Publié le : 25/09/2021 – 09:05

Anouar Benmalek est romancier, poète et essayiste. Il vient de publier son nouveau roman L’Amour au temps des scélérats, aux éditions Emmanuelle Collas. © Francesco Gattoni

 Tirthankar Chanda

Mathématicien converti à la littérature pour les beaux yeux d’une Ukrainienne, l’Algérien Anouar Benmalek s’est imposé comme l’un des écrivains majeurs de la littérature algérienne de langue française. Il écrit une œuvre engagée, dont la matière lui est inspirée par les turbulences du monde contemporain, mais aussi par son histoire familiale singulière. Il vient de publier, aux éditions Emmanuelle Collas, son dixième roman L’Amour au temps des scélérats.

« Je ne pourrais pas ne pas écrire. Quand je n’écris pas, j’ai une inquiétude presque métaphysique jusqu’à me demander ce que je fais sur cette terre. Je dois écrire, un peu comme le fumeur qui doit fumer ou l’ivrogne qui doit boire. Moi, je dois écrire. » Ainsi parle le romancier algérien Anouar Benmalek. L’Algérien n’est pas le premier à évoquer ce besoin irrépressible d’écrire. D’autres l’ont dit et répété avant lui.

On pense notamment à Beckett qui disait qu’il écrivait parce qu’il n’était « bon qu’à çà », ou encore à Gabriel Garcia Marquez dont s’inspire, L’Amour au temps des scélérats, le nouveau roman d’Anouar Benmalek.

Le tyran « au cou de girafe »

Ce nouvel opus est peut-être l’un des ouvrages de fiction les plus ambitieux de cette rentrée littéraire 2021. D’une imagination foisonnante, il convoque le passé et le présent, le prophète Abraham et Bachar el-Assad – le tyran « au cou de girafe » – , la civilisation sumérienne et les Yézidis, victimes d’un génocide moderne passé sous silence. Quelque part entre la Turquie et la Syrie, un personnage étrange, candidat invraisemblable au jihad, se présente au poste frontière. Énigmatique et intemporel, Tammouz qui vit sur plusieurs siècles n’est pas un héros de chair et de sang, mais une idée, la métaphore de notre part d’humanité bafouée à travers les âges par les puissants. Ces derniers ne sont pas toutefois les seuls scélérats mis en scène dans le roman.

 « Les scélérats sont partout, explique l’auteur, et il y en a de toutes sortes. Il y a le scélérat évident, ce sont les tueurs, qu’ils soient d’un bord ou de l’autre, soit chez Daech, soit chez les gouvernements arabes, qu’ils soient par exemple chez les utilisateurs des drones qui tuent à distance en petit fonctionnaire du crime. J’avais lu un livre sur les drones dont le titre était “We kill because we can”. Personne ne considère ces tueries bureaucratiques comme un crime parce que c’est le fait d’une grande puissance. Il y a aussi des scélérats parmi les gens ordinaires, ceux qui apportent leur soutien tacite aux criminels. Daech a pu exister non pas seulement parce qu’il y avait les tueurs de Daech, mais parce qu’une partie des populations dans le monde arabe ne les trouvait pas si mauvais que ça. Les scélérats, il y en a partout ! »

L’Amour au temps des scélérats « n’est pas un roman sur Daech ni sur la Syrie dévastée », prévient l’auteur. Les turbulences de notre monde auxquelles les protagonistes de son récit sont confrontés sont le canevas sur lequel se déploient des sentiments puissants d’amour, de deuil, d’ambitions, qui sont peut-être les véritables sujets de ce roman à la fois épique et picaresque. Ces sentiments sont surtout incarnés par le protagoniste Tammouz, qui se révèle être un personnage de tragédie classique, cachant dans son cœur immémorial la mémoire de sa bien-aimée. « C’est aussi un roman d’amour, rappelle l’auteur. J’ai voulu écrire une version mésopotamienne à la fois contemporaine et antique de Tristan et Iseut, de Kaïs et Leïla, de Roméo et Juliette, mais plongés dans cette atmosphère de meurtre. En même temps, ça nous ramène aux grandes religions monothéistes dans lesquelles il y a une espèce de fascination pour Abraham, qui soulève la grande question : comment peut-on sacrifier ce qu’on a de plus cher pour ou pour un être suprême, en ne se posant pas de questions. »

