Par Maryan Charruau
Publié le 25/01/2023 à 14h45
Sous l’égide de radio Entre-Deux-Mers basée à Sauveterre-de-Guyenne, des déficients mentaux de l’hôpital de Cadillac, du foyer Lévite et du foyer d’accueil médicalisé de La Réole participent chaque semaine à une émission et un atelier radio. Une activité thérapeutique au succès entendu
« J’ai peur quand il y a la foule. Ça me provoque du stress, de l’angoisse. Je veux vite rentrer à l’atelier. J’ai peur du regard des gens, qu’on me juge. L’atelier m’a permis de vaincre ma timidité. Quand je suis dans l’affolement, mes yeux montent en l’air. Je peux gérer quelques minutes, quelques instants, parfois quelques heures. Quand je suis en crise de panique, je veux revenir au foyer. Je suis allé une semaine en camp à Rocamadour, ça s’est bien passé. Il y avait beaucoup de monde, mais j’ai réussi à me contrôler. J’ai fait des efforts. »
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Son agoraphobie, jamais Benjamin ne l’avait exprimée en public. Qui plus est devant un micro. « Si j’avais su, j’aurais rien dit ! » À bien y regarder, le jeune homme est fier de s’être fait piéger par ses collègues de l’atelier. Son témoignage enregistré mardi 18 octobre a été diffusé jeudi 3 novembre dans l’émission « Les Rires olé du FAM » sur REM (98,4). Là, il convient de décoder.
Francis Virepinte, l’initiateur du projet, et Benjamin qui raconte son agoraphobie lors d’un atelier qui sert de support à l’émission radio.
Thierry David/SUD OUEST
Une émission inspirée d’une radio argentine
« Tout a commencé il y a bientôt huit ans. J’étais alors salarié à Radio Entre-deux-Mers (REM). Je rencontre Édith Perez-Lacour, argentine, psychiatre au centre hospitalier de Cadillac. Elle me dit qu’elle avait animé une émission sur radio Colifata, dans son pays d’Amérique du Sud, avec les résidents d’un hôpital psychiatrique. Elle voulait refaire la même chose avec des résidents stabilisés de Cadillac. J’ai dit : « Banco ! » Ainsi est né « Pas d’affolement, nous voilà » en février 2015. Outre l’émission en direct, une quinzaine de résidents participent, chaque mercredi, à un atelier qui prépare la prochaine émission de radio », raconte Francis Virepinte.
Le rayon d’écoute s’étale sur 60 kilomètres, soit un potentiel de 286 000 auditeurs
Francis Virepinte, 60 ans, ancien éducateur sportif, ex-commercial, est désormais à la tête de cette radio associative basée à Sauveterre-de-Guyenne, en Sud-Gironde. Il la définit comme « locale et rurale, à la portée du territoire. Le rayon d’écoute s’étale sur 60 kilomètres, de Saint-André-de-Cubzac à Bergerac côté rive droite, de Cestas (33) à Aiguillon (47) côté rive gauche et jusqu’à Roquefort dans les Landes, soit un potentiel de 286 000 auditeurs. Nous nous appuyons sur une douzaine d’animateurs bénévoles, un prestataire de services et un service civique, Thibaut. »
Francis Virepinte est aux commandes de l’émission « Donner la voix aux sans voix ».
Thierry David/SUD OUEST
« Pas d’affolement, nous voilà » est diffusée un jeudi sur trois – relayée en podcast -, en alternance avec « Les Rires olé du FAM » et « On n’est pas des enfants ». Ces trois émissions entrent dans la case « Donner la voix aux sans voix ». « Nous sommes allés au-delà de nos espérances, car outre les résidents de Cadillac, la radio accueille ceux du Foyer d’accueil médicalisé (FAM) de La Réole depuis 3 ans et ceux du Foyer occupationnel Lévite de La Réole depuis deux ans. Tous usent du même principe, chacun participe à une émission en direct et à un atelier une fois par semaine. Ces rendez-vous sont autant d’espaces de libre-échange qui se déroulent dans le respect, sans moquerie, à l’écoute de l’autre où la maladie psychique est mise de côté. »
Au premier plan, Alain et Xavier et au second plan Samuel, Christian et Fanny, tous résidents au foyer Lévite de La Réole préparent leur émission radio.
