La mairie de Bordeaux souhaite mettre en place un projet commun avec le département et la préfecture pour que les jeunes migrants soient mis à l’abri le temps de leur recours devant un juge pour enfants.
Publié le 24/02/2021 à 14h49 • Mis à jour le 24/02/2021 à 16h56
« Bordeaux en Lutte a souhaité soumettre ce vœux et nous l’avons amendé avec eux », explique Harmonie Lecerf, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits et des solidarités. Cette motion a donc été votée ce mardi 23 février en conseil municipal. Elle a reçu le soutien des élus de la République en Marche. Du côté de l’ancienne majorité, deux élus ont également voté pour. Trois autres se sont abstenus, parmi eux l’ex-maire de Bordeaux, Nicolas Florian.
Quel est l’objectif de ce texte ? A leur arrivée sur le territoire français les jeunes migrants peuvent se faire reconnaître mineurs auprès de l’État français pour obtenir leur protection à l’aide sociale à l’enfance. Pour cela, leur âge doit être évalué par le département au cours de trois entretiens. Durant cette période d’évaluation, le département a l’obligation de mettre à l’abri le jeune. Mais, si à l’issue de cette période, la minorité du jeune migrant n’est pas reconnue, alors celui-ci se retrouve livré à lui-même le temps de déposer un recours devant le Tribunal pour enfants. Une période qui peut durer plusieurs mois, et durant laquelle les migrants se retrouvent à la rue ou dans des squats. La volonté de la mairie est de leur faire profiter de la même protection que celle proposée aux migrants lors de la phase de traitement de leur demande d’asile.
« Une cinquantaine de jeunes concernés en permanence sur Bordeaux »
Selon la mairie de Bordeaux et Médecins du monde, ils seraient une cinquantaine en permanence à être dans cette situation. Ces derniers mois, la situation est moins tendue sur la métropole bordelaise. Du fait de la crise sanitaire, les arrivées sur le territoire français sont moins nombreuses que les années précédentes. Pour autant, cela reste une problématique à Bordeaux. « Ils ne sont plus mis à l’abri quand ils ont été déboutés par le Saémna », explique Harmonie Lecerf. “Cette période peut durer de quelques semaines à quelques mois. Ce que nous demandons, c’est que leur prise en charge soit calquée sur celle des demandeurs d’asile ».
La préfecture « pas favorable »
Cette volonté aurait, selon l’élue, été évoquée lors d’une réunion en décembre dernier avec le département et la préfecture. « La préfecture n’y était pas favorable », affirme Harmonie Lecerf. « Car ce serait la création d’une zone grise, qui pour moi existe déjà de fait ». « Cette population est là. Mais une fois évaluée majeure par le département, elle doit faire appel au 115. Or, le 115 est saturé. Cette situation bancale nécessite que les pouvoirs publics les mettent à l’abri ».
« Seulement 20% des jeunes étaient reconnus mineurs par le Saemna, contre 50% au niveau national », analyse Aude Saldana Cazenave, coordonnatrice régionale de Médecins du monde. Depuis le 1er février dernier, ce n’est plus le Saemna mais le Cedef qui s’occupe de faire passer ces entretiens pour le département. « C’est la preuve d’une volonté d’améliorer l’appréciation de la minorité », dit-elle. « Sachant qu’ensuite 80% à 90% des jeunes faisant un recours sont reconnus mineurs par le juge pour enfants ».
Un jeune migrants lors d’une entretien au Saemna à Bordeaux en mars 2019. • © FTV
« Ce n’est pas le rôle des associations »
En l’état actuel des choses, ce sont donc les associations qui tentent de venir en aide à ces jeunes, le temps que leur recours devant le juge pour enfants soit examiné. Certains migrants ne sont pas demandeurs et passent donc entre les mailles de leur filet. Impossible alors de les mettre à l’abri et de les protéger des réseaux de prostitution ou de la délinquance.
Pour les autres, c’est notamment par le biais des squats que les associations entrent en contact avec eux. Rue Camille Godard à Bordeaux (voir carte ci-dessous), un bâtiment appartenant au Conseil départemental de la Gironde est squatté par des jeunes migrants. Tous ont déposé un recours devant le tribunal.
En ce moment, ils sont une vingtaine mais parfois ils sont jusqu’à cinquante sur place. Baptisé le “Kabako”, cet immeuble est occupé de manière illégale. « Le département veut les virer », dit Aude Saldana-Cazenave. « Une procédure administrative est en cours, ils ont jusqu’à mi-juillet pour quitter les lieux ».
Grâce au travail des associations, ces jeunes vivent au Kabako dans des conditions « tout à fait correctes ». « On n’est pas là pour suppléer les pouvoirs publics, les squats, ce n’est pas la panacée », rage Aude Saldana-Cazenave. « On doit les accompagner, un squat pendant quelques mois cela ne va pas. Il leur faut de vrais professionnels de l’aide sociale à l’enfance. Seule, la mairie ne peut pas suffire, ce n’est pas dans ses compétences, le département et la préfecture doivent s’engager aussi ».
Faire évoluer la législation
Clairement, la prise en charge de ces jeunes reste un dossier explosif. Concrètement, « il faut organiser une réunion avec le département et la préfecture pour trouver des moyens », avance Harmonie Lecerf. « Il faut trouver des locaux adaptés à la mise à l’abri, qu’il y ait un centre d’hébergement d’urgence pour ces personnes durant plus ou moins deux mois avec des intervenants sociaux, des juristes etc ».
Sauf que pour l’instant, il existe un vide juridique. Si le département a à sa charge la mise à l’abri de ces jeunes durant leur évaluation par le Saemna, après cette étape rien n’est prévu. Aucune institution n’a pour obligation de les protéger. « Il faut un changement de cadre juridique », explique Aude Saldana-Cazenave, « et ce n’est pas au département qui a déjà fait son job avec les évaluations de s’occuper de cela. Grace au travail d’Emmanuelle Ajon au département, de nombreuses places d’hébergement supplémentaires ont été créées ces deux dernières années mais cela ne suffit pas, l’hébergement d’urgence reste saturé ».
Le cas du Kabako est l’illustration même de ces problèmes de compétences. « On voudrait que la mairie porte cet accueil or ce n’est pas dans ses compétences », dit Aude Saldana-Cazenave. « Le maire fait pression sur le département mais ne propose pas un lieu d’accueil qui serait financé par la mairie. Les association du coup voudraient un cofinancement ». Car derrière les questions de responsabilités, c’est bien évidemment le financement de cette prise en charge qui se joue.
Candice Olivari