En ce jour de célébration de l’indépendance algérienne, voici le témoignage d’un engagé volontaire mêlé « par inadvertance » à la guerre d’Algérie, ce beau pays qui le faisait rêver.
Alain NORDET Abonné·e de Mediapart
Mon père et moi avons raconté notre drôle de guerre chacun à sa manière, lui dans ses courriers à la famille soigneusement conservés par ma mère, moi dans la suite de mes carnets journaliers rédigés depuis l’adolescence. La formule célèbre appliquée aux huit premiers mois de sa guerre de 39-40 qui tardait à commencer convient également aux dix-neuf mois de ma guerre d’Algérie où tout était déjà fini.
Aussi bien lui (motocycliste au Train des équipages) que moi (sapeur-mineur du Génie) n’étions pas directement mêlés aux combats, mais là s’arrêtent les similitudes. Car nous n’avions pas les mêmes motivations : père de famille trentenaire rappelé sous les drapeaux, Lucien était un vrai patriote impatient d’en découdre contre les Huns envahisseurs, moi,engagé volontaire à 19 ans, fuyant une adolescence sans issue, j’étais devenu un enragé antimilitariste dans ce conflit post-colonial où je n’avais pas ma place, comme tant d’autres jeunes mecs de ma génération. Ultime différence entre nous, lui est « Mort pour la France » alors que je m’en suis tiré (presque) indemne.
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La première fois que j’ai entendu parler de l’Algérie, c’était tout enfant dans les années quarante à Port-Vendres, endroit qui, pour moi, était alors le début de l’Orient parce que situé sur la côte des Pyrénées… Orientales ! Nous étions en pleine d’Occupation par les Allemands comme la population algérienne l’était par les Français depuis 1830…
Ma famille normande avait fait du Port de Venus un havre de paix qui deviendra ensuite un séjour de vacances régulières où de grands paquebots accostaient régulièrement comme dans notre Havre de là-bas. Mais ils portaient de jolis nom exotiques comme « El Goléa », « El Mansour » ou « El Djezaïr » qui veut dire Alger, puisque tous traversaient la Méditerranée dans les deux sens et ça me faisait rêver.
L’Algérie, c’est ce pays bouillant où mon père Lucien était allé paisiblement faire le zouave pendant son service militaire comme spahi (cavalier), entre 1929 et 1931. De sa belle écriture à la plume, il avait célébré en quelques notes « la vieille terre d’Islam craquelée, gercée, sans une goutte d’eau (…) et toujours l’implacable soleil qui vous brûle, vous fait sombrer dans une torpeur morbide et malsaine ». Il avait ressenti le « cri guttural et sauvage » du muezzin comme « l’appel de la race de l’Islam, terre enjôleuse, sournoise, enivrante, puis brutale, terrible, tachée de sang… »
Mais, loin de cette vision portant l’héritage de la conquête coloniale, mon Algérie à moi – fantasmée – c’était « un rêve oriental, arabe » dont le Sahara était le symbole découvert dans les livres. D’abord ceux de Roger Frison-Roche, « La piste oubliée », « La montagne aux écritures », « Djebel Amour »… merveilleuses initiations adolescentes. Et puis les écrits de Charles de Foucauld, ex-officier de cavalerie fêtard et athée, transmué en ermite de ce qui fut pour moi le désert des Tartares – jamais traversé – aux confins duquel j’ai passé de longs mois d’ennui sous l’uniforme…
Le début des « événements » et de ma conscience politique
Je n’avais jamais pensé me retrouver un jour dans ces Territoires du Sud autrement qu’en improbable touriste. Mais voilà, le 1er novembre 1954, l’Algérie se rappelle au bon souvenir des Français via son Front de Libération Nationale, le FLN, qui célèbre sa naissance par une série d’attentats et de meurtres. Je découvre horrifié aux informations de la radio et dans le journal l’assassinat d’une dizaine de Français et d’Algériens alliés par ceux qu’on appellera bientôt les fellaghas. L’adolescent que je suis ignore que, près de dix ans auparavant à Sétif et alentours, des milliers d’Algériens avaient été tués à la suite d’une manifestation réclamant l’indépendance de leur pays à l’occasion des célébrations de la Libération, le 8 mai 1945.
