Le violent incident qui a eu lieu fin juillet au centre de rétention administrative de Rennes/Saint-Jacques-de-la-Lande nous a motivés à échanger directement avec des personnes retenues pour mieux comprendre la situation. Ainsi, nous avons pu discuter avec trois hommes d’origines et de situations familiales différentes, que nous appellerons Anto*, Bassim* et Chakib* (prénoms modifiés pour des raisons évidentes de confidentialité, NDLR). Dans cet article, vous trouverez leurs témoignages, leurs mots (ou maux), et surtout leurs souffrances.
C’est coincé entre l’aéroport, le parc des expositions et le plus grand complexe golfique breton que se situe le centre de rétention administrative de Rennes/Saint-Jacques-de-la-Lande. À l’abri des regards curieux grâce aux immenses bâches qui l’entourent presque entièrement, ce dernier fait partie des 25 autres dispatchés sur l’ensemble du territoire français.
À l’intérieur de l’enceinte fortifiée, la tension est permanente. Quotidienne. Usante. Tellement qu’on y dénombre trois décès en 2019, sans oublier les nombreuses tentatives de suicides ou les actes d’automutilation. « Un CRA est avant tout un lieu de privation de liberté d’où les personnes peuvent être expulsées à tout moment contre leur volonté », nous rappelle Victoire*, intervenante de la CIMADE. Ladite association de solidarité active et de soutien aux migrant·e·s s’efforce de témoigner de la réalité que représente l’enfermement en rétention et dénonce régulièrement les conditions matérielles dans lesquelles les étranger·e·s sont maintenu·e·s ainsi que les conséquences psychologiques et physiques qu’elles peuvent engendrer chez elles/eux. « Ce lieu est donc extrêmement anxiogène, les tensions sont inévitables, poursuit-elle. La crise sanitaire a rajouté de l’anxiété car dans un milieu clos comme celui-ci, il est très difficile de maintenir les gestes barrières et les distances nécessaires pour empêcher la propagation du virus. De plus, de nombreux pays ont fermé leurs frontières, rendant impossibles les expulsions. Les personnes sont donc enfermées pendant plusieurs mois sachant qu’elles ne pourront pas partir. Maintenir l’enfermement malgré l’impossibilité d’appliquer les mesures d’expulsion n’a pas de sens. »
Cette incompréhension se manifeste chez les personnes retenues que nous avons pu joindre par téléphone. « Cela fait un mois que je suis ici et j’ai appris que je devais rester encore 30 jours alors que je me suis porté volontaire pour payer le billet d’avion avec mon propre argent pour rentrer, nous explique Bassim. Mais réserver un vol est impossible ce mois-ci, ni même le suivant. On me prive donc de ma liberté de manière totalement gratuite. C’est une vraie injustice. » Même son de cloche de la part de Chakib qui nous confirme cette situation kafkaïenne : « les frontières de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie sont fermées. On est là pourquoi alors ? Je suis Marocain et on va me garder pendant 60 jours ?! 60 jours pour rien ! »
Au Centre de Rétention Administrative de Rennes/Saint-Jacques-de-la-Lande, avant la crise sanitaire, 72 % des personnes retenues ont été libérées selon les chiffres de la CIMADE.
Selon la loi, la rétention ne se justifie que parce que la personne présente un risque de fuite et uniquement pour le temps nécessaire à l’administration pour organiser son départ. Dans le contexte sanitaire actuel, la politique d’enfermement menée tambour battant par le gouvernement est donc une aberration totalement dépourvue d’humanité. Mais est-ce vraiment une surprise ? Cela fait bien longtemps que le pays des Lumières a perdu de son éclat. Nous-mêmes avons arrêté de compter le nombre de condamnations de la France par la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme, NDLR) pour non-respect de la Convention européenne des Droits humains+d1fos.
A l’intérieur du centre de rétention administrative
Le vendredi 30 juillet, une ligne rouge supplémentaire a été franchie. Des policiers ont gazé une quinzaine de personnes après que l’une d’entre elles, malade et suivant un régime alimentaire strict, se soit vivement plainte du déjeuner composé uniquement de riz blanc+d1fos. Ce n’est pas la première fois que la question des repas non adaptés aux différentes cultures et régimes médicaux tourne au vinaigre. Les retenu·e·s de confessions musulmanes déplorent fréquemment de ne pas bénéficier de menus halal ou a minima de menus végétariens leur permettant de maintenir une alimentation suffisante.+d1fos Rennes n’est pas l’exception qui confirme la règle. En 2018, une trentaine de député·e·s après avoir visité plusieurs CRA un peu partout en France avaient posé un constat identique : le service au niveau des repas n’est pas toujours adapté et certaines personnes ont faim+d1fos. « À chaque fois, on nous dit que ça va changer mais moi, ça fait 40 jours que je suis là et je n’ai vu aucune évolution, observe Anto. Le dialogue avec les policiers est souvent impossible. Ils ne nous respectent pas. On est traité comme des animaux. Certains policiers, pas tous, sont des provocateurs et tiennent des propos racistes. » Le son de sa voix laisse transparaître de la colère mais aussi beaucoup de la lassitude et d’amertume.
De l’amertume, Bassim en a à revendre. Lui aussi a respiré du gaz lacrymogène et semble revivre l’altercation en nous la racontant. « Je fais partie de ces gens qui ont été gazés gratuitement par les policiers. Ils nous ont laissés enfermés dans cette pièce, avec les fenêtres fermées. Moi et mes amis, nous ne pouvions plus respirer. On étouffait. Les yeux nous brûlaient… Ce n’est qu’en forçant une issue de secours que nous avons pu sortir. » En signe de protestation, certaines personnes ont cessé de s’alimenter pendant plus de 24 heures. Antoraconte avoir demandé une justification à cette violence. « Si vous n’êtes pas content, nous n’avez qu’à rentrer chez vous », lui aurait-on répondu. Circulez, il n’y a rien à voir.
