Le président Abdelaziz Bouteflika salue la foule en burnous, tenue traditionnelle berbère, à Tizi Ouzou, en Algérie, 27 mars 2009. (AP)

18 sep 2021

Mise à jour 18.09.2021 à 11:56

par

Matthieu Vendrely

Frantz Vaillant

Il avait dirigé l’Algérie pendant vingt ans, de 1999 à 2019 avant d’être poussé vers la sortie par un mouvement de contestation sans précédent, le Hirak. L’ancien “raïs” algérien Abdelaziz Bouteflika est mort ce vendredi 17 septembre à l’age de 84 ans. 

On l’imaginait parti pour un 5e mandat. Malgré la maladie, malgré son grand âge, malgré son incapacité à s’exprimer, Abdelaziz Bouteflika devait rempiler en avril 2019 à l’issue d’une présidentielle jouée d’avance.

Pourtant, ce mardi 2 avril 2019, après un peu plus d’un mois de contestation populaire contre la perspective de son 5e mandat et après avoir été lâché par le chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah, le vieillard jette l’éponge. Il remet sa démission au président du Conseil constitutionnel. L’Algérie tourne une page. Abdelaziz Bouteflika referme plus d’un demi siècle de vie politique. Il disparaît du même coup d’une vie publique où ses apparitions s’étaient faites de plus en plus rares. Fin d’une époque.

Le 2 avril 2019, Abdelaziz Bouteflika remet sa démission au président du Conseil constitutionnel. Depuis le 22 février précédent, la colère gronde contre la perspective de son 5e mandat.© ENTV via AP

Une certaine marocanité

Ses parents sont originaires de Tlemcen, dans l’ouest de l’Algérie mais c’est au Maroc, à Oujda, que naît Abdelaziz Bouteflika le 2 mars 1937. Son père, Ahmed Bouteflika, est mandataire du marché de gros dans cette cité marocaine, distante d’à peine quinze kilomètres de Maghnia, la première ville algérienne après la frontière marocaine. Il est marié à deux femmes et le jeune Abdelaziz grandit au milieu d’une nombreuse fratrie : quatre frères, une sœur et trois demi-sœurs.

Le futur chef d’État ne s’étendra jamais beaucoup sur ses premières années. Et pour cause ! La “marocanité” de plus d’un responsable politique algérien reste un sujet ultra-sensible, presque tabou, en Algérie. L’enfance est heureuse et confortable. Sa mère est gérante d’un hammam. Le jeune Bouteflika, élève intelligent, vif d’esprit est féru d’arts et de lettres. Il  fréquente le lycée Omar Ben Abdelaziz à Oujda. L’établissement est prestigieux et moderne et accueille la fine fleur de la bourgeoisie locale. Puis il intègre l’école Hassania de Scout, créée par le prince héritier Moulay El Hassan, futur roi Hassan II. 

Bouteflika et la France, un amour déçu

Outre les pertes humaines considérables, on parle de plusieurs centaines de milliers de morts, la guerre d’Algérie laisse chez ses concitoyens une très vive blessure, d’aucuns parleront même d’un “traumatisme identitaire” avec lequel  Bouteflika, en bon politique, saura jouer pour faire battre le cœur des foules… et capter leurs suffrages. 
Le 17 avril 2006, lors d’une allocution télévisée, il déclare : “La colonisation a réalisé un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue, de nos traditions. Nous ne savons plus si nous sommes des Amazighs (Berbères), des Arabes, des Européens ou des Français“.
Dès lors, le temps ne changera rien concernant  les rapports amour-exaspération qu’il entretient avec l’ancienne puissance coloniale. Et quand il évoque les relations entre les deux pays, le ton employé  évoquerait presque celui d’un amoureux déçu.
Ainsi, il confiera au journaliste français Christian Malard : “La francophonie a pris une tournure politique au fil des années, dans laquelle l’Algérie se retrouve ou ne se retrouve pas. La France était le pays le plus proche de nous dans la tourmente, la douleur et l’épreuve. La France n’a pas su assumer ce rôle vis à vis du peuple algérien, qui a tant d’affection et de lien avec le peuple français. La France pourrait avoir des relations privilégiées avec l’Algérie mais elle se comporte comme si elle souffrait du syndrome du paradis perdu. L’Algérie est définitivement souveraine et indépendante.  Il faut bien que les Français le comprennent”.