La guerre qui ne dit pas son nom commence… en pleine guerre froide alors que je suis encore élève de troisième au lycée de garçons du Havre. L’été précédent, à l’occasion d’un voyage scout en Europe, j’ai visité en Bavière le site de Dachau, premier camp de concentration nazi dès 1933. Des visions de morts vivants décharnés commencent à envahir mes nuits et j’acquiers un début de conscience politique déjà chatouillé par la stupide guerre de Corée puis celle d’Indochine qui s’achève en déroute pour la France coloniale avec la chute de Dien Biên Phu en mai 1954. Je lis régulièrement « Le Monde » sur recommandation de mon prof de français et puis « L’Express », l’hebdo alors très contestataire d’une fin d’époque coloniale…
Je vais d’abord suivre de loin les événements d’Algérie avant d’être obligé d’ y participer… le refus de porter les armes n’étant pas encore très connu (et encore moins reconnu) à l’époque. Après mon échec au bac en 1958, mon grand-oncle Raymond me convainc de partir dare-dare faire mon service militaire pour laisser souffler mes parents qui se disputent grave au sujet de mes frasques scolaires répétées… Ce n’est pas la première fois que l’on me tient ce discours pervers et puis j’y ai déjà songé devant le naufrage de mes études. Eh bien tope-là ! Puisqu’il faut foutre le camp, j’en prendrai pour trois ans… Ce sera mon cadeau d’anniversaire quasi suicidaire annoncé le lendemain 30 juillet, jour de mes 19 ans !
A l’école du Génie
Cet engagement représente certes un rabiot en sus des 28 mois de service effectif imposés aux troufions de l’époque : une durée légale de 18 mois et une dizaine d’autres mois de maintien sous les drapeaux comme ils disent. Toutefois, outre une prime d’engagement attractive, je percevrai un salaire après mes 18 premiers mois accomplis et je pourrai choisir l’arme où je serai incorporé. Pour moi, ce sera le Génie ! Non, c’est pas si génial mais je me dis qu’après l’expérience des chantiers militaires je pourrais trouver du boulot dans les travaux publics…
Le 4 novembre 1958, l’École d’Application du Génie m’accueille à Angers pour tenter de faire de moi un sous-officier. En réalité, ces dix mois de vie casernée en compagnie d’anciens Enfants de Troupe me muent rapidement en antimilitariste convaincu face à des sous-offs de carrière majoritairement bornés. Je découvre vite la vie militaire et son quotidien dérisoire marqué de vexations stupides et de chants de marche infantiles que ces petits soldats, fils de traîneurs de sabre enrégimentés dans des écoles militaires, ont connue tout petits. Je dévore le livre d’Yves Gibeau, « Allons z’enfants », récit autobiographique romancé de ces jeunes vies sacrifiées qui me sidère et me révolte un peu plus.
A un officier du 6ème Génie d’Angers où j’effectue ensuite un stage chaotique de deux mois, je lance que je me suis engagé dans l’armée « par inadvertance… » Cette énième insolence me vaudra dix jours d’arrêts de rigueur, l’équivalent de la taule pour les sous-offs. Mais comme je viens d’obtenir mes galons de sergent, j’ai le droit de choisir mon régiment d’affectation, ce sera le 7ème Génie en Avignon. J’y vis de grands moments de fraternité et de déconnade avec les jeunes appelés que j’entraîne, moi l’engagé, à faire le mur le soir venu plutôt que de jouer à la guéguerre. Mon antimilitarisme croît en mode exponentiel et le grand foutoir s’épanouit dans cette unité déjà réputée bordélique…
Algérie : la punition
Quand même, ça va trop loin. Les porteurs de képis m’isolent des bidasses en me nommant sergent… comptable, mais on ne peut décidément pas compter sur moi ! Ils n’auront pas de mal à trouver un prétexte (insubordination, absences, propos outranciers, etc.) pour m’enfermer à nouveau quinze jours aux arrêts de rigueur, avant de m’envoyer en Algérie afin de me punir vraiment comme on le fait avec les bagnards, en attendant de statuer sur mon avenir militaire. Pourtant, il était censé être paisible puisqu’en ma qualité de Pupille de la Nation j’étais dispensé de combat grâce à mon père Lucien, Mort pour la France en se noyant dans la Manche lors de la débâcle de juin 1940 face à l’invasion allemande. Mais je me suis bien gardé de signaler à ma mère qu’en m’engageant dans l’armée, je renonçais à ce « privilège »…
Maman va se ronger les sangs à savoir son fils exposé à son tour au risque de mourir à la guerre comme son père et son mari ! On n’aura même pas l’occasion d’en parler car ma hiérarchie a refusé mesquinement une permission à laquelle j’ai pourtant droit pour dire au revoir à ma famille…
Après une traversée confortable en bateau où je bénéficie d’une cabine alors que les troufions sont logés dans les cales, je débarque donc à Oran en mars 1960, précédé de ma réputation de fouteur de merde, en butte à l’hostilité des autres galonnés. Dès ma première semaine au 31ème Bataillon du Génie, près de la frontière marocaine à Marnia, où l’on apprécie modérément ma désinvolture, le commandant veut déjà me balancer ailleurs…
Il est vrai que je ne fais guère de zèle dans ce boulot de con qui consiste à surveiller des prisonniers fellaghas contraints de poser des fils sur le barrage électrifié frontalier qui a déjà tué plusieurs de leurs frères d’armes… Mon pistolet-mitrailleur traînant à terre, je lis des pages d’Albert Camus dans la Jeep. Déjà, comme d’autres bidasses de mon entourage, je ne considère pas les fellouzes en ennemis. Je vois des pauvres mecs humiliés, malheureux, pitoyables après toutes ces années de combats sans merci de part et d’autre, et puis ces tortures dont on parle si peu… La guerre est finie pour ces moudjahidine et, pour moi, elle n’est pas près de commencer !