Francis Virepinte
« Mon articulation s’est améliorée »
Jeudi 13 octobre, 14 heures, Sauveterre-de-Guyenne. « Bonjour, vous êtes en direct sur REM 98.4. Notre invitée aujourd’hui est la chanteuse Aurore Kimberley ». Entouré de deux éducatrices du FAM, Patricia et Lola, Nicolas est le maître de cérémonie aux côtés de trois autres résidents Alexandra, Jean-Philippe et Mathias. « C’est notre émission, c’est nous qui assurons le direct. Francis Virepinte l’a très bien compris. Il nous a vite laissé le micro et l’antenne. Il est là, il reste aux manettes, mais à la technique derrière la vitre », souligne Nicolas. Lequel assure les transitions entre les rubriques, présente et lance les chansons et annonce le premier reportage. « J’espère que vous avez faim car nous allons parler des cèpes. »
La chanteuse Aurore Kimberley a été l’invitée de l’émission « Les Rires olé du FAM ».
Maryan Charruau
À la radio, les gens ne nous voient pas mais nous entendent. Après, ils nous regardent différemment », relève Mathias
La diction de Nicolas est parfaite, quasi sans accroc : « J’ai beaucoup progressé. Pouvoir parler librement devant un micro, c’est bien. Ça montre aux gens qui nous sommes vraiment. Nous sommes jugés sur ce que l’auditeur entend. J’ai pris confiance en moi. » Le constat de Mathias tend vers la même direction : « J’ai du mal à m’exprimer. Je cherche parfois mes mots. Mais ça va mieux. Mon articulation s’est améliorée. C’était un peu dur au début mais je suis très content d’être là. Ça fait du bien de savoir que l’on est entendu, c’est pas toujours le cas au quotidien… À la radio, les gens ne nous voient pas mais nous entendent. Après, ils nous regardent différemment. »
Francis Virepinte interviewe Nicolas au foyer médicalisé de La Réole lors de la préparation de l’émission « Les Rires olé du FAM » diffusée sur REM. Nicolas a des problèmes de diction. A la radio, elle est parfaite, quasi sans accroc.
Thierry David/SUD OUEST
Alexandra, qui, quelques minutes auparavant, a fait rire tout le studio avec sa rubrique de « blagounettes », affirme que l’émission de radio et les ateliers lui ont permis de vaincre sa timidité. « Il m’en reste encore ! Mais je suis plus à l’aise dans mes conversations. Je suis plus décontractée. La radio m’a aidée à évoluer, à travailler sur l’intelligence. » Sous son inséparable casquette, se dessine le regard malin de Jean-Philippe. « La radio, ça fait du bien. L’émission comme les ateliers, ça nous permet d’oublier notre handicap. »
Jean-Philippe raconte son action de bénévole aux Restos du cœur. « L’émission comme les ateliers, ça nous permet d’oublier notre handicap. »
Thierry David/SUD OUEST
« Leur assiduité est intéressante »
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Nicolas se lance dans la lecture de deux poèmes qu’il a écrits, « ce sont mes pensées à moi », comme il dit. Puis il enchaîne avec des questions à Aurore Kimberley, la chanteuse originaire de Langon. Comme la jeune femme reconnaît « être à l’aise de participer à l’émission », Nicolas la prend au mot et lui demande d’improviser une chanson de son choix. A cappella, l’invitée entonne un couplet de « Je marche seul » de Jean-Jacques Goldman. Une fois sortie des studios, elle avoue sa « joie d’avoir partagé ces instants avec ces personnes qui ont le cœur sur la main. La radio leur permet d’être un peu dans la lumière et leur donne de la confiance. »
Poèmes de Nicolas : « Mes pensées à moi »
La vie : « La vie est belle et il faut en profiter car une étincelle peut tout faire chavirer ; elle peut être instable et très désagréable ; mais le plus important est de vivre le moment présent. Il y a parfois de la tristesse mais il y a aussi de la joie ; la vie passe à toute vitesse alors saisissez-la. »
Deuxième poème : « Un jour peut-être je serais là pour venir vers toi et je t’avouerai peut-être toutes mes pensées les plus secrètes. J’espère que tu comprendras et que tu m’avoueras ce qu’il y a au fond de toi. Quand tes yeux brillent en me regardant, je tremble jusqu’au bout de mes cils, je me sens comme un enfant. Tous les gens me diront le même petit dicton, et ils finiront par me prendre pour un con. Je pense à toi quand tu es loin de moi. Et je te dirai de laisser tomber car tu es toujours là. S’il te plaît, ne t’en va pas ! »
Mardi 18 octobre, au foyer d’accueil médicalisé de La Réole, l’atelier radio démarre sous la houlette de Francis Virepinte et de Patricia, éducatrice spécialisée. Elle reconnaît que « c’est un rendez-vous privilégié pour la quinzaine de résidents qui viennent régulièrement à cette activité thérapeutique basée sur l’engagement. Leur assiduité est intéressante. Que de chemin parcouru pour certains ! »
Patricia, éducatrice spécialisée et Benjamin, lors d’un atelier radio au Foyer d’accueil médicalisé à La Réole.
