Juin 7, 2022
Quel est le prix réel des légumes en bio ? Voilà une question que se posent les maraîchers face à l’inflation. Pour y répondre, le réseau Bio de Provence propose désormais un outil pour calculer le « prix de revient » des différentes cultures.
« Avant, le calcul du prix était fait de tête, avec des grosses moyennes, un manque de précision énorme, pour un résultat final trop approximatif pour avoir une vraie valeur lors d’un argumentaire avec un client par exemple » explique Clément Bertin, maraicher au GAEC le Champ des Ânes (Les Mées, 04).
Déterminer le prix de vente minimum pour rémunérer l’agriculteur, renouveler le matériel de la ferme, payer les charges, appliquer une marge de sécurité : en vente directe, rares sont les producteurs qui estiment leurs prix avec ces variables-là.
C’est pourquoi depuis février 2022, les Agribios offrent une formation de prise en main d’un nouvel outil de calcul des prix, pour les maraîchers en commercialisation en circuits courts. Sachant que ce mode de commercialisation concerne 56% des exploitations maraichères-horticoles de la région, rien d’étonnant à ce que nous soyons la 2e région de France à s’emparer de la question !
Une nouveauté pour les maraichers
« Il existait déjà un outil créé par la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique), mais il n’était pas adapté à ce type d’exploitation, explique Oriane Mertz, coordinatrice à l’ARDEAR (Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural), précédemment conseillère maraichage Agribio 84 et 13. Les agriculteurs qui ont l’habitude de calculer leur prix de revient sont ceux qui s’inscrivent dans les filières longues et moins diversifiées. Ils en ont besoin pour négocier avec les autres acteurs de la filière. »
Les maraîchers en circuits courts déterminent quant à eux leurs prix en fonction des autres agriculteurs, des magasins bio ou des indices de prix. C’est l’augmentation des coûts, notamment des intrants, qui a fait émerger la question « est-ce que je vends mes légumes au bon prix ? » précise Oriane Mertz.
« Prix de revient », kesako ?
Il s’agit d’un prix de vente qui tient compte de l’ensemble des coûts de production (charges, investissements…), des salaires et du temps de travail consacré. Ce prix garantit que la vente du produit génère une marge (pour la rémunération, le matériel, les imprévus, …) assurant ainsi la pérennité de l’activité.
Calculer son prix de revient : une affaire pas toujours facile !
« Le travail de la terre impose une présence permanente, et les tâches sont extrêmement diversifiées … donc quasi-impossible à quantifier de manière juste, témoigne Clément. L’outil essaie de prendre un maximum de paramètres en compte : le temps de travail administratif, les charges de la structure, les investissements (serres, outils tractés, …), le temps de travail, c’est-à-dire la préparation du sol, la plantation, l’entretien de culture, la récolte, le lavage, et la vente. Et puis la marge que l’on souhaite faire pour réinvestir l’an prochain. »
En plus de la complexité des variables, recueillir toutes ces données est chronophage.
Pour obtenir des résultats fiables, les informations doivent être recueillies sur une saison complète. En novembre, les maraîchers pourront enfin estimer les prix pour l’année passée.
L’objectif n’est pas tant de redéfinir les prix de vente …
Certes, les résultats permettront d’en ajuster certains. Clément donne un exemple : « Si on découvre qu’une botte de carottes nous coûte 2.75€ à produire et vendre, et qu’on la vend 3€, on gagne 0.25€/botte pour réinvestir l’an prochain ou assumer de futurs coups durs. Mais si on la vend 2.60€ l’unité, il y a problème ! »
Les maraîchers ne pourront toutefois pas dépasser certains montants : le marché et les consommateurs fixent une barrière sociale aux prix. Ils auront toutefois plus de légitimité pour expliquer leurs tarifs auprès des clients, avantage non négligeable pour faire face à certaines incompréhensions voire critiques.
… Que de repenser sa pratique
« L’outil va plutôt me permettre de modifier mes pratiques que mes prix, estime Florian Lambic, maraîcher au Les Jardins de Lilie (Brignoles, 83). Avoir la vraie rentabilité de mon légume par rapport au temps passé me permet de savoir si je dois accorder plus de soin à telle ou telle culture, voire en arrêter une. Par exemple, le chou rave est très rentable mais compliqué à vendre. »
L’objectif de l’outil est plutôt de questionner la rentabilité du système de production pour pouvoir l’améliorer (choix des variétés, temps de désherbage, faire ses plants ou les acheter, etc).
« Depuis 10 ans, les agriculteurs qui s’installent ne veulent pas forcément une meilleure rémunération, mais plus de temps » explique Oriane. Au Champs des Ânes, les agriculteurs gagnent 750€ par mois et visent 1000 à 1200e par mois. Florian arrive à se dégager un salaire de 1500€ par mois. Mais à quel taux horaire et sous quelles conditions ? Selon la saison, les agriculteurs travaillent entre 45 et 70h semaine. La notion du prix de revient amène une réflexion sur la durabilité économique et sociale des exploitations maraîchères aujourd’hui. « Même si je sors un très gros chiffre d’affaires par mètre carré, j’aimerais le mettre en adéquation avec mon temps de travail, partage Florian. Car le temps de travail pose une question : est-ce que je vais pouvoir tenir 10 ans ou 15 ans à ce rythme-là ? »