Le prix des loyers peut constituer un obstacle, alors que la protection temporaire accordée à ces réfugiés ne permet pas la prise en compte de leurs enfants dans le calcul de l’aide au logement. Sur le terrain, des associations se retrouvent d’ores et déjà dans l’impasse
« La France anticipe des volumes très importants d’arrivées de personnes ayant fui la guerre en Ukraine (…) Il est essentiel qu[’elles] puissent être accueillies, hébergées puis accompagnées et orientées vers le logement aussi rapidement que possible. » La circulaire interministérielle diffusée fin mars sur l’accueil des réfugiés ukrainiens met l’accent sur l’insertion par le logement, alors que plus de 43 000 personnes sont arrivées en France en moins de deux mois et que, parmi elles, 25 000 ont été hébergées.
« L’objectif pour les ménages ukrainiens déplacés est, s’il n’y a pas de perspectives de retour, de les orienter dans la mesure des offres disponibles, de l’hébergement vers le logement pour permettre une insertion dans leur nouvel environnement », insiste l’instruction, cosignée par la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, et la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa.
Partout sur le territoire, particuliers, organismes HLM ou collectivités locales ont été sollicités pour recenser des logements disponibles. Mais l’inquiétude monte quant à la capacité des Ukrainiens à pouvoir financièrement accéder à ces logements. Dès le 28 mars, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe plusieurs centaines d’associations de lutte contre l’exclusion, a alerté le gouvernement sur un point faible du dispositif d’accueil : la protection temporaire accordée aux Ukrainiens, qui se traduit par la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, ne permet pas la prise en compte de leurs enfants dans le calcul de leur droit à l’aide au logement (APL). Or la plupart de ceux qui ont fui la guerre sont des femmes avec enfants. https://lemonde.assistpub.com/display.html?_otarOg=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr&_cpub=AAX23QE99&_csvr=041407_352&_cgdpr=1&_cgdprconsent=0&_cusp_status=0&_ccoppa=0
De ce point en apparence technique découlent des conséquences majeures. « Même si les réfugiés ukrainiens ont droit au travail, tous ne travailleront pas rapidement et, même avec un travail, compte tenu du prix des loyers, c’est un véritable obstacle au logement », alerte Pascal Brice, le président de la FAS.
« Choix politique »
Sur le terrain, des associations se retrouvent d’ores et déjà dans l’impasse. « Nous avons des bailleurs qui nous proposent des logements mais il est très compliqué pour les ménages d’avoir la capacité de payer, s’inquiète à son tour Florian Guyot, directeur général de l’association Aurore. Par exemple, le bailleur social Toit et Joie [filiale du groupe La Poste] nous propose un logement de type T3 à Fontenay-aux-Roses dont le loyer s’élève, charges comprises, à 874 euros. Les APL que pourrait toucher une maman avec deux enfants seraient de l’ordre de 500 euros mais, sans prendre en compte les enfants, les APL ne sont plus que de 150 euros à 200 euros. » « Ça fait un mois qu’on a réservé dix logements et qu’ils restent vides alors que des gens vivent dans des gymnases », s’impatiente pour sa part Michèle Attar, directrice générale de Toit et Joie.
Sollicité sur le choix opéré par le gouvernement, le ministère de l’intérieur renvoie vers le ministère du logement et celui de la santé et des solidarités. Le premier confirme au Monde que seuls les adultes sont pris en compte dans le calcul des APL et le second renvoie vers Matignon. Les services du premier ministre n’ont toutefois pas donné suite à notre demande.
Sous le couvert de l’anonymat, un haut fonctionnaire explique que « si on tient compte des enfants dans le calcul des APL, cela oblige la CNAF [Caisse nationale des allocations familiales] à verser aux Ukrainiens un certain nombre de prestations familiales. Il y a eu un choix politique. Certains ont sans doute craint une forme de désincitation au travail. » Un choix d’autant plus surprenant que, mardi 5 avril, la CNAF a annoncé la gratuité en 2022 de l’accueil en crèche pour tous les enfants des personnes bénéficiaires de la protection temporaire.
Julia Pascual