D’ailleurs, une nouvelle attendue arrive le 6 avril 1960, conclusion logique de mes aventures avignonnaises : je suis rétrogradé et muté provisoirement ailleurs. Toutefois, ma condition de petit caporal n’est pas désagréable à Port-Sey, fantôme d’une superbe station balnéaire envahie par l’armée où je me déniche une petite villa pour moi tout seul au bord de la Méditerranée. Je me tiens pénard, limite fayot, afin de retrouver un peu de tranquillité pendant quelques jours sous les palmiers !
Au sud, la misère et le racisme
Mais c’est du provisoire et j’apprends ma mutation dans un bataillon disciplinaire du Sud, le 3ème BG. D’où un long périple en GMC (le fameux camion US déjà admiré au Havre à la Libération) vers Tlemcen, ville religieuse renommée que j’explore timidement, puis Oran où je retrouve la mer en cette mi-avril et un peu l’ambiance européenne : le cinéma Escurial et un hôtel luxueux nommé Astoria (!) où l’on ne me fait payer que 800 francs anciens la nuit, donc je file un pourboire, la classe !
Le 16 avril 1960, pour rejoindre Méchéria distante de 230 kilomètres, le train mettra neuf heures à brinquebaler à 1.000 mètres d’altitude sur les Hautes Plaines sans horizon, à peine couvertes de maigres touffes herbeuses à perte de vue, avant le désert de sable à partir d’El Kreider où l’on pénètre les Territoires du Sud. A chaque arrêt, des hordes de gamins s’arrachent les vivres en rab que leur lancent les troufions comme faisaient chez nous les GI’s en 1945. Dans ce pays de la faim, les malheureux vivent dans des camps de regroupement cernés de barbelés où leurs parents condamnés à l’inaction sont prisonniers dans leurs tentes brunâtres, comme un quart de la population algérienne ! Le spectacle de cette misère collective oubliée là me serre le cœur.
Le voyage présente certes aussi quelque agrément quand, au gré des secousses, ma jambe frôle celle d’une jeune femme installée un moment à côté de moi. Ah, si je savais parler arabe pour célébrer ses beaux yeux de braise ! Parler leur langue, justement, cela me permettrait aussi de connaître un peu mieux ces Algériens avec lesquels nous autres bidasses n’avons d’autres relations que banales : Labès ? Chouia ! ou Makach bézef… L’occupant les appelle ici indigènes ou plus souvent arabes. Moi, tout gamin en France, j’avais déjà entendu des propos sans gêne sur ces bicots ou mon-zami marchands de tapis. En Algérie, je découvre toute une variété d’autres appellations incontrôlées bien plus infamantes comme bougnoules, melons, ratons ou crouilles… Ce sont aussi des appelés du contingent qui causent comme ça !
« Mais qu’est-ce qu’on fout là ? »
A Méchéria, je vais passer quatre jours à régler les formalités habituelles, à commencer par une entrevue obligatoire avec le commandant qui se vante d’être surnommé « La Vache Sérieuse » et me met au parfum en me laissant peu d’espoir de retrouver mes galons. Le 17 avril, on fête Pâques au bataillon par un menu exceptionnel bien arrosé. L’alliance du sabre et du goupillon fonctionne toujours à plein régime des deux côtés de la Méditerranée, l’apothéose pour les sapeurs-mineurs du Génie étant représentée par la Sainte-Barbe que célèbrent aussi de concert les sapeurs-pompiers chaque 4 décembre.
Ici, le repas pascal se prolonge en guinche pour oublier momentanément le désert et certains dansent enlacés en rêvant de filles peu farouches. Je les approuve de loin, ces types qui essaient de se consoler de leurs années de jeunesse perdues pour rien. Depuis mon arrivée en Algérie, j’en ai rencontré plein de ces jeunes mecs qui, comme moi, se demandent : « Mais qu’est-ce qu’on fout ici ? » questionnement récurrent parmi la troupe alors que le FLN apparaît vaincu sur le terrain. Il est vrai que nous, dans le Génie, nous ne combattons pas l’ennemi mais l’ennui, nous ne ressentons pas la haine de ceux qui comptent leurs copains morts. On dirait que les rebelles, comme les appelle notre hiérarchie, savent cela car ils ne n’attaquent jamais les sapeurs du Génie.
