Par Charlotte Boitiaux Publié le : 26/04/2021
Après l’assassinat d’une policière à Rambouillet, en région parisienne, vendredi, certaines personnalités politiques françaises ont de nouveau dressé un lien entre terrorisme et immigration. InfoMigrants refait le point sur les lois en vigueur qui encadrent l’immigration et la régularisation des étrangers en France.
L’assassinat d’une policière par un Tunisien de 36 ans, vendredi 23 avril, à Rambouillet, en région parisienne, a relancé de nombreuses questions et polémiques autour de la régularisation des étrangers sans-papiers. Beaucoup de raccourcis, de propos simplistes ou tout simplement faux, ont été énoncés par des hommes et des femmes politiques dans les médias et sur les réseaux sociaux.
InfoMigrants refait le point sur les lois en vigueur qui encadrent l’immigration et la régularisation des étrangers en France.
1/ “Il faut arrêter de régulariser les clandestins. Quand un homme entre chez nous en violant la loi française, en étant en situation irrégulière, il faut sortir de la loi la possibilité de le régulariser.” Déclaration de Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national sur BFM-TV, le 23 avril 2021.
Marine Le Pen propose de retirer de la loi la possibilité de régulariser un étranger entré illégalement sur le sol français. C’est juridiquement compliqué voire impossible.
Premièrement, cette proposition contrevient au principe même du droit d’asile, régi par la Convention de Genève dont la France est signataire. Un individu a le droit de demander une protection internationale sans aucun prérequis. Pas besoin donc d’avoir une “autorisation” d’entrée sur le sol français. La loi n’exige pas d’un demandeur d’asile d’avoir des papiers en règle lors du dépôt de son dossier à l’Ofpra (l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides) qui décide d’attribuer ou non le statut de réfugié.
Pour rappel, la protection d’un étranger menacé dans son pays est inscrite dans la Constitution française. Il n’est a priori pas possible de remettre en cause l’accès à la demande d’asile.
Deuxièmement, on estime qu’il y a environ 350 000 étrangers sans-papiers en France, selon le centre de recherches américain Pew Research Center. Parmi eux, certains travaillent et participent à la vie économique française, mais ils ne correspondent pas aux critères de régularisation prévue par l’administration. D’autres sont parents d’enfants nés en France. D’autres encore sont entrés légalement (en tant qu’étudiants, par exemple) mais n’ont pas renouvelé leur titre de séjour et sont aujourd’hui en situation irrégulière.
Ces cas sont autant de dossiers spécifiques à traiter. “Arrêter de régulariser les clandestins” sous-entend que tous les dossiers de sans-papiers sont identiques. Ce qui est faux.
2/ “Il faut revenir à la raison : [il faut] expulser les clandestins”. Déclaration de Marine Le Pen sur BFM-TV, le 23 avril 2021.
C’est déjà la cas. La France expulse des étrangers en situation irrégulière. Les chiffres de l’année 2020 révèlent que le pays a renvoyé au total un peu plus de 9 000 personnes. C’est deux fois moins qu’en 2019 quand 19 000 personnes avaient été renvoyées. Selon le ministère de l’Intérieur, l’explication de cette baisse est en partie à imputer à la pandémie de Covid-19 et aux nombreuses fermetures de frontières.
Ces dernières années, la tendance des expulsions était plutôt à la hausse. En 2016, 12 900 personnes avaient été renvoyées, contre 14 200 en 2017, 15 600 en 2018 et 19 000 en 2019.
Source : Ministère de l’Intérieur
Ensuite, l’expulsion d’un sans-papiers est soumise à des règles. Elle n’est pas automatique. Par exemple, un étranger sans passeport, et donc sans nationalité, n’est pas expulsable. Pour le renvoyer, il faut l’accord de son pays d’origine et demander un laisser-passer consulaire. Or, ces documents sont délivrés au compte-gouttes par les pays concernés. Une expulsion peut donc prendre du temps.
En novembre dernier, le gouvernement a haussé le ton contre les pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants, notamment ceux écroués pour radicalisation. Le chef de l’État français vise notamment la Tunisie, le Maroc et l’Algérie qui rechignent à faire revenir sur leur sol des criminels potentiels. Selon le ministère français de l’Intérieur, en ce mois de novembre 2020, la France comptait 231 étrangers en situation irrégulière suivis pour “radicalisation”, et a fait de leur expulsion une priorité.
