Amel et Abdallah, entourés par des habitantes du quartier, dans l’appartement occupé depuis trois semaines. © Crédit photo : D. B. Par Daniel Bozec
Publié le 27/11/2021 à 8h41
Mis à jour le 30/11/2021 à 8h31 Passée sous les radars des services sociaux, sans toit malgré le travail du père, une famille algérienne de Bègles craint d’être expulsée du logement social qu’elle squatte
Un T2 quasi-vide au premier étage de la résidence des Sècheries, à Bègles. Deux lits, dont un gonflable, une table et quatre chaises achetées à Saint-Michel. Côté cuisine, un frigo trouvé sur Leboncoin. Sourires timides, Abdallah et Amel reçoivent dans le salon, accompagnés par des voisines, mais ici ce n’est pas chez eux. L’appartement, propriété du bailleur social Domofrance, ils le squattent depuis le 6 novembre avec leurs deux enfants de 3 et 7 ans.
Un point de non-retour, une décision prise à défaut de trouver un toit, soupire Abdallah, 41 ans, dans un français hésitant. Il n’avait « pas le choix », alors que « plusieurs nuits » durant, la famille a dormi dans sa Peugeot 106, plus loin, un peu à l’écart, « sur le parking de la bibliothèque ». « On voyait les petits dans la voiture, une fois, deux fois en amenant les enfants à l’école », assure Nazha, une des voisines. Amel, 34 ans et enceinte de deux mois, s’y sentait d’autant plus « oppressée » que son mari travaille une partie de la nuit.
« Payer un loyer »
L’appartement squatté était libre depuis peu de temps, suite au décès de sa dernière occupante. Abdallah en a fait sauter le barillet de porte après des années passées, comprend-on, d’un plan logement à l’autre, entre sous-location aux Sècheries, déjà, et allers-retours chez des parents en région parisienne, la suroccupation d’appartements n’étant pas rare chez les populations d’origine étrangère.
Une situation qui aurait poussé Amel à rentrer ces dernières semaines en Gironde avec les enfants, scolarisés à Mantes-la-Jolie. Le couple avait émigré d’Algérie en 2014. « Des problèmes », sur lesquels Abdallah ne veut pas s’étendre, et « pas de travail ». Passé par des petits boulots, ce mécanicien de métier a décroché un CDD à la maintenance du centre de tri de Bègles et ne cesse de le répéter : il ne demande qu’à « payer un loyer ».
Soutien des voisines
Dans sa quête de logements, le père avait même acheté des listes d’annonces immobilières, contre plusieurs centaines d’euros, sollicitant en vain « plus de cinquante propriétaires », dit-il. Étonnamment, les parents, tous deux bénéficiaires d’une carte de séjour valide, sont passés sous les radars des services sociaux et des associations. « Heureusement qu’ils nous ont trouvées : ils ont du mal avec tout ce qui est administratif », souffle leur voisine Nazha
Ce sont les connaissances du quartier qui, craignant que la famille ne soit expulsée du jour au lendemain, ont conseillé aux parents de médiatiser leur histoire, au risque de susciter nombre de commentaires de rejet. « C’est notre dernier recours, estime Samira. J’ai appelé la mairie, le Centre communal d’action sociale (CCAS), la Maison départementale des solidarités et de l’insertion, on tourne en rond. »
« Ça nous fait de la peine quand on les voit dans cette situation, reprend Nazha. Abdallah est gentil, il nous dépanne des voitures, il rend beaucoup de services aux familles monoparentales. »
« Il y a urgence »
Si Abdallah a bel et bien fait une demande de logement social, il a déposé « un dossier au CCAS qui ne nous permettait pas de comprendre sa situation, la famille n’étant alors pas rassemblée », indique Amélie Cohen Langlais, adjointe au maire de Bègles en charge des solidarités et de l’habitat. S’y ajoutait un « blocage » lié à « des papiers qu’il n’arrivait pas à télécharger ». « Administrativement, c’est maintenant réglé et il est évident qu’aujourd’hui, il y a urgence », poursuit l’élue.
En accord avec les bailleurs sociaux de la commune, la Ville a de fait une légère marge d’intervention annuelle sur « trente logements » dont elle peut pousser les dossiers : « On considère cette famille comme prioritaire. Ils n’ont pas de logement en titre, il y a un salaire : ça pèse. » Reste que l’occupation illégale d’un appartement ne saurait être un préalable : « En tant que responsable politique, ce n’est pas possible de l’accepter, reprend Amélie Cohen Langlais. En tant que mère de famille, je ne lui jette pas la pierre, je ferais tout pour mettre un toit sur mes enfants. On ne va pas lui mettre un malus sur la tête : c’est une famille dont on se préoccupe. »
« On ne va pas lui mettre un malus sur la tête : c’est une famille dont on se préoccupe »
Car si un compte EDF a été ouvert au nom des nouveaux occupants, leur temps est évidemment compté dans cet appartement où Amel, à l’heure de mettre son voile le temps de la photo, se demande si elle peut passer un coup de peinture sur des traînées de moisissures au mur. Le bailleur Domofrance a engagé une procédure en référé devant le juge des contentieux de la protection, étant précisé que la trêve hivernale ne s’applique pas en cas de squat.