Chaud et froid
Et puis, l’ambiance est peu guerrière en ces lieux déshérités où je me promène sans appréhension parmi des fellahs indifférents assis partout au milieu de leur misère poussiéreuse, escorté de gamins qui m’interpellent : « Donne-moi 100 francs, monsieur », les rares paroles de français qu’ils connaissent. Je découvre éberlué un champ minuscule à la verdure clairsemée gardé par un vieux et protégé symboliquement par de sommaires épouvantails. Un oiseau s’y est peut-être posé quand le bonhomme se met à hurler en lançant sa canne. Non, ce n’était pas une colombe…
Dans les rues de cette petite ville sans grâce serrée autour de la masse militaire de sa redoute, je passe devant quelques boutiques, des bistrots, un cinéma, une église et une mosquée. Je rencontre même des femmes ! L’une me lance depuis son balcon : « Eh, bonjour, Monsieur du corbeau ». Sans en faire un fromage, j’ai honte de mon allure peu présentable : pas rasé, ongles sales, etc. Je passe honteusement mon chemin en lui envoyant un salut maladroit… Une conversation avec une autre jolie Européenne n’ira pas non plus très loin et j’échoue à « L’Escale » pour une bière de consolation avant le retour à pied au camp distant de trois kilomètres.
Le camp, c’est notre refuge de toile et le foyer où l’on picole sec notre centre de ralliement. J’y fais écouter sans succès mes disques de jazz dans la nuit qui tombe vite – et rudement – à 1.100 mètres d’altitude. Je dors avec quatre couvertures dans cette tente où l’on ne tient pas le jour à cause du soleil ! Chaud et froid nous rapprochent, nous vivons intimement dans la solidarité, notre horizon social borné à nous-mêmes : la compagnie, le bataillon. Et cela en dépit de quelques bouffons fiers de leur ancienneté au bled face aux bleus, catégorie méprisable à laquelle j’appartiens encore malgré mes presque dix-huit mois d’armée déjà !
Aux portes du Sahara
En attendant de partir dans le Sud, je glande tranquillement ce 20 avril jusqu’à ce qu’un adjudant de mes fesses repère mon oisiveté coupable. Je suis affecté sur le champ au ménage des lieux incluant le récurage de l’infect petit caniveau qui sert ici de tout-à-l’égout, corvée qui me brise les reins… Mais bon, il m’arrive quand même une bonne nouvelle : je vais passer ADL (Après la Durée Légale) le 1er mai 1960, donc toucher enfin une paye mensuelle ! C’est pas le Pérou pour un petit caporal mais je vais me sentir plus à l’aise.
Je dois me taper encore 200 km en GMC le 21 avril, avec des pointes de 90 km/h sur la piste pour rejoindre Hadjerat M’guil, à une centaine de bornes au nord de Colomb-Béchar, porte du Sahara. On a traversé des paysages impressionnants avec l’apparition des premières étendues de sable, de palmiers et de chameaux à 50 km au sud de Méchéria. De chaque côté de la piste s’étirent des chaînes montagneuses grises et ridées comme une vieille peau, les Ksour, à l’ouest de l’Atlas Saharien. Derrière le réseau électrique qui longe notre parcours apparaissent de temps à autre des camps de regroupement de populations algériennes serrées dans leurs gourbis cernés de barbelés. Toujours ce même spectacle désolant de misère et de tristesse infinies.
Après Aïn Séfra (la source jaune), autre porte du désert, le camion quitte la steppe des hauts-plateaux parcourue de maigres troupeaux pour s’engager en terrain montagneux. On passe parfois le long d’un oued et surgissent alors les palmiers d’une oasis brièvement entrevue parmi la terre avare et quelques bandes sablonneuses. La route s’élargit et nous croisons parfois des véhicules civils, mais on est le plus souvent entre militaires.
Un air de vacances mais pas de Club Med
L’arrivée à Hadjerat M’guil est un soulagement couronné d’une bonne sieste. Ce bled abrite pourtant un ancien camp d’internement où le régime de Vichy envoyait ses contestataires et l’on y pratique encore la torture, dit-on… Mais le réconfort vient d’une conversation avec un jeune officier qui me donne l’espoir (illusoire?) de redevenir sergent. Je découvre même que je serais prêt à fayoter pour récupérer mes sardines, autrement dit mes galons, et le salaire qui va avec… D’ailleurs, je noue également un contact serein avec le capitaine de cette compagnie qui se dit prêt à m’aider.
