| Par Alexis Billebault
Vingt-neuf athlètes réfugiés, dont dix africains originaires du Cameroun, du Congo, d’Érythrée, de RD Congo, du Soudan et du Soudan du Sud, ont participé aux Jeux olympiques de Tokyo. Portraits.
Ils viennent d’Afrique, de Syrie, d’Irak, du Venezuela, d’Iran et d’Afghanistan, souvent de pays en guerre ou minés par des conflits régionaux, et où les droits de l’homme ne sont qu’un vague concept. Parmi ces 29 athlètes, 10 sont originaires d’un continent africain qu’ils ont fui pour au moins un des motifs évoqués plus haut.
Les Soudanais du Sud sont les plus représentés avec Rose Likonyen, James Chiengijek, Anjelina Lohalith et Paulo Likoro (athlétisme), devant les Érythréens Luna Salomon (tir) Tachlowini Gabriyesos (athlétisme), le Congolais de Brazzaville Dorian Keletela (athlétisme) et celui de RDC, Popole Misenga (judo), le Camerounais Cyrille Tcvhatchet (haltérophilie) et le Soudanais Jamal Mohamed (athlétisme). Portraits.
• Érythrée : Luna Solomon, espoir du tir à la carabine
« Trouvez-moi une activité, n’importe laquelle. » C’est cette demande adressée à l’assistance sociale lausannoise chargée de la suivre peu de temps après son arrivée en Suisse, en 2015, qui a orienté Luna Salomon, désormais âgée de 25 ans, vers le tir à la carabine. Six ans plus tard, la jeune Érythréenne participe aux Jeux olympiques de Tokyo, une hypothèse rendue possible par son intégration au programme « Make a mark », lancé par l’Italien Niccolo Campriani, triple champion olympique de tir et employé au Comité International Olympique (CIO), basé à Lausanne.
Son histoire ressemble à celle de centaines de milliers de ses compatriotes qui ont fui l’Érythrée, cette prison à ciel ouvert dirigée par le tyrannique Isaias Afwerki. Une fuite en voiture, puis à pied, via le Soudan et la Libye, et enfin en bateau, sur une embarcation surchargée et sauvée in extremis de la catastrophe par des navires italiens. Aujourd’hui, Luna Salomon a appris le français, a trouvé un emploi et a eu un enfant en 2020.
Sa performance à Tokyo : éliminée lors des qualifications
• Cameroun : Cyrille Tchatchet, champion d’haltérophilie
Réfugié en Angleterre, Cyrille Tchatchet (26 ans) n’a jamais expliqué aux journalistes qui le questionnaient pourquoi il ne veut pas rentrer au Cameroun, un pays où il ne « serait pas en sécurité », comme il l’a plusieurs fois répété. L’haltérophile avait profité des Jeux du Commonwealth 2014, organisés à Glasgow (Écosse), pour filer à l’anglaise. Pendant des semaines, il a dormi dans la rue ou sous les ponts, avec quelques livres sterling en poche et sans réelles perspectives d’avenir. « J’ai souvent pensé au suicide, j’étais en pleine dépression », avait-il avoué plus tard lors d’une interview.
Il a été sacré champion de Grande-Bretagne dans les catégories des moins de 94 et 96 kilos
Son arrestation par la police écossaise lui a paradoxalement permis de déposer un dossier de demandeur d’asile. Après s’être soigné, Tchatchet a migré vers Birmingham, en Angleterre, et a obtenu le statut de réfugié. Il est même devenu champion de Grande-Bretagne dans les catégories des moins de 94 et 96 kilos. Il suit actuellement des études à l’université du Middlesex, au nord de Londres, afin de devenir infirmier en santé mentale.
Sa performance à Tokyo : 10e dans la catégorie des moins de 96 kg
• Congo : Dorian Keletela, le « sprinteur aux pieds tordus »
En 2016, alors qu’il n’était âgé que de 16 ans, la mort de ses parents l’a définitivement décidé à quitter le Congo et à rejoindre le Portugal, avec l’aide de sa tante. Tout juste arrivé à Lisbonne, Dorian Keletela a demandé et obtenu l’asile. « Au Congo, il y a des conflits ethniques et politiques, et je voulais vivre dans un pays où on respecte les droits humains », avait expliqué Dorian Keletela lors d’une interview accordée à Eurosport.
Le jeune Congolais, qui avait goûté à l’athlétisme à 15 ans, quelques mois avant de fuir son pays, a pu prendre une licence et s’entraîner au Sporting Portugal, le prestigieux club omnisports de Lisbonne, certes davantage connu pour la qualité de son équipe de football. Ce spécialiste du 100 mètres, parfaitement à l’aise avec la langue de son pays d’accueil, est surnommé par la presse locale « le sprinteur aux pieds tordus », non pas à cause d’une malformation mais de sa façon de marcher.
Ce n’est qu’en juin dernier, quelques semaines avant le début des JO de Tokyo, que Keletela a appris que la demande de la Fédération portugaise d’athlétisme pour qu’il intègre l’équipe internationale des réfugiés avait été acceptée. Avec une mission, « représenter les 80 millions de réfugiés dans le monde ».
Sa performance à Tokyo : éliminé au stade des séries
• RDC : Popole Misenga, as du judo
L’histoire de ce Congolais de 22 ans au prénom pour le moins original est une des plus dramatiques de celles vécues par les membres de cette équipe de réfugiés. Né à Bukavu, au cœur d’une région martyrisée par la guerre et les massacres, Misenga a perdu sa mère, tuée dans les combats, et son frère et ses sœurs ont disparu. À Kinshasa, où il trouve refuge dans un orphelinat après des jours d’errance dans la jungle, le judo lui permet de donner un peu de sens à sa vie.
Mais la brutalité d’un de ses entraîneurs, capables de priver de nourriture et d’enfermer dans des pièces minuscules ceux qui échouent lors des compétitions, le pousse à fuir au Brésil en 2013, à l’occasion des Championnats du Monde organisés à Rio de Janeiro et auxquels Popole Misenga participe sous les couleurs congolaises. Trois ans plus tard, après avoir obtenu l’asile politique, il participe aux jeux Olympiques, toujours à Rio, où il atteint les 8e de finale dans la catégorie des moins de 90 kg.
Sa performance à Tokyo : éliminé en 16e de finale et en 8e de finale lors du tournoi par équipes mixtes.