Dans un courriel confidentiel, le ministère de l’intérieur reconnaît l’impossibilité, à la suite des tensions diplomatiques entre Paris et Alger, d’éloigner les Algériennes et les Algériens sans papiers. Et pourtant : leur enfermement en centres de rétention se poursuit. Une situation « absurde », dénoncent associations et avocats.

Yasmine Sellami et Rémi Yang

« Les autorités centrales algériennes n’acceptent plus aucun retour forcé depuis la France. » Dans un courriel confidentiel daté du 6 décembre dernier, consulté par Mediapart et StreetPress, le ministère de l’intérieur admet se retrouver, s’agissant de l’éloignement des Algériens et Algériennes interpellées en situation irrégulière, dans une véritable impasse.

Ses services reconnaissent en effet que cette procédure n’est possible que si la ou le ressortissant est volontaire, et prêt à payer son billet d’avion. Et pourtant, les interpellations et enfermements des intéressé·es dans les centres de rétention se poursuivent aux quatre coins de France.

Courriel du 6 décembre 2021 du ministère de l’intérieur. © Document Mediapart

Dans ce courriel rédigé par une direction centrale du ministère, la DGEF, et adressé à la préfecture du Haut-Rhin qui demandait des instructions dans le cadre d’un dossier en cours, il est rappelé qu’« Alger a donné instruction à son réseau consulaire en France de ne plus assurer aucune audition consulaire et de n’accorder aucune délivrance de laissez-passer ». Une situation survenue « suite aux dernières tensions diplomatiques et politiques entre la France et l’Algérie, liées à l’annonce de réduction du nombre de visas [délivrés par la France –ndlr] en faveur des ressortissants algériens ».

Fin septembre, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, annonçait en effet sur Twitter que « le nombre de visas délivrés par nos consulats au Maroc et en Algérie va diminuer de moitié, et de 30 % en Tunisie ». Si l’objectif était d’inciter ces trois pays, sous la pression, à reprendre des ressortissant·es que la France « ne veut pas et ne peut pas garder », c’est visiblement raté. La situation n’a fait qu’enflammer les tensions entre Paris et Alger.

Un enfermement « absurde »

Dans ce courriel contenant des consignes valables pour toutes les préfectures, le ministère demande ainsi de ne mener de procédure d’éloignement qu’aux conditions suivantes : si les ressortissant·es algérien·nes sont « volontaires au retour et détenteurs d’un document de voyage en cours de validité », s’ils ou elles acceptent le « test PCR 36 heures avant l’embarquement », et tout en étant « en capacité d’acheter [leur] billet d’avion, éventuellement avec l’aide d’un de [leurs] proches (les autorités algériennes faisant annuler par les compagnies aériennes les billets réservés par le voyagiste du ministère de l’intérieur) ». Autrement dit : pas grand monde.

Courriel du 6 décembre 2021 du ministère de l’intérieur. © Document Mediapart

D’après La Cimade, association de défense des droits des étrangers, le dernier éloignement vers l’Algérie daterait d’il y a plus de deux mois.  

Malgré tout, lesressortissant·es algérien·nes continuent d’être placé·es dans des centres de rétention administrative (CRA), où les étrangères et étrangers sans papiers sont enfermé·es en attendant l’exécution de leur mesure d’éloignement. C’est le cas de Mohammed, au CRA de Vincennes depuis deux mois. « C’est stupide, on nous enferme pour rien, les frontières sont fermées ! », s’emporte le jeune homme de 23 ans, joint par téléphone. 

On prive de liberté pour montrer les dents et fournir des chiffres au ministère de l’intérieur.

Flor Tercero, avocate

Autour de lui, il compte quatre autres Algériens, mais aussi des Marocains et des Tunisiens. « On n’arrive même pas à comprendre pourquoi on est là. C’est le pire moment de ma vie, c’est très dur, on a l’impression d’être des animaux. »

Le sort de Mohammed et des quatre autres ressortissants n’est pas un cas isolé. « On continue à enfermer les Algériens malgré l’impossibilité de les expulser, regrette Flor Tercero, avocate en droit des étranger·es à Toulouse. C’est utilisé comme une sanction. Peu importent les conséquences, on prive de liberté pour montrer les dents, et pour fournir des chiffres au ministère de l’intérieur. »

Même constat du côté de Paul Chiron, chargé du soutien et des actions juridiques en rétention pour La Cimade, présente dans huit CRA sur les 23 que compte la France. « Dans ceux où La Cimade intervient, il n’y a eu que 17 Algériens expulsés vers leur pays de nationalité sur toute l’année 2021. Ce qui représente 3 % des personnes algériennes enfermées »,estime le juriste. 

Contactés, ni la DGEF ni le service communication du ministère de l’intérieur n’ont répondu à nos sollicitations.