Je vais passer quatre jours pas très actifs à me remettre de mes nuits blanches précédentes, logé dans une nouvelle guitoune de ce camp avant de rejoindre un autre cantonnement. Ce séjour prend un air de vacances lorsqu’avec trois autres bidasses nous allons nous baigner dans l’oued tout proche au milieu d’un décor grandiose et chaotique. On y découvre soudain un canyon où resplendit une verdure inattendue après la nudité du plateau. J’aurais voulu être seul pour apprécier la magie de ce lieu, comme le capitaine sympa qui songeait assis sur son rocher surplombant la vallée…
Encore une centaine de kilomètres à parcourir et l’on retourne dans la région d’Aïn Séfra pour ce camp de Boughellaba, un coin que je trouve peu sympathique et où je suis accueilli comme un chien par un lieutenant déplaisant, lequel me prend en grippe illico ! Mais comme je voyage avec des quillards (soldats libérables à la fin de leur service) je profite encore d’un régime de faveur immérité avec grasse-matinée car les nuits sont blanches et bien arrosées avec ces gaillards braillards ! A l’exception d’une journée épuisante de remplissage de camions de sable (!) les vacances durent encore quatre jours…
Sur la route de l’ouest…
Je retourne finalement le 21 avril 1960 près d’Aïn Séfra, située à 50 km de la frontière marocaine, et j’y resterai jusqu’à la fin de ma période militaire. Ma section (4ème compagnie du 3ème Bataillon du Génie) est détachée dans la mechta voisine d’ El Hendjir afin de construire une route en direction de l’ouest, vers le Maroc. Ici, le sable est partout, même sur nos corps ! L’eau est rare et l’électricité inexistante pour le moment, sauf pour le barrage frontalier qui fait courir ses barbelés piégés au sud d’Aïn Séfra. Nous avons beaucoup de mal à monter nos tentes à cause du vent et tout reste à faire, particulièrement une enceinte de barbelés qui se révélera inutile, les rebelles préférant attaquer la Légion Étrangère !
Tout au long de mon séjour, chaleur et froid alternent, implacables avec, de temps à autre, des tempêtes de sable suivies d’averses furieuses. La température agresse nos journées et tourmente nos nuits . Malgré ma ceinture de flanelle, j’ai mal au ventre. La bouffe n’est pas terrible, donc je finis par faire très souvent ma popote moi-même, le cuistot me fournissant les aliments que j’agrémente de tonnes d’ail !
Je travaille sur le chantier avec l’impression que l’on œuvre ici pour la future Algérie indépendante, ce que je ne me gène pas de dire haut et fort… Regardez, les Moudjahidine sont ici chez eux la nuit, entre la route et le barrage !
Notre boulot à nous consiste d’abord à rechercher des carrières pour trouver le matériau, ce qui nous vaut de multiples tape-cul en camion assortis d’enlisements dans le sable et des forages à la pelle, au double sens du terme. Des p’tits trous, des p’tits trous… Parfois, je conduis moi-même le Simca 4×4 dans les sables, ce qui me vaut des ennuis avec « le Scorbac », un sous-off hargneux qui ne se contente pas d’exercer ses menaces physiques mais me fait coller en taule pour quinze jours ! Cette ambiance finit par me mettre le moral à zéro. Et puis, les rapports avec les collègues dégénèrent souvent eux-aussi en violence sous la chaleur ! Heureusement que les soirées guitare et chansons avec notre nouveau collègue Maxwell compensent la nervosité ambiante.
Et que ça saute !
Ensuite, je suis affecté aux explosifs avec mission de pulvériser les multiples rochers encombrant l’itinéraire de la future route. Je dispose d’un camion compresseur GMC et de deux travailleurs civils algériens qui manipulent le marteau-piqueur, tout comme leurs frères en France… Ceux-là deviendront de vrais copains de travail. Moi j’ai le beau rôle en tant qu’artificier puisque je me contente d’indiquer les endroits à percer puis de remplir les trous de TNT, y brancher les détonateurs et la mèche lente, et enfin allumer le tout avec une cigarette.
A plusieurs occasions, j’arrive tout de même à me faire peur. Un jour en préparant plusieurs explosions successives, j’allume les dernières charges quand les premières pètent déjà. Une pluie de pierres s’abat sur moi après une course folle… Une autre fois, utilisant un allumage électrique avec un exploseur, j’ai sous-estimé la puissance du plastic. Résultat : un bruit assourdissant et une mitraille de roches à trente mètres.
Je me souviens aussi d’une charge de 40 kilos. La détonation fait vibrer furieusement la terre et pousser une sorte de champignon atomique avec sa corolle majestueuse ! Et encore cette averse minérale saupoudrant le sol et recouvrant l’alfa qui s’obstine à pousser là. Je ressens une émotion insolite et une satisfaction réjouie…
La routine et la bibine
Depuis le 16 mai, c’est l’horaire d’été. Levés vers 5 h, nous travaillons au chantier jusqu’à 13 h 30, avant que la chaleur n’interdise toute activité en après-midi. Il est vrai que la canicule nous rend tous irritables et le moindre incident dégénère vite en bagarre. De retour au campement, je retrouve mes collègues de guitoune pour le déjeuner suivi d’un farniente obligé à l’abri du cagnard !
Il y a vraiment là une grande diversité d’origines ethniques, européennes et algériennes (arabes et berbères), tous jugés bien assez Français pour être en armes : Kieffel l’Alsacien, Tonna le Pied-Noir, Garcia l’Espagnol, François Saint-Cyr le Martiniquais, H’kchich Guezout le Berbère, Di Marco le Rital, Lerooy le Chtit, Ohanessian l’Arménien, Maxwell l’Ecossais, Wozniack le Polac, Ben Ahmed l’Arabe, etc.
