Alors que le ministre israélien de la défense annonce que le conflit est entré dans une nouvelle phase, les familles des 229 otages détenus à Gaza se sont rassemblées samedi dans la capitale israélienne, après une nuit d’angoisse et d’incertitude.

Christophe Gueugneau

28 octobre 2023 à 18h37

TelTel-Aviv (Israël).– « On a été très patients mais ça suffit maintenant, ça suffit ! » Samedi 28 octobre, dans la matinée, les rues de Tel-Aviv sont calmes comme tout samedi de shabbat. Mais devant le musée d’art moderne de la ville, une foule de plusieurs centaines de personnes se pressent pour affirmer leur solidarité. C’est ici que les familles d’otages et de disparu·es israélien·nes se mobilisent depuis près de trois semaines. Elles bénéficient également d’un espace dans un immeuble voisin, au 7e étage. 

Dans la foule, de nombreux proches des otages tiennent des pancartes sur lesquelles figurent les noms et photos de leurs proches. D’autres exigent un « échange de prisonniers de guerre ». Certain·es enchaînent les interviews avec la télévision, la radio, la presse écrite, quand d’autres restent prostré·es, les yeux rougis ou cernés. Une immense table a été dressée sur la place, prête à recevoir les otages une fois qu’ils et elles auront été libéré·es.

Cela fait vingt-deux jours que les attaques du Hamas, qui ont fait 1 400 morts et 229 otages, selon les derniers chiffres officiels du gouvernement israélien, continuent de choquer tout un pays. Tard vendredi, l’armée a substantiellement augmenté ses frappes sur l’enclave palestinienne de Gaza, tout en menant une opération au sol qui se poursuivait toujours samedi matin.

Illustration 1
Au rassemblement des familles d’otages et disparus du 7 octobre, devant le musée d’Art moderne de Tel-Aviv, samedi 28 octobre 2023. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart

L’armée israélienne avait déjà fait deux brèves incursions les deux nuits précédentes mais celle-ci, annoncée, précédée de lourdes frappes et intervenant alors que Gaza était soudain privée de moyens de communication, a pu faire penser que l’invasion, évoquée depuis des jours sans jamais intervenir, avait bel et bien commencé.

Merav Leshem Gonnen, dont la fille Romi a été enlevée à la rave party qui se tenait près de Gaza dans la nuit du 6 au 7 octobre, arbore le T-shirt officiel des familles de disparu·es. Elle est l’un des visages de ces familles sur la brèche depuis le premier jour des attaques. « Il m’était impossible de rester à la maison aujourd’hui, soupire-t-elle. Ce matin, après les événements de la nuit, nous sommes plus frustrés et plus inquiets que jamais. »

Illustration 2
Au centre : Merav Leshem Gonnen, dont la fille Romi a été enlevée à la rave party, le 23 octobre 2023 à Tel-Aviv. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart

De l’inquiétude, mais aussi de la colère. « On doit faire savoir aux dirigeants qu’on veut nos proches à la maison, expose-t-elle, avant de monter la voix. On ne sait rien de leurs conditions ! Ma fille a été blessée pendant l’attaque, qu’en est-il aujourd’hui ? A-t-elle été soignée ?On ne sait rien des négociations en cours : qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui ? »

Plus tôt dans la journée, le Forum des familles de disparu·es et kidnappé·es a fait parvenir un communiqué dans lequel il demande à être reçu par le premier ministre Benyamin Nétanyahou et son cabinet de guerre – une rencontre a eu lieu dans la soirée. « Les familles sont angoissées par le sort de leurs proches et attendent une explication. Chaque minute qui passe leur semble une éternité. Nous demandons au ministre de la défense Yoav Galant et aux membres du cabinet de guerre de nous rencontrer ce matin », ajoute le communiqué.

