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Cent ans après la naissance de l’URSS, le 30 décembre 1922, que reste-t-il de l’Empire soviétique pour Vladimir Poutine ? Nostalgique d’une certaine grandeur, le dirigeant russe s’accroche à son fantasme impérial. Alors que la guerre continue de sévir en Ukraine, jusqu’où le suivra la population ?

Avec

  • Galia Ackerman Journaliste, historienne, spécialiste du monde russe
  • Anne Le Huérou maître de conférences à l’Université Paris-Ouest-Nanterre, spécialiste de la Russie contemporaine

Le discours impérialiste de Vladimir Poutine

Vladimir Poutine porte la vision d’une Russie assiégée par l’Occident, d’un affrontement bloc contre bloc comme au temps de l’Union soviétique. Toutefois, Galia Ackerman souligne que la Russie d’aujourd’hui ne connaît pas la même puissance ni ne bénéficie du même soutien que l’Union Soviétique d’hier : “La Russie essaie de mobiliser les autres pays pour former de nouveau un tel bloc mais elle a très peu d’alliés pour l’instant”. “La Russie fait beaucoup plus cavalier seul et cela renforce le sentiment d’une forteresse assiégée”. Il s’agit d’une stratégie de propagande efficace selon Anne Le Huérou : “On voit bien que cette rhétorique, qui fait de la Russie une forteresse assiégée, est la meilleure arme de propagande qui reste à Vladimir Poutine pour justifier cette guerre”.

Une opinion publique difficilement perceptible mais qui demeure globalement favorable à la guerre

Il est très difficile pour des observateurs étrangers de percevoir l’opinion publique russe en raison du blocus médiatique que connaît aujourd’hui le pays ; il est par ailleurs impossible de parler d’un monolithisme de cette dernière. Malgré ces nuances, on peut tout de même considérer que les Russes continuent globalement à adhérer au discours impérialiste de leur dirigeant même si leurs motivations profondes demeurent évidemment inconnues : comme le souligne Anne Le Huérou,entre l’obligation et l’enthousiasme, il est souvent extrêmement difficile de savoir”. “Il y a toute une partie de la population qui est dans une sorte de consentement passif, qui est la suite de tout un tas de consentements antérieurs, de renoncements à des libertés, à certaines valeurs, de petits arrangements avec sa conscience, à une forme de déni qui est aujourd’hui tout à fait massif”.

Partant de son expérience de citoyenne russe ayant résidé en Russie jusqu’à ses vingt-cinq ans, Galia Ackerman évoque le phénomène de “double conscience” qu’elle a elle-même connu. La propagande, la censure de tout média d’opposition et la répression politique que connaît la Russie depuis bien avant la guerre en Ukraine, conduisent la population soit à dissimuler ses véritables opinions politiques, soit à un véritable déni : “Il y a beaucoup de gens que la guerre ne concerne absolument pas et qui ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. (…) Les gens ne sont pas du tout sensibles à ce qui se passe en Ukraine, et ça je trouve ça vraiment dramatique”.

L’impossible cristallisation d’une opposition ?

Si on a pu observer des contestations de la politique de Vladimir Poutine, la cristallisation d’une véritable opposition apparaît actuellement difficilement réalisable. Anne Le Huérou souligne “le gouffre qui existe entre une information sur la guerre, une inquiétude pour le conflit, se sentir concerné et aller jusqu’à se mobiliser“. “Je pense que la population russe est assez loin d’une possible et véritable mobilisation”. La mobilisation se fait nécessairement “à bas bruit“, des petites 
actions de sabotage coûtant extrêmement cher, et le soutien de mobilisations anti-guerres pouvant entraîner une condamnation à la prison à vie.

Galia Ackerman insiste quant à elle sur l’importance de la propagande, qui héroïse les combattants de l’armée russe, et d’une loi qui proclame pratiquement l’impunité pour les actions menées par les militaires russes en Ukraine.  
On est dans une situation où c’est peut-être même moralement confortable pour les gens de croire quelque part que oui, ils sont en train de libérer l’Ukraine des nazis et en ce sens de répéter l’exploit de l’armée rouge qui a gagné, par un énorme sacrifice, la seconde guerre mondiale”.

Si Vladimir Poutine a, depuis son arrivée au pouvoir en 2000, tenté de redorer le blason de l’Union Soviétique, cela répond plutôt selon Anne Le Huérou à une volonté de parer l’armée russe d’un nouveau prestige qu’à une véritable entreprise de réhabilitation historique : “A chaque fois qu’il y a une difficulté, le recours à l’histoire, avec toutes les circonvolutions et les contorsions possibles et imaginables, est une donnée majeure des entreprises de justification“.

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