Un long parcours politique

Lorsqu’il est élu, en 1999, l’Algérie est par terre, foudroyée par une guerre civile débutée sept ans auparavant lorsque les autorités ont annulé le résultat des élections législatives remportées par le Front islamique du salut. Les violences auront fait entre 150 000 et 200 000 morts. 
Adoubé par l’armée, Abdelaziz Bouteflika est le seul candidat. Les six autres se sont retirés, estimant que le scrutin était tronqué. Il est élu avec 73,79% des voix. 

Boutef” n’est alors pas un nouveau-venu. Mais il est un revenant.
Politicien de premier plan après l’indépendance, il est chef de la diplomatie dès 1963, le plus jeune au monde, à seulement 26 ans. “Un plaisir d’intelligence“, dit de lui Léopold Sédar Senghor. “Un personnage surprenant“, selon Valéry Giscard d’Estaing. Sportif et talentueux, il brille sur la scène internationale et mène grand train.

Abdelaziz Bouteflika à Paris le 2 janvier 1974. Il est à l’époque ministre algérien des Affaires étrangères.© AP Photo/Jean-Jacques Levy

Mais son parcours est stoppé net par la mort de son mentor, le président Houari Boumediène le 27 décembre 1978, dont il prononcera l’oraison funèbre. Bouteflika est pressenti pour lui succéder, mais l’armée lui préfère Chadli Bendjedid. D’abord au placard, Abdelaziz Bouteflika entamera une longue traversée du désert politique deux ans plus tard, loin de son pays, sorti du gouvernement et suspendu des instances du FLN.

C’est donc au terme de la guerre civile qu’il revient en grâce, à l’invitation d’une armée ébranlée. Son mandat est clair : la réconciliation. Si son élection paraît faussée, c’est par un plébiscite qu’il asseoit son pouvoir.
En septembre 1999, le référendum sur la concorde civile (qui promet une amnistie aux islamistes n’ayant pas de sang sur les mains) remporte un oui massif, presque 99%. Bouteflika avait promis de démissionner en cas de victoire du non. Cette politique porte ses fruits : l’immense majorité des islamistes quittent le maquis et la clandestinité.

Vers une présidence à vie

Cinq ans plus tard, Bouteflika est réélu avec près de 85% des voix. Un 2e mandat marqué, à titre personnel, par le début de ses problèmes de santé. En novembre 2005, il s’éclipse un mois après une opération à Paris pour ce qui est présenté comme un “ulcère hémorragique à l’estomac“. A Alger et partout dans le monde, les rumeurs se multiplient. Il rentre le 31 décembre dans son pays. C’en est fini du président énergique.

Mais Bouteflika n’a pas abandonné une ambition, la présidence à vie.
Il faut retoucher la Constitution pour lui permettre de se représenter ? C’est chose faite fin 2008, le Parlement lève le verrou des deux mandats maximum.
Il est réélu dès le premier tour, le 9 avril 2009, avec 90,24 % des voix. Ce 3e mandat sera marqué par les scandales de corruption et cette santé qui n’en finit de décliner. 
Au premier semestre 2013, il est victime d’un accident vasculaire cérébral qui va le laisser très amoindri. Les séquelles sont nombreuses. C’est sur un fauteuil roulant qu’il prête serment en 2014 après une réélection à plus de 81% mais une très faible participation.

28 avril 2014 à Alger, cloué sur un fauteuil roulant, Abdelaziz Bouteflika prête serment pour son 4e et, finalement, dernier mandat.© AP Photo/Sidali Djarboub

Dans l’ombre

C’est dans l’ombre qu’Abdelaziz Bouteflika va conduire ce 4e mandat. Ses apparitions sont rares. Désormais, impossible d’entendre le son de sa voix. Quelques photos et vidéos -plus ou moins habilement montées- le montrent recevant des responsables étrangers. On lui prête déjà un successeur, son frère Saïd. 

Pourtant, le dimanche 10 février 2019, l’APS, l’agence de presse officielle, le confirme : à 81 ans, Bouteflika brigue un 5e mandat. Si depuis quelques semaines, certaines personnalités réunies au sein du mouvement Mouwatana, citoyenneté en français, protestaient contre cette perspective, la marée humaine du vendredi 22 février dans les rues d’Alger constituera un véritable choc.

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