Merav Leshem Gonnen a peu d’espoir que les familles soient entendues. Pour elle, le principal problème est que Nétanyahou et les autres représentants « n’ont toujours pas changé de mentalité, ce sont des va-t-en-guerre, ils ne peuvent pas s’en empêcher »

Illustration 3
Ayelet Samerano, dont le fils, Jonathan Samerano, a été enlevé dans le kibboutz de Be’eri, samedi 28 octobre à Tel-Aviv. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart

« On veut faire savoir à notre gouvernement, à ceux qui prennent les décisions, que nous sommes là, qu’on attend des actes et pas des promesses », enchaîne Ayelet Samerano, dont le fils, Jonathan Samerano, a été enlevé dans le kibboutz de Be’eri. « On n’a pas dormi, on est dans un bordel sans nom, on ne sait rien », dit-elle. 

Si elle comprend que le gouvernement garde une part de secret sur d’éventuelles négociations en cours, elle voudrait tout de même être sûre que cette question figure bien à son agenda. « On n’a aucune preuve de vie, aucun mot d’eux, et notre gouvernement ne nous dit rien », se plaint-elle.

Je dis : rien, pas d’aide humanitaire, pas d’eau, pas de nourriture, tant qu’ils ne nous auront pas rendu les nôtres.

Ilan, oncle de Eden Zecharya, 28 ans

« Je ne veux pas faire de politique mais je suis inquiète de tout, je suis inquiète car le temps passe. Cela fait trois semaines déjà. Et plus le temps passe et moins… » La voix d’Inbal Zach se brise. Elle tient la pancarte sur laquelle figure la photo de son cousin, Tal Shohan, enlevé lui aussi à Be’eri, où il se trouvait chez ses grands-parents pour fêter le début des vacances. Son grand-père a été tué, sa grand-tante et son mari aussi. « Il a été enlevé en pyjama. A-t-il des habits à présent ? », demande Inbal Zach. « On veut que le gouvernement nous dise qu’ils vont bien, c’est tout ce qu’on demande », ajoute-t-elle.

Illustration 4
Alors que le ministre israélien de la défense annonce que le conflit est entré dans une nouvelle phase, les familles des 229 otages détenus à Gaza se sont rassemblées samedi dans la capitale israélienne, après une nuit d’angoisse et d’incertitude.
Christophe Gueugneau
28 octobre 2023 à 18h37




TelTel-Aviv (Israël).– « On a été très patients mais ça suffit maintenant, ça suffit ! » Samedi 28 octobre, dans la matinée, les rues de Tel-Aviv sont calmes comme tout samedi de shabbat. Mais devant le musée d’art moderne de la ville, une foule de plusieurs centaines de personnes se pressent pour affirmer leur solidarité. C’est ici que les familles d’otages et de disparu·es israélien·nes se mobilisent depuis près de trois semaines. Elles bénéficient également d’un espace dans un immeuble voisin, au 7e étage. 
Dans la foule, de nombreux proches des otages tiennent des pancartes sur lesquelles figurent les noms et photos de leurs proches. D’autres exigent un « échange de prisonniers de guerre ». Certain·es enchaînent les interviews avec la télévision, la radio, la presse écrite, quand d’autres restent prostré·es, les yeux rougis ou cernés. Une immense table a été dressée sur la place, prête à recevoir les otages une fois qu’ils et elles auront été libéré·es.
Cela fait vingt-deux jours que les attaques du Hamas, qui ont fait 1 400 morts et 229 otages, selon les derniers chiffres officiels du gouvernement israélien, continuent de choquer tout un pays. Tard vendredi, l’armée a substantiellement augmenté ses frappes sur l’enclave palestinienne de Gaza, tout en menant une opération au sol qui se poursuivait toujours samedi matin.

Illustration 1 Au rassemblement des familles d’otages et disparus du 7 octobre, devant le musée d’Art moderne de Tel-Aviv, samedi 28 octobre 2023. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart
L’armée israélienne avait déjà fait deux brèves incursions les deux nuits précédentes mais celle-ci, annoncée, précédée de lourdes frappes et intervenant alors que Gaza était soudain privée de moyens de communication, a pu faire penser que l’invasion, évoquée depuis des jours sans jamais intervenir, avait bel et bien commencé.
Merav Leshem Gonnen, dont la fille Romi a été enlevée à la rave party qui se tenait près de Gaza dans la nuit du 6 au 7 octobre, arbore le T-shirt officiel des familles de disparu·es. Elle est l’un des visages de ces familles sur la brèche depuis le premier jour des attaques. « Il m’était impossible de rester à la maison aujourd’hui, soupire-t-elle. Ce matin, après les événements de la nuit, nous sommes plus frustrés et plus inquiets que jamais. »