Après la sieste, ce petit monde se retrouve à la « piscine », bassin très peu olympique dont le niveau ne dépasse guère cinquante centimètres mais où l’on se rafraîchit goulûment en pataugeant. On peut aussi plonger carrément dans le camion-citerne… Et puis faire une partie de volley avant de descendre quelques Pils – la bière locale – au foyer où l’on retourne après dîner, histoire de se terminer…
De retour sous tente, c’est l’heure des conversations, des débats d’actualité, du courrier rédigé en fumant nos Bastos qui remplacent ici avantageusement les Troupe. Nous poussons parfois la chansonnette avec notre collègue Pat Maxwell à la guitare. Mais j’ai souvent envie de calme pour remplir mon carnet personnel, rédiger mon courrier ou écouter Europe n°1 sur mon transistor, surtout « Pour ceux qui aiment le jazz », l’émission de Franck Thénot et Daniel Filipacchi !
La guerre, c’est les autres
En dehors du boulot, les longues heures passent presque agréablement. La guerre semble bien lointaine et même les gardes de nuit sont pénardes. On sait que les Fells ne font que passer dans le noir sur la route que nous sommes en train de leur construire et vont attaquer la Légion à Aïn-Séfra. Il nous arrive souvent de dormir sur nos pistolets mitrailleurs…
Notre participation guerrière est somme toute assez symbolique. Il s’agit le plus souvent de protection d’un chantier consistant à poireauter l’arme au pied devant des collègues au boulot. Le plus souvent, ces séquences de garde armée sont l’occasion d’un bronzage intense, mais cela ne compense pas l’ennui.
Un soir, cependant, nous avons été mis en alerte, obligés de dormir en uniforme avec nos armes « au cas où ». Et puis, une autre nuit, on nous a appelés en renfort pour appuyer une opération de la Légion Étrangère. Ce fut plus une sorte de promenade vaine, certes un peu angoissante quand même malgré les plaisanteries de façade. Qu’est-ce que j’aurais fait de mon flingue en cas de mauvaise rencontre ? La réponse s’est perdue dans le désert…
Le combat, ce n’est pas notre affaire mais celle des képis blancs du 2ème Régiment Étranger. Dès le début de mon séjour ici, j’apprends que les Légionnaires sont en deuil ce 8 mai 1960 après de violents accrochages les trois jours précédents avec un bataillon de l’ALN (Armée de Libération Nationale algérienne) qui les encerclait sur le Djebel Amour. Ils ont fini par vaincre avec l’aide des paras de l’Infanterie de Marine et des mini bombardements (au napalm!) sur le mont M’zi, à 2.200 m d’altitude. On entend parler de 130 cercueils à fabriquer… Je note dans mon carnet que « la fameuse offensive du FLN prévue sur la frontière tunisienne a eu pour théâtre celle du Maroc, comme personne ne s’y attendait… » Et j’espère que mes parents ne liront pas trop la presse ni n’écouteront la radio.
Ne pas faire chier la Légion !
La Légion, parlons-en. Mes rapports avec ces mercenaires s’apparentent généralement à l’indifférence : nous ne sommes pas du même monde, eux engagés volontaires, moi enragé velléitaire ! Mais un beau jour de mars 1961, bourré, j’en croise un galonné sur un trottoir d’Aïn Séfra et son air de se la péter avec ses épaulettes d’opérette m’agace. « Regardez-moi cet adjudant de mes couilles » ! Mon apostrophe à l’adresse des copains ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et je ne tarde pas à me faire ramasser par la Police Militaire. Directement livré à la prison… de la Légion, j’y suis accueilli avec les honneurs par un coup de poing en pleine gueule que m’administre illico un petit caporal-chef pas manchot. Je ramasse mes lunettes et entre la tête basse…
J’y passerai quinze jours et autant de courtes nuits, dans cette taule infecte où l’on dort par terre sur de vagues couvertures à quarante dans une même pièce glacée, après avoir trimé comme des forçats sous le soleil exactement. Je n’oublierai pas ces allées et venues en plein cagnard à porter des parpaings encore tout humides dans leur moule sur des trajets qui me paraissaient ne jamais devoir se terminer !