« Faulkner méditerranéen »

Á la fois roman d’amour, conte et fable, L’Amour au temps des scélérats est surtout l’œuvre d’un artiste au sommet de son art. Qualifié de « Faulkner méditerranéen », Anouar Benmalek est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Il est romancier, mais aussi poète, nouvelliste, essayiste. Ses romans puisent leur matériau autant dans son l’Algérie natale de l’auteur que dans des questionnements aux résonances universelles, entraînant ses lecteurs dans des territoires géographiques lointains tels que Damas, Beyrouth, Los Angeles ou encore le pays herero de la Namibie. Parmi ses romans les plus célèbres, il faut citer Le Fils du Shéol (2015), L’Enfant du peuple ancien (2000) ou 0 Maria (2006), des ouvrages primés, traduits en nombreuses langues.

Anouar Benmalek s’est fait connaître en 1998, en publiant son premier roman  Les Amants désunis (1998), inspiré du récit de vie hors du commun de sa grand-mère suisse. Celle-ci était trapéziste et avait rencontré son mari lors d’une tournée de cirque à Alger. Cette histoire d’amour tragique, racontée rétrospectivement, sur fond de la dérive d’une Algérie naufragée, a révélé un conteur hors pair, soucieux de donner à voir une humanité encore en devenir, tiraillée entre conscience et réflexe de survie. L’écrivain est considéré comme « le romancier algérien le plus talentueux depuis Kateb Yacine », rappelle son éditrice .

Né en 1956 d’un mariage mixte entre un père algérien et une mère marocaine, Anouar Benmalek a grandi à Constantine, en Algérie. Il aime à raconter que rien ne le prédestinait à une carrière littéraire. Amoureux des sciences depuis son plus jeune âge, il se vouait à une carrière de mathématicien. « À l’époque, mes dieux s’appelaient Marie Curie et Albert Einstein dont j’avais des photos dans ma chambre », se souvient-il.

Le goût de l’écriture est venu lorsqu’à Kiev, dans les années 1970, il préparait une thèse de mathématiques. L’auteur a souvent raconté les circonstances aussi romantiques que rocambolesques de sa venue à l’écriture : « Je suis venu à l’écriture par l’opportunisme amoureux. J’avais eu le béguin pour une fille et que, mathématicien et bien pauvre pour tenter d’éblouir la fille qu’il aime, je me suis mis à la poésie, à la mauvaise poésie. Puis, je suis passé à la nouvelle et ensuite au roman. Ce qui est amusant dans cette histoire, c’est que cette fille qui m’a permis de devenir romancier, elle était en fait une véritable mythomane. Elle m’avait dit qu’elle parlait le sanscrit, qu’elle peignait des icônes, qu’elle faisait de la photo artistique et d’autres choses encore. J’ai découvert en fait qu’elle était une véritable mythomane. Mais je ne lui en veux pas. Au contraire, je lui suis profondément reconnaissant de m’avoir à mon tour permis de devenir mythomane parce que, comme vous le savez, un romancier est un peu mythomane. »

Aujourd’hui, professeur de probabilités et de statistiques dans une université en France où il vit depuis vingt ans, l’ancien dragueur enfiévré de la belle Ukrainienne partage son temps entre ce qu’il appelle ses « deux amours » : les maths et la littérature. Il retourne régulièrement en Algérie qu’il avait dû quitter en pleine guerre civile, après l’assassinat par les islamistes de son ami et « frère d’âme », l’écrivain Tahar Djaout.  


► L’amour au temps des scélérats, par Anouar Benmalek. Éditions Emmanuelle Collas, 2021, 456 pages, 20 euros.

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