3/ “Comment un homme qui est resté clandestin durant 10 ans sur notre territoire a-t-il pu être régularisé ?” Déclaration de Marine Le Pen sur BFM-TV, le 23 avril 2021.
D’après la justice antiterroriste, le meurtrier présumé de la policière assassinée à Rambouillet est né en Tunisie. Il est arrivé en France en 2009. Il a bénéficié en 2019 d’une autorisation exceptionnelle de séjour salarié, puis d’une carte de séjour en décembre 2020, valable jusqu’en décembre 2021. Il sera donc resté 10 ans en situation irrégulière.
Marine Le Pen s’offusque qu’après plusieurs années passées en clandestinité, un étranger puisse se voir octroyer un titre de séjour. Ces cas ne sont pas rares et ils sont encadrés. C’est la circulaire Valls, de 2012, qui fixe les modalités de cette régularisation (durée de la présence en France, situation familiale, enfant scolarisé, ressources suffisantes…).
Alors ministre de l’Intérieur, Manuel Valls ne souhaitait pas “régulariser en masse” mais donner une feuille de route aux préfectures pour les aider à attribuer des cartes de séjour de manière non-arbitraire.
Généralement, les sans-papiers doivent pouvoir justifier d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail. Il faut également attester du fait que l’on parle le français et que l’on adhère aux valeurs de la France.
De nombreux étrangers contactés par InfoMigrants se font aider dans ces démarches par des avocats spécialisés ou par des collectifs de défense des sans-papiers.
4/ Il faut “cesser de nier le lien entre terrorisme et immigration”. Déclaration de Valérie Pécresse, présidente (Libres!) de la région Ile-de-France, sur Europe 1, dimanche 25 avril.
“Il y a un lien entre immigration et terrorisme. Il faut dès maintenant, dès aujourd’hui, de façon radicale, stopper toute immigration” Déclaration de Guillaume Peltier, vice-président délégué du groupe Les Républicains (LR), sur France 3, dimanche 25 avril.
Le lien entre immigration et terrorisme revient régulièrement dans le débat public au gré de la situation sécuritaire française. Pour étayer leurs propos, différentes personnalités politiques citent en exemple les derniers attentats en France.
Le plus récent remonte au 29 octobre 2020, quand un Tunisien fraîchement arrivé en France, a assassiné deux femmes dans la basilique Notre-Dame de Nice, dans le sud du pays. Il est âgé de 21 ans. L’homme est effectivement un étranger sans-papiers. Il avait atteint la France en profitant du parcours migratoire “classique” de milliers de migrants en passant notamment par l’ile italienne de Lampedusa.
Quelques jours avant, c’est Abdoullakh Anzorov, le meurtrier de Samuel Paty, qui était passé à l’acte. Il avait décapité le 16 octobre 2020 le professeur d’histoire en région parisienne. L’homme n’est pas non plus français. C’est un Russe d’origine tchétchène, en règle. Il est arrivé en France à l’âge de 6 ans avec ses parents. Tous bénéficiaient d’un titre de séjour.
Reste que depuis 2012, la plupart des autres terroristes impliqués dans les attaques meurtrières sur le sol hexagonal étaient Français et nés sur le sol français : c’est le cas de Mohammed Merah (attentat de Toulouse en 2012), Chérif et Saïd Kouachi (attentat de Charlie Hebdo en 2015), Amedy Coulibaly (attentat de l’Hyper Cacher en 2015), Larossi Abballa (attentat de Magnanville, en 2016).
Le cas du 13-Novembre est particulier. Six des 10 membres des commandos étaient Français, deux étaient Irakiens, un était Belge et le dernier belgo-marocain. Aucun n’est un “migrant” au sens humanitaire du terme, mais tous (sauf les frères Abdeslam) ont profité des flux migratoires via la Grèce, pour faire des allers-retours en Syrie.
L’attentat islamiste à la préfecture de police de Paris en octobre 2019 a été mené par un Français, Mickaël Harpon, qui a assassiné quatre policiers. L’homme était originaire de Fort-de-France, en Martinique.
Cherif Chekatt, l’auteur présumé de l’attentat perpétré le 12 décembre 2018 dans le centre-ville de Strasbourg est lui aussi Français.