Illustration 2 Au centre : Merav Leshem Gonnen, dont la fille Romi a été enlevée à la rave party, le 23 octobre 2023 à Tel-Aviv. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart
De l’inquiétude, mais aussi de la colère. « On doit faire savoir aux dirigeants qu’on veut nos proches à la maison, expose-t-elle, avant de monter la voix. On ne sait rien de leurs conditions ! Ma fille a été blessée pendant l’attaque, qu’en est-il aujourd’hui ? A-t-elle été soignée ?On ne sait rien des négociations en cours : qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui ? »
Plus tôt dans la journée, le Forum des familles de disparu·es et kidnappé·es a fait parvenir un communiqué dans lequel il demande à être reçu par le premier ministre Benyamin Nétanyahou et son cabinet de guerre – une rencontre a eu lieu dans la soirée. « Les familles sont angoissées par le sort de leurs proches et attendent une explication. Chaque minute qui passe leur semble une éternité. Nous demandons au ministre de la défense Yoav Galant et aux membres du cabinet de guerre de nous rencontrer ce matin », ajoute le communiqué.
Merav Leshem Gonnen a peu d’espoir que les familles soient entendues. Pour elle, le principal problème est que Nétanyahou et les autres représentants « n’ont toujours pas changé de mentalité, ce sont des va-t-en-guerre, ils ne peuvent pas s’en empêcher »

Illustration 3 Ayelet Samerano, dont le fils, Jonathan Samerano, a été enlevé dans le kibboutz de Be’eri, samedi 28 octobre à Tel-Aviv. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart
« On veut faire savoir à notre gouvernement, à ceux qui prennent les décisions, que nous sommes là, qu’on attend des actes et pas des promesses », enchaîne Ayelet Samerano, dont le fils, Jonathan Samerano, a été enlevé dans le kibboutz de Be’eri. « On n’a pas dormi, on est dans un bordel sans nom, on ne sait rien », dit-elle. 
Si elle comprend que le gouvernement garde une part de secret sur d’éventuelles négociations en cours, elle voudrait tout de même être sûre que cette question figure bien à son agenda. « On n’a aucune preuve de vie, aucun mot d’eux, et notre gouvernement ne nous dit rien », se plaint-elle.
Je dis : rien, pas d’aide humanitaire, pas d’eau, pas de nourriture, tant qu’ils ne nous auront pas rendu les nôtres.
Ilan, oncle de Eden Zecharya, 28 ans
« Je ne veux pas faire de politique mais je suis inquiète de tout, je suis inquiète car le temps passe. Cela fait trois semaines déjà. Et plus le temps passe et moins… » La voix d’Inbal Zach se brise. Elle tient la pancarte sur laquelle figure la photo de son cousin, Tal Shohan, enlevé lui aussi à Be’eri, où il se trouvait chez ses grands-parents pour fêter le début des vacances. Son grand-père a été tué, sa grand-tante et son mari aussi. « Il a été enlevé en pyjama. A-t-il des habits à présent ? », demande Inbal Zach. « On veut que le gouvernement nous dise qu’ils vont bien, c’est tout ce qu’on demande », ajoute-t-elle.

