Comme Soruba à Poitiers en bac pro ou Grace Stevy en master de droit à La Rochelle, ils sont nombreux les jeunes migrants à qui l’administration refuse leur titre de séjour en plein milieu de leurs études. Un difficile retour à la case départ quand ils pensaient enfin quitter la précarité.
Publié le 12/03/2021 à 15h35
Vienne Poitiers Charente-Maritime La Rochelle
Soriba est en colère. Assis sur le siège passager d’une voiture, il a posé son téléphone portable sur le tableau de bord. Comme on peut l’imaginer, il répète dans sa tête le message qu’il veut délivrer dans cette courte vidéo qu’il s’apprête à enregistrer. Il y a urgence, mais le jeune Guinéen n’est pas là pour raconter sa vie. Le jour où, à 15 ans, il a quitté son pays, le voyage à travers mer et désert pour rallier la France, les premiers mois au Mans puis à Poitiers ; tout ça, c’est le passé. Soriba pense à l’avenir. Alors, il appuie sur le bouton rouge de son téléphone et il essaye, avec ses mots, d’expliquer sa colère.
Aujourd’hui, mon espoir, il est où ? Je n’ai plus d’espoir. Je me lève tous les jours à trois heures pour essayer d’aller travailler, essayer d’aller en formation. Depuis que je suis arrivé en France, je n’ai jamais eu de problème avec qui que ce soit. J’essaye juste de m’en sortir parce que je suis un jeune. Je suis appelé un jour à fonder ma famille, à être responsable. Mais si on me retire mon titre de séjour, qu’est-ce qu’ils veulent que je devienne dans la rue, un jeune délinquant ? Je demande juste qu’on réexamine mon dossier parce que je le mérite. Ça fait trois ans que je me bats pour l’obtenir.
“On a l’impression qu’il y a un durcissement”
Joint au téléphone, il explique que, dès le début, l’administration a refusé de le considérer comme mineur. Heureusement, il a pu compter sur l’association Min’ de Rien à Poitiers pour lui venir en aide. Il a donc commencé un bac pro à Châtellerault et trouvé un contrat d’apprentissage dans une usine de surgelés. Ce bac, il espère bien le passer en juin prochain, comme prévu. Mais il vient d’apprendre qu’on ne renouvellerait pas ses papiers. “Je pensais avoir un titre de séjour parce que ça se passe bien avec mon entreprise. D’ailleurs, ils ne m’ont pas laissé tomber. Ils ont juste suspendu mon contrat jusqu’au 14 août”, se désole-t-il au bout du fil, “mais je ne peux plus passer mon bac pro puisque je n’ai plus l’autorisation de travailler et c’est l’entreprise qui paye ma formation et si j’ai un accident par malheur à l’entreprise, elle ne peut pas me prendre en charge”.
Visiblement, les fonctionnaires de la préfecture apprécient modérément les approximations et autres fautes de frappe de leurs homologues guinéens. “Dans l’administration guinéenne, comme c’est un pays où il y a pas mal de corruption, les fonctionnaires ne sont pas forcément bien formés et il peut y avoir des erreurs d’orthographe ou autres”, nous explique Chantal Bernard de l’association Min’ de Rien, “ces erreurs jettent la suspicion sur la véracité des papiers et on a beau faire revenir des extraits d’actes de naissance, on contrôle le processus, on les fait authentifier, mais l’administration persiste. Elle ne veut pas admettre que même si on fait revenir les papiers, cela ne signifie toujours pas que le jeune dit la vérité. Il y a une résistance de l’administration française”.
Dans sa courte vidéo, Soriba exhibe ses contrats de travail, ses factures de loyer et d’électricité, tous les papiers accumulés dans son périlleux parcours administratif. Il répète qu’il n’a jamais rien fait de mal, qu’il se lève tous les jours à trois heures du matin, qu’il a une copine, “une blanche”. “Je peux me marier avec elle pour avoir des papiers, mais c’est pas mon but”, s’énerve-t-il, “mon but, c’est de me battre moi-même parce que je suis fier de ce que je fais et j’aime ce que je fais. L’amour, c’est pas une question matérielle, l’amour, ça doit être sincère et je suis sincère avec ma copine”.
On a l’impression qu’il y a un durcissement. Lui, il ne sera peut-être pas expulsé mais il va rester sans papier pendant un bout de temps. Comme il le dit, ça pousse à la délinquance. Pour rester vertueux quand on est nié dans sa parole et qu’une histoire de papier vous empêche de travailler – ce qu’on est sensé faire quand on a dix-huit ou vingt ans – c’est difficile. La tentation, c’est rapidement de se débrouiller d’une autre manière.
Chantal Bernard, association Min’ de Rien 86
“Une politique de découragement”
Son employeur, lui, nous explique qu’il n’avait pas d’autres choix que de suspendre son contrat de travail. Il ne veut pas juger la décision des services préfectoraux et ne connait que trop bien les difficultés d’insertion de jeunes immigrés. “Ce sont souvent des profils intéressants pourtant”, nous précise-t-il. Un peu partout en France, la presse se fait régulièrement écho d’histoires comme celle de Soriba. Il y a eu le cas de Laye Fodé Traoré à Besançon dont le patron boulanger a fait onze jours de grève de la faim pour que son apprenti soit régularisé. Plus récemment, c’était Bangaly Soumah, apprenti charpentier chez les Compagnons du Devoir à Nantes. Lui aussi Guinéen, il était menacé d’expulsion et a, in extremis, obtenu un sursis.