La bouffe est évidemment degueu et le vin manque. C’est parfois une monnaie d’échange pour obtenir les faveurs d’un p’tit jeune codétenu… Je découvre à mon corps défendant que la réputation des Légionnaires n’est pas surfaite. Puisque c’est comme ça, je dors tout habillé de la tête aux pieds. Après mon séjour, à l’heure de la toilette enfin retrouvée, je découvrirai mes chaussettes complètement bouffées par la sueur ! Mais le temps a finalement passé très vite et j’ai même trouvé moyen de devenir copain avec mon petit caporal-chef cogneur…
Se changer les idées
Heureusement, nous passons aussi d’excellents moments en touristes dans cette contrée si surprenante. Ainsi cet après-midi de juin 1960 à Tiout, merveilleuse oasis voisine riche d’une verdure exhibée sur tous les tons, entre le jaune des blés et le rouge de la terre. Là surgit du sable une abondance de légumes et fruits sur les étroites rives de l’oued. Mais soudain, une violente chute de pluie et de grêlons interrompt l’excursion et voilà que l’eau réveille le ruisseau transformé en torrent impétueux emportant dans son écume l’ocre et le sable amalgamés en boue visqueuse. Ça nous change de l’atmosphère étouffante du camp mais il fait très froid tout soudain. Je ne comprends décidément pas ce qui règle le climat ici…
N’empêche que le mal du pays fait des ravages au moral des troupes ! Pour y remédier, rien de tel qu’une bonne permission ! L’Armée les accorde au compte-gouttes mais il y a des motifs obligés. Pour raisons de santé d’abord (intestins en bouillie, lunettes cassées, chapelets de verrues, etc.) je séjourne plusieurs fois à l’hôpital militaire d’Oran d’où je fais le mur chaque soir en civil pour profiter de la vie citadine, notamment dans la superbe propriété de famille de mon bon camarade Pierre Bénamou. Et puis, le mariage de deux de mes sœurs ainsi que le mien seront des prétextes providentiels, chacun me valant trois semaines de vacances, autant de jours en moins sous l’uniforme pendant ces années 1960 et 1961.
Les permes, c’est un autre monde si distinct qu’aucune communication n’apparaît possible sur le moment avec mes proches, et il en sera ainsi longtemps après. Je ne fais guère de confidences, hormis sur mes problèmes de santé. Mais la famille reprend ses droits puisque des épousailles se profilent et que nous aimons la fête. Mon propre mariage va survenir inopinément, comme la cerise sur un gâteau de noces, le 26 mai 1961 ! Ma toute nouvelle copine havraise Françoise est enceinte et nous avons décidé de nous marier, malgré l’hostilité de ma famille. Enfant de l’amour, François naîtra après la guerre, le 19 octobre 1962.
Rattrapés par l’Histoire
Pourtant, l’Histoire nous a rattrapés entre-temps : le putsch des généraux à Alger, du 22 au 25 avril 1961, menace de compromettre nos projets matrimoniaux en provoquant l’isolement du pays et de sa colonie. Depuis le bled, mes collègues et moi suivons sur les transistors les péripéties ubuesques de l’entreprise factieuse, via Europe ou « Radio France », l’organe de propagande des insurgés. Mais, comme l’immense majorité des « appelés » auxquels je m’identifie, on attend plutôt que s’arrêtent les conneries… Et que le courrier revienne, surtout, car l’époque est cafardeuse pour les amoureux séparés !
Il me faudra encore composer avec les événements avant de réussir à embarquer pour la France. Car les pourparlers ont commencé à Évian entre le gouvernement français et le FLN en vue d’un cessez-le-feu, ce qui suscite moult actions violentes des Pieds Noirs partisans de l’Algérie française. Le 19 mai 1961 à Oran, je me retrouve place des Victoires (habillé en civil, évidemment) au milieu d’une manif opposée à deux compagnies de CRS. Injures et sifflets contre les casqués qui ripostent à coup de grenades offensives tandis que retentissent pas loin les explosions de bombes au plastic signées OAS. Échappant de justesse à la matraque d’un CRS zélé, je file à mon hôtel en rasant les murs pour suivre prudemment la suite à la radio…
De retour de permission près d’un mois plus tard, je me retrouve tout nouvel époux esseulé dans cette bonne ville d’Oran où explose si souvent le plastic de l’OAS et la colère collective des Pieds Noirs. J’y passe quelques jours en transit à méditer sur la plage, songeant à mes nouvelles responsabilités de mari et de père, pétri de bonnes résolutions et envahi par le dégoût des médiocrités attendues ici durant mes trois derniers mois de corvée militaire…
Mine de rien une entreprise de mort
Ainsi, revenu dans le Sud accablé de chaleur, j’ai droit à la fête du Père Cent (les cent jours précédant la libération…) le 15 juillet à El Hamri, non loin d’El Hendjir. Avec cette grosse fiesta bien arrosée, ça commence à sentir le départ mais je n’en ai pas encore fini avec l’armée et la fin du séjour sera tragique.
De la manipulation d’explosifs en tant qu’artificier, je vais passer à la pose de mines en ma qualité de sapeur-mineur du Génie. Il s’agit d’engins antipersonnel APID 51 dites mines encriers à cause de leur forme. Sur le coup, je fais le boulot sans me poser trop de questions comme tant d’autres, mais c’est bien plus tard que je réaliserai la monstruosité de cette entreprise de mort.