Illustration 4 Ilan, oncle d’Eden Zecharya, 28 ans, enlevée le 7 octobre. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart
Ilan, oncle d’Eden Zecharya, 28 ans et enlevée elle aussi, laisse, lui, éclater sa colère. Et son ressentiment. « Le 6 octobre, quelle était la situation ? Tout allait bien, tout le monde allait en paix. Et le 7, le Hamas a mené ces massacres. Ce sont des bouchers. Rien ne peut justifier ce qu’ils ont fait », explose-t-il. Il poursuit : « On leur a donné Gaza en 2005 et regardez ce qu’ils ont fait, ils ont préparé la guerre. »
Pour lui, la question des négociations est simple. « Je dis : rien, pas d’aide humanitaire, pas d’eau, pas de nourriture, tant qu’ils ne nous auront pas rendu les nôtres. » S’il admet être « inquiet », avoir « peur depuis hier soir », il estime qu’on ne pourra pas trouver d’accord sans « mettre la pression sur Gaza ». « Gaza manque de tout ? Eh bien ce sont les conséquences de la guerre. Libérez nos otages et vous aurez de l’eau », lance-t-il. 
Deux jeunes femmes, qui préfèrent ne pas donner leur nom car elles n’ont pas de proches enlevés et sont juste là par solidarité, avouent ne rien comprendre à ce que fait leur gouvernement. « Nétanyahou dit qu’il veut gagner la guerre mais ça ne veut rien dire, gagner une guerre. Là, on a déjà perdu », dit l’une. « En 2021, un cessez-le-feu avait été trouvé au bout de onze jours. Là, on en est à trois semaines et rien n’arrive, rien. Pourtant, la paix, il n’y a rien d’autre à faire », dit l’autre.

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Crise des otages en Israël : « Son téléphone est à Gaza, mais pour ma fille on ne sait rien » 17 octobre 2023
Dans la matinée, un porte-parole de l’armée israélienne a affirmé que la libération des otages était « un effort national suprême ». « Toutes nos activités, qu’elles soient opérationnelles ou de renseignement, visent à atteindre cet objectif », avait-il ajouté. Le ministre de la défense Yoav Galant a par ailleurs fait savoir qu’il était prêt à rencontrer les familles dimanche, selon Haaretz. Le quotidien précise que ce sera la première fois. 
Ce à quoi les familles ont répondu, lors d’une prise de parole sur la place : « Nous sommes fatigué·es des slogans. Nous attendons du premier ministre et du ministre de la défense (…) qu’ils nous regardent dans les yeux et qu’ils répondent clairement à la question : l’intensification de l’opération militaire à Gaza met-elle en danger la sécurité des 229 otages ? »
Christophe Gueugneau

Ilan, oncle d’Eden Zecharya, 28 ans, enlevée le 7 octobre. © Photo Thomas Dévényi / Hans Lucas pour Mediapart

Ilan, oncle d’Eden Zecharya, 28 ans et enlevée elle aussi, laisse, lui, éclater sa colère. Et son ressentiment. « Le 6 octobre, quelle était la situation ? Tout allait bien, tout le monde allait en paix. Et le 7, le Hamas a mené ces massacres. Ce sont des bouchers. Rien ne peut justifier ce qu’ils ont fait », explose-t-il. Il poursuit : « On leur a donné Gaza en 2005 et regardez ce qu’ils ont fait, ils ont préparé la guerre. »

Pour lui, la question des négociations est simple. « Je dis : rien, pas d’aide humanitaire, pas d’eau, pas de nourriture, tant qu’ils ne nous auront pas rendu les nôtres. » S’il admet être « inquiet », avoir « peur depuis hier soir », il estime qu’on ne pourra pas trouver d’accord sans « mettre la pression sur Gaza ». « Gaza manque de tout ? Eh bien ce sont les conséquences de la guerre. Libérez nos otages et vous aurez de l’eau », lance-t-il. 

Deux jeunes femmes, qui préfèrent ne pas donner leur nom car elles n’ont pas de proches enlevés et sont juste là par solidarité, avouent ne rien comprendre à ce que fait leur gouvernement. « Nétanyahou dit qu’il veut gagner la guerre mais ça ne veut rien dire, gagner une guerre. Là, on a déjà perdu », dit l’une. « En 2021, un cessez-le-feu avait été trouvé au bout de onze jours. Là, on en est à trois semaines et rien n’arrive, rien. Pourtant, la paix, il n’y a rien d’autre à faire », dit l’autre.

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Ce à quoi les familles ont répondu, lors d’une prise de parole sur la place : « Nous sommes fatigué·es des slogans. Nous attendons du premier ministre et du ministre de la défense (…) qu’ils nous regardent dans les yeux et qu’ils répondent clairement à la question : l’intensification de l’opération militaire à Gaza met-elle en danger la sécurité des 229 otages ? »

Christophe Gueugneau

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