“Ce qui s’est passé à Besançon et les mobilisations locales que l’on constate un peu partout et qui sont plus ou moins médiatisées – celle de Besançon l’a été beaucoup – font bouger les lignes“, nous explique Guillaume Marsallon, responsable de la CIMADE pour le centre-ouest, “mais malheureusement, même si c’est absolument nécessaire de le faire, ce sont des lignes individuelles et pas générales. C’est un levier d’action important mais qui n’a pas d’impact général. Surtout dans des périodes pré-électorales qui ne sont pas propices à faire bouger les choses sur ce genre de dossier…Dans tous ces cas pourtant, nous avons à faire à des jeunes motivés et qui donnent entière satisfaction à leurs employeurs.”
“C’est vrai que les employeurs, y compris de très bonne volonté, sont, du fait de la difficulté d’initier ces démarches administratives pour employer des personnes étrangères en général et des jeunes en particulier, avec des délais d’instruction qui sont extrêmement long, les employeurs sont de facto dissuadés de le faire. Ils nous disent «j’ai commencé une démarche, je veux employer ce jeune mais je dois attendre x mois sans savoir si à la fin ce sera un oui ou un non ». Ça ne les motive pas à accompagner ce jeune qui est super bien et qui a une petite différence avec les autres car lui demande d’avoir le droit à travailler. C’est souvent un parcours du combattant pour le jeune et pour l’employeur. Le résultat de tous ces imbroglios administratifs s’apparente effectivement à une politique de découragement.“
Guillaume Marsallon, responsable de la CIMADE
“Ils contestent le caractère sérieux de mes études”
A La Rochelle, Grace Stevy a lui aussi reçu une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. Pourtant, il devrait normalement valider sa première année de master en droit des entreprises en juin prochain. Il est arrivé en France en 2015 et habite depuis au Foyer des Jeunes Travailleurs de Mireuil. Après avoir redoublé son année de licence en 2019, il savait qu’il risquait d’avoir des soucis avec son titre de séjour. “Mes parents étaient malades et j’avais des problèmes familiaux, c’était compliqué” s’excuse-t-il.
Comme le demandait la préfecture de Charente-Maritime, il avait en plus fourni une attestation de son employeur pour justifier de ses ressources. “Ma demande je l’avais faite par le biais de l’université et ils me l’auraient dit s’il manquait des documents.” D’ailleurs, un e-mail l’informait l’année dernière que son dossier avait été instruit et qu’il allait recevoir une convocation pour venir retirer son titre de séjour. Mais, après plusieurs mois d’attente, pas de nouvelles. Il finira pourtant par être reçu par une fonctionnaire. “Elle m’a dit que mon dossier n’était pas complet, qu’il manquait beaucoup de documents“, s’étonne-t-il, “mais ce mail, je l’ai bien reçu”.
“Je trouve ça très injuste parce que ça vient briser mes rêves. Moi, je voulais rester en France, faire mes études et travailler et là je ne sais pas comment je vais faire. J’ai très peur. Je suis du Congo-Brazzaville et je ne suis jamais retourné au pays depuis 2015. Je ne m’imagine pas y retourner maintenant. Toute ma famille compte sur moi et là-bas il n’y a pas d’espoir. Je suis vraiment leur seul espoir. Moi, je veux travailler et aider ma famille. Je n’arrive pas à dormir. Je n’arrête pas d’y penser. J’ai vraiment peur. Dans le dernier courrier, ils contestent le caractère sérieux de mes études, mais si je n’avais pas eu de problèmes personnels, je n’aurais pas échoué. Mais au final, je suis en master et j’ai eu douze de moyenne en licence.”
Grace Stevy, étudiant en droit
Alors évidemment, chaque dossier, chaque parcours est particulier. La logique administrative et les textes règlementaires apparaissent souvent inadaptés face à ces histoires de vie. A La Rochelle, les associations soulignent souvent, à tort ou à raison, ce décalage entre les situations humanitaires de ces jeunes et l’accueil qui leur est réservé quand ils arrivent sur le territoire. Leur premier contact avec les autorités est le Conseil Départemental en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance. Une commission est alors chargée, à partir de modèles d’évaluation validés par l’État, de déterminer l’âge de ces enfants, souvent cabossés par le périlleux voyage qu’ils ont entrepris. Ce statut de mineur non accompagné, c’est un précieux sésame pour la suite et les fonctionnaires, éducateurs et psychologues, savent bien le poids de leurs décisions.
“Il y a peut-être un petit delta d’erreur, mais les équipes qui s’en chargent sont toutes animées du même sens humaniste et humanitaire. Actuellement, au niveau du département, on accompagne 338 jeunes mineurs en Charente-Maritime. Il faut dire qu’il en arrive de moins en moins depuis deux ans mais on a été, en 2018, sur des chiffres qui dépassaient les 1.000 et 30% de ces jeunes étaient évalués mineurs. Notre but au niveau de l’Aide Sociale à l’Enfance, c’est de les accompagner de manière à ce qu’au moment de leur majorité, ils soient autonomes ou, en tout cas, qu’ils aient une solution. Notre but, c’est qu’ils soient bien intégrés en France et qu’ils y restent.“
Marie-Christine Bureau, vice-présidente du Conseil Départemental de Charente-Maritime en charge des affaires sociales
Difficile de dire aujourd’hui de quoi demain sera fait pour Soriba, Grace Stevy et tous ces jeunes partis trop tôt de chez eux. En moyenne, la France prononce entre 70.000 et 90.000 Obligations de Quitter le Territoire par an.
Yann Salaün