Lorsque La Cimade a eu connaissance du courriel du ministère de l’intérieur, elle a formulé plusieurs demandes officielles de mise en liberté au nom d’Algérien·nes retenu·es. « De mémoire, il n’y a pas eu de vague de libérations, ironise Paul Chiron. Malgré le fait que les personnes refusent l’expulsion, on voit bien que l’administration ne lève pas la rétention pour autant. Alors qu’elle devrait être levée illico ! Les personnes subissent des privations de liberté pendant trois mois [le délai d’enfermement maximal en CRA –ndlr] alors qu’il n’y a pas de possibilité de les expulser, c’est hallucinant et absurde. »

Les perspectives de parvenir [à éloigner monsieur X.] dans les délais normaux de la rétention sont trop réduites pour justifier son maintien en rétention.

Un juge des libertés et de la détention de Toulouse

Pour justifier cet enfermement, certains juges des libertés et de la détention (JLD), amenés à se prononcer sur la légalité du placement en rétention, avancent l’argument selon lequel la situation pourrait être débloquée d’ici la fin de la durée de rétention. « Dire que la situation va peut-être changer dans les trois prochains mois, c’est absurde, considère Paul Chiron. Depuis mars 2020, rien n’a changé. Pourquoi ça serait différent dans les prochains mois alors que ni diplomatiquement ni sanitairement, on ne voit d’améliorations ? »

Dans une décision rendue le 7 janvier et consultée par Mediapart, un JLD de Toulouse a pourtant refusé de prolonger la rétention d’un Algérien : « Aucun élément ne permet à ce jour de dire que l’éloignement de l’intéressé est acquis dans les semaines à venir en raison des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie, et notamment des obstacles permanents mis par l’Algérie à l’accueil de ses ressortissants placés en centre de rétention administrative. » « Les perspectives d’y parvenir dans les délais normaux de la rétention sont trop réduites […] pour justifier son maintien en rétention », a tranché le juge.

« Sans même parler du coût humain et émotionnel pour les personnes retenues, cette situation coûte énormément d’argent pour rien », rappelle l’avocate Flor Tercero.

Elle n’est pas sans rappeler celle du début de la crise sanitaire. En novembre 2020, La Cimade dénonçait déjà l’enfermement en rétention malgré la fermeture des frontières. L’Algérie avait fermé les siennes dès le 17 mars 2020. D’après le rapport 2020 sur la rétention rédigé par toutes les associations intervenant dans les CRA, « 970 personnes de nationalité algérienne ont été placées en rétention entre cette date [le 17 mars 2020] et le 31 décembre [2020] », mais « seulement quatre ont été éloignées en fin d’année, soit moins de 0,5 % ».Avec une « durée de rétention moyenne […] à plus de 25 jours ».

Des candidat·es à la présidentielle réagissent auprès de Mediapart

À la veille de l’élection présidentielle, et alors que les relations entre l’Algérie et la France ne cessent de s’inviter dans les débats, Mediapart a souhaité faire réagir les candidat·es sur cette question des expulsions. Du côté de La France insoumise, on souligne que le programme prévoit de « faciliter l’accès aux visas, régulariser les travailleurs, étudiants, parents d’enfants scolarisés et instituer la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour de référence. […] Il est insupportable que la relation à la rive sud de la Méditerranée soit résumée à une supposée “menace migratoire” et que la Méditerranée soit devenue un cimetière pour migrants ». Et de rappeler que Jean-Luc Mélenchon a taclé Emmanuel Macron sur la polémique avec l’Algérie : « Un chef d’État, a fortiori français, doit peser ses mots quand il s’agit de l’Algérie au lieu de mettre de l’huile sur le feu. »

Chez Europe Écologie-Les Verts, Yannick Jadot pointe du doigt « la décision française de réduire le nombre de visas », qu’il qualifie de « brutale, idéologique et inhumaine. Elle ne peut qu’accroître les tensions ». Le candidat, s’il est élu, s’engage à chercher « à rétablir avec l’Algérie des relations diplomatiques apaisées, en particulier pour traiter de façon partenariale et sereine le sujet des migrations »

Pour la socialiste Anne Hidalgo, le sénateur Rachid Temal, président du groupe d’amitié France-Algérie, répond : « Il faut sortir de l’impasse stérile de Darmanin et Macron. Sur les visas, il faut en discuter avec les trois pays pour y revenir à terme, car nous avons des liens. »

À l’inverse, Valérie Pécresse (LR) se dit « favorable » à la réduction du nombre de visas attribués aux Algériens et aux Algériennes, dans le cadre d’une politique de « quotas ». Elle propose même de réviser la Constitution « par référendum pour permettre l’adoption de quotas annuels d’immigration définis par pays d’origine et par type d’immigration (familiale/économique/estudiantine…) ». Et pour l’Algérie ? « Les États qui, comme l’Algérie, refusent de coopérer avec la France pour accorder les laissez-passer permettant l’expulsion de leurs ressortissants en situation irrégulière en France se verront attribuer des quotas zéro. » Rien de moins.

Yasmine Sellami et Rémi Yang


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