Chakib, d’une voix calme et posée, se veut optimiste et perçoit de timides améliorations depuis quelques jours. « Un petit peu, mais pas beaucoup », répète-t-il presque gêné. Malgré une volonté de calmer les choses, l’équilibre reste précaire. « Pas plus tard que tout à l’heure, des policiers ont empêché un père de voir son fils venu lui rendre visite, nous répète Anto. Eh bien, il a fallu attendre qu’il pète les plombs pour qu’ils le laissent enfin le rencontrer. »
Ainsi, les jours passent et se ressemblent. Les bonnes nouvelles se font rares et la monotonie du quotidien devient étouffante. En mode zombie. « A part se rendre à l’infirmerie ou discuter avec les gens de la CIMADE, ici, il n’y a rien à faire. », déplore Chakib. Comme beaucoup, ce dernier a besoin d’une béquille médicamenteuse afin de pouvoir se reposer et dormir. « Je ne prends aucun médicament habituellement, mais là, j’en ai vraiment besoin. Je me lève stressé, je m’endors stressé. Je ne fais que réfléchir, et ce n’est pas bon pour moi. Et puis la nuit si quelqu’un tombe malade, même si tu cries, il n’y a personne qui t’écoute. Rien, tu crèves ! Vous comprenez ce que je veux dire ? »
Un·e seul·e psychologue est présente sur place un jour par semaine. Pour suivre potentiellement entre 30 et 40 individu·e·s, ce n’est sans doute pas assez. « On nous laisse devenir des “cachetonnés”, renchérit Bassim. Tous les jeunes qui sont là sont tombé·e·s dans un cercle vicieux entre morphine et benzodiazépine. La réalité est que chaque jour ici est un jour pourri. On est en train de vivre un enfer sur terre. »
« Je ne pensais pas qu’un CRA ressemblait autant à une prison », lançait le député de la 8e circonscription du Finistère Erwann Balanant, après sa visite au CRA de Rennes/Saint-Jacques-de-la-Lande+d1fos. Pourtant, les personnes que nous avons pu interroger et qui ont connu la prison sont formelles. Entre la peste et le choléra, il n’y a pas à hésiter. La détention est « mille fois mieux » que la rétention. Au moins, dans un établissement pénitentiaire, au contraire du CRA, il est possible de choisir individuellement sa nourriture dans un catalogue, ou mieux, de pouvoir appeler et parler à quelqu’un la nuit grâce à un bouton d’appel disposé dans chaque cellule.
D’ailleurs, depuis quelques mois, les allers-retours prison-CRA se multiplient. La CIMADE le reconnaît et analyse ce principe de vases communicants. « L’administration notifie souvent des mesures d’éloignement pendant l’incarcération. Or, l’accès aux droits en prison est difficile et rend quasi impossible toute contestation dans les délais légaux. » Les détenu·e·s ne peuvent donc pas faire valoir pleinement leurs droits au séjour du fait de leur incarcération.
De plus, le nombre de personnes condamnées à une peine de prison et incarcérées depuis le CRA a, lui aussi, augmenté. Cette hausse s’explique notamment par les poursuites pénales qui ont quasiment systématiquement été engagées à l’encontre des personnes refusant de se soumettre à un test PCR. « Jusque-là jugée illégale par les avocats en droit des étrangers, l’obligation de se soumettre à un test PCR en vue d’une expulsion a été inscrite dans la loi sur la gestion de crise sanitaire promulguée lundi dernier (9 août, NDLR), nous éclaire Victoire de la CIMADE. Ainsi, toute personne qui refuse ce test peut être condamnée à une peine de prison. C’est une très mauvaise nouvelle, car cette loi vient bafouer le principe de consentement libre et éclairé avant tout acte médical et celui de l’intégrité du corps humain. Soit la personne participe à sa propre expulsion en réalisant ce test, soit elle prend le risque d’une condamnation pénale pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. » En somme, l’état, dans une logique implacable, peut contraindre une personne qu’il souhaite expulser à rester sur son sol. Ce n’est pas pour rien que les associations de soutien aux personnes « sans-papiers » s’insurgent de ce cycle infernal entre prison et rétention.
En conclusion, le système français est retors, mais finalement, n’a qu’un seul but : dégoûter celles et ceux qui voudraient tenter de venir vivre en France. Le défenseur des droits l’écrit noir sur blanc : « Les différentes lois relatives aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers […] ont, à de rares exceptions près, conduit à une régression de la situation des étrangers […]. Ce faisant, elles ont renforcé la banalisation, dans les esprits et dans le droit, du traitement différencié des individus en raison de leur nationalité. » La gestion de la crise sanitaire dans les CRA a été à l’origine de nombreux recours abusifs à la rétention et à des violations répétées des droits fondamentaux des personnes concernées.
« Être sans-papiers en France est un délit, mais moi, je ne suis pas un sans-papiers ! J’ai mes papiers, mais de mon pays d’origine », s’exclame Bassim. Et Anto de renchérir : « Au lieu de nous aider, on nous détruit psychologiquement et on nous amène vers la délinquance. La devise “Liberté, Égalité, Fraternité” est oubliée. Ce n’est que du cinéma ! » Le pays des Lumières a vraiment perdu de son éclat.