Au total, 7.500 victimes militaires et civiles ont été répertoriées par le gouvernement algérien de 1956 à 2017, soit très longtemps après la fin du conflit (1962). Les historiens français évaluent à entre 11 et 12 millions le nombre de mines posées pendant la guerre d’Algérie. Enfin, à l’occasion des opérations de déminage menées par l’armée algérienne (avec l’aide des Soviétiques) de 1962 à 2017, il faudra attendre 2007 pour que l’État-major des armées françaises se décide à communiquer les plans des zones minées…
J’ignorerai toujours si, oui ou non, je suis responsable de la mort récente de Méjoub, jeune ado de 15 ans, ou des graves blessures causées il y a peu à Boudaoud, un berger de 17 ans, parmi les 170 victimes décomptées dans la région d’Aïn-Séfra en date de mai 2017… La question n’est pas à l’ordre du jour en ce mois de juillet 1961 où nous ne « travaillons » que le matin car poser des mines l’après-midi en plein soleil est considéré comme trop dangereux !
Et ça finit par péter
Cela n’évitera pourtant pas l’accident qui survient au matin du 19 juillet à Mazer, près de la route menant à Tlemcen. Le sol de la zone à miner est partagé en différents panneaux où des équipes de deux militaires disposent prudemment les engins après y avoir vissé le détonateur. Notre jeune capitaine qui opère à ma gauche manifeste pourtant une énergie débordante en serrant ces pièces à tour des bras comme un dingue, nous exhortant même à l’imiter. « Il va bien finir par en faire péter une » me dis-je intérieurement. Et ça ne rate pas : alerté par la déflagration, je vois le pitaine dressé sur ses jambes comme un spectre, la gueule et les mains toutes noires, hurlant : « mon alliance, retrouvez mon alliance ! ».
Sur le coup, je me dis qu’il ferait mieux de s’intéresser à ses membres et j’enrage contre ce jeune capricieux fraîchement galonné. Mais je reste paralysé, incapable de faire autre chose que de gueuler « Infirmier, infirmier ! ». Mon partenaire est le premier à réagir en se précipitant vers l’officier blessé. Mais le caporal Truchot a marché sur deux mines qui pètent quasi simultanément, lui pulvérisant les pieds, et il retombe en partie dans la bande minée. Dans un état second, je demeure interdit dans ce sinistre ballet d’ombres s’agitant autour de moi.
Car les événements se précipitent et ça ressemble vraiment à un cauchemar. Je ne sais pas comment je parviens à me dégager de là tandis qu’arrive l’infirmier Tramson qui a laissé le capitaine aux soins du caporal Ohanessian pour venir secourir mon copain. Et, à son tour, il pose le pied sur une mine qui lui broie le pied gauche, tandis que le sergent Pacquetet qui assistait Truchot reçoit des éclats au visage et au bras droit.
Ça ne va donc pas s’arrêter ? Le temps est suspendu avant qu’une amnésie protectrice ne commence à brouiller les pistes dans ma tête. Cependant, je ne peux pas oublier ce voyage interminable à l’arrière d’un camion serrant dans mes bras le caporal Truchot en lui tenant les mains pour l’empêcher de fouiller son entrejambe, à la recherche de ses couilles. Tout cela pour finir par expirer quelques heures plus tard sur un lit d’hôpital.
Silence radio
Je ne toucherai plus à mon carnet personnel dans les dernières pages duquel j’ai recopié mon rapport sur l’accident adressé au lieutenant qui a pris l’intérim de notre capitaine blessé. Je ne saurai pas ce qu’est devenu le jeune officier responsable de tout ce gâchis, je lui en veux à mort. Son sinistre fantôme va hanter mes cauchemars des mois durant et la moindre explosion continue de me terrifier. Je me suis retrouvé comme brisé dans cette médiocrité et le dégoût de mon inutilité.
Je ressentais déjà ces derniers temps l’impression d’avoir perdu le goût de la vie dans ces longues après-midis de torpeur rythmées par les discussions incessantes de mes voisins qui gênaient le cours de mes réflexions sur la vie, l’amour, la beauté… Marre de tout ça. Le malaise se cristallise anecdotiquement sur la malbouffe contre laquelle je lance ma première grève le 25 juillet. Nous sommes 22 troufions de ma section (dont 9 Algériens) à refuser de partir au boulot ce jour-là « pour protester contre les insuffisances de l’ordinaire » comme mentionné sur une feuille signée à ma demande par chacun d’eux, dernière trace écrite de cette période de ma vie. Déjà, nous avions tous refusé de retourner poser des mines au lendemain de l’accident…
Le 30 juillet 1961, j’ai 22 ans, mais je garde ça pour moi : silence radio sur toute la ligne. Je retourne au pays le 26 septembre 1961. J’ai à m’occuper de trouver un boulot, un logement, de tenter d’organiser ma nouvelle vie ici avec femme et enfant. L’Algérie, c’est maintenant décidément bien trop loin…
Alain NORDET