Les Afghans les plus pauvres sont les premières victimes des Talibans avec le retour d’une tradition oubliée depuis des années : le mariage forcé et avancé de fillettes pour pouvoir toucher l’argent de la dot. Reportage dans le village de Shurandam, dans la région de Kandahar.
Arifa, robe fleurie, voile rose et bleu sur les cheveux et du henné sur les ongles, vient tout juste d’avoir six ans et d’une toute petite voix, elle murmure que son père, Hamdullah, longue barbe noire, et turban sur la tête, l’a promise à un homme plus âgé pour rembourser ses dettes.
“Personne en Afghanistan ne nous écoute”
Il l’attrape par le bras et lui demande de s’asseoir sur le tapis poussiéreux installé au milieu de la cour, entre les trois maisons en torchis qui abritent ses deux femmes, ses huit garçons et ses sept filles : “C’était autour du 10 octobre. L’homme a un peu moins de 30 ans. Il a désormais deux épouses. Il prendra Arifa avec lui quand elle sera suffisamment grande pour ne plus pleurer. Je l’ai promise pour 7 500 euros et j’ai plus du double de dettes. Sans ces problèmes d’argent, jamais je ne l’aurai jamais vendue. Si elle avait pu aller à l’école à côté, elle aurait été éduquée. Elle aurait pu choisir un mari et quand elle aurait eu une vingtaine d’années, je l’aurais laissé décider. Personne ici, en Afghanistan ne nous écoute. Les Talibans sont responsables, ils sont à la tête de l’Etat, ils doivent en priorité s’occuper de nous. Je veux mourir, je veux qu’Allah prenne ma vie.”
Hamdullah est un travailleur journalier, un de ces nombreux hommes, qui proposent leur service sur le bord de routes et qui depuis l’arrivée des Talibans, n’ont plus d’activité. Il s’est lourdement endetté pour permettre à une de ses petites-filles Aïcha, d’être opéré au Pakistan puis en Inde, d’une malformation cardiaque. Un accident de la vie sur fond de catastrophe économique qui a précipité la famille dans la pauvreté. Sous son voile orange, qu’elle maintient avec application pour dissimuler son visage, la maman, Sadouzeh, laisse échapper quelques larmes
Je n’ai pas les mots. C’est trop dur pour moi. Ma souffrance est insupportable.
Des milliers de personnes dans le besoin
A Shourandam, un village de tentes qui abrite environ 500 familles, à moins d’un kilomètre de la maison de la petite Arifa, des dizaines d’enfants, dans des vêtements en lambeaux, se jettent sur deux grandes gamelles de riz. La distribution de nourriture est assurée par Haji Mohammadulah, un notable de Kandahar, qui coordonne l’aide humanitaire de deux riches hommes d’affaires afghans.
“J’ai voyagé dans tout le pays et la situation est terrible. Des milliers de personnes sont dans le besoin. Les commerçants ont des biens à vendre mais ils n’ont pas de consommateurs et ne peuvent pas payer leurs loyers. Nous voulons que la communauté internationale reconnaisse ce gouvernement pour pouvoir aider la population. Ce n’est pas la faute des Afghans. Et s’ils ne veulent pas, ils doivent s’appuyer sur des initiatives locales, pour toucher directement les gens.”
Le matin, Haji Mohalladulah est sur le terrain, et l’après-midi, il recueille dans son bureau les doléances des plus nécessiteux. Chougouffah a 27 ans, un petit Aziz de quelques mois dans les bras. D’elle-même, elle prend la parole et sous sa burqa bleue, qu’elle dit avoir porté, bien avant l’arrivée des Taliban, elle se met en colère : “Les Talibans sont venus chez moi pour réclamer le paiement d’un impôt. Et je leur ai dit : ‘je n’ai rien, vous ne m’avez rien donné, pourquoi je devrais vous aider ? Est-ce que je dois choisir entre manger et vous donner de l’argent ? Mon mari n’a pas d’emploi stable.’ Je les déteste tellement que je n’ai pas voulu payer. Et d’autres gens de mon village pensent la même chose.”
38 millions d’Afghans ont besoin aujourd’hui d’aide humanitaire
Les Talibans rejettent la responsabilité de la crise humanitaire sur le précédent gouvernement, accusé d’inertie, et en appelle, comme les Nations-Unies, à l’aide internationale. Selon le porte-parole du Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés en Afghanistan Babar Baloutch :
“Personne ne veut voir les gens mourir de faim, personne ne veut voir les enfants mourir de faim. Le moment est venu d’apporter notre aide aux Afghans.”
Des Afghans qui sont très peu à fuir le pays mais de plus en plus nombreux à être chassé de chez eux. Il y a aujourd’hui, 3,5 millions déplacés internes dont 700 000 ces derniers mois. 80% sont des femmes et des enfants. Selon le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés en Afghanistan, plus de 60% des 38 millions d’Afghans ont besoin aujourd’hui d’aide humanitaire. Ils étaient six millions de moins avant l’arrivée au pouvoir des Talibans il y a plus de trois mois.