Thierry David/SUD OUEST
« Nous allons commencer par un petit débriefing de l’émission de la semaine dernière. J’aimerais qu’il y ait moins de bruit, car il ne faut pas oublier que vos micros sont ouverts », rappelle Francis, à l’intention de Betty, Michel, Gérard, Benjamin, Alexandra, Nicolas et Jean-Philippe. Outre le choix des trois chansons diffusées le 3 novembre (Sardou, Renaud et Collectif Métissé), plusieurs interviews sont enregistrées.
Betty avec Francis Virepinte.
Thierry David/SUD OUEST
Jean-Philippe raconte ses matinées de bénévole aux Restos du cœur de La Réole. « J’aime bien, même si c’est fatigant de soulever les caisses et les cartons. Mais c’est convivial. L’équipe est attentionnée avec moi. Il y a beaucoup de gens dans la précarité. Je suis content de leur apporter du bien-être. C’est important d’aider les autres. »
Réunis devant les locaux de la radio REM, après l’émission en direct « Les Rires olé du FAM » , le mardi 13 octobre.
M.C
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Philippe : « J’ai gagné en confiance »
Résident de l’hôpital de Cadillac, Philippe, 62 ans, est le doyen de « Donner la voix aux sans voix » avec qui il entame sa huitième saison.. « Je me prends un peu pour PPDA, mais seulement le journaliste, prévient-il. De suite, ça m’a plu et je me suis bien débrouillé. » Devenu le Monsieur Loyal de l’émission « Pas d’affolement, nous voilà », il dit apprécier « le fait d’être en direct. C’est convivial.. Je vois que j’ai gagné en confiance. L’équipe est assez solidaire et il y a beaucoup de respect. entre nous Nous avons appris à nous connaître. Nous parlons ensemble plus facilement. L’émission est un rendez-vous important que je n’ai jamais manqué, ça me coupe bien la semaine. J’aime bien les interviews, réciter des poèmes, montrer ma culture générale, notamment l’histoire et le sport, je parle football, vélo, rugby, tennis… »
« Un autre regard porté sur le handicap psychique »
« À la base, la radio est un projet d’ouverture sur l’extérieur, d’inclusion, d’acceptation de l’autre où la parole est libre. C’est aussi un travail collaboratif avec les résidents qui souffrent de troubles d’élocution. Cette activité leur permet d’apprendre à mieux parler. Pour chacun, c’est une construction de sens. Ils peuvent mettre en valeur leurs parcours respectifs. Si on les écoute bien, ils disposent de nombreuses références, cela peut être surprenant » explique Marilys Birac, cadre de santé du FAM de La Réole. » « Dans le cadre des différentes activités proposées par le foyer et qui demandent de l’engagement, ça ne s’essouffle pas pour la radio, apprécie Marilys Birac. Le contexte Covid n’a rien changé, au contraire, même s’ils n’ont pas pu sortir pour leur reportage. Oui, c’est un rendez-vous important qui va au-delà de la reconnaissance de participer, car ils se savent écoutés. C’est bénéfique pour le regard porté sur eux et le handicap psychique par le monde extérieur au foyer ».