtre. Je vous passe les péripéties mais c’est l’occasion de dénoncer, un peu tard certes, ce que l’on a fait subir à ces enfants indiens pendant deux siècles et les conséquences en termes de déstructuration culturelle et mentale, menant à l’alcoolisme et à la folie.
Jean-François Meekel
Dernière heure! Deux femmes amérindiennes ont été élues mardi au congrès américain dans le Nouveau Mexique . Deb Haaland pour les démocrates et Yvette Herrel …pour les Républicains.