20 septembre 2021 Par Rachida El Azzouzi
Le président français a annoncé une loi de reconnaissance et de réparation pour les harkis, ces Algériens qui ont combattu dans les rangs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie et qui portent avec leurs descendants une mémoire à vif.
· «Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon, nous n’oublierons pas. » Emmanuel Macron a demandé lundi « pardon » aux harkis, ces dizaines de milliers d’Algériens, recrutés comme auxiliaires de l’armée française, qui ont risqué leur vie pour la France pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). Pardon pour ce que la République française leur a infligé : « Un terrible sort. »
Pardon de leur avoir offert « non pas un asile mais un carcan, non pas l’hospitalité mais l’hostilité », « les barreaux et les barbelés, les couvre-feux, le rationnement, le froid, la faim, la promiscuité, la maladie, l’exclusion, l’arbitraire et le racisme, au mépris de toutes les valeurs qui fondent la France, au mépris du droit, au mépris de toute justice ».Pardon d’avoir fermé à leurs enfants « les portes de l’école au mépris de leur avenir ».
Devant un parterre de 300 personnes, issues en grande partie d’associations de harkis, et à quelques jours de la journée d’hommage national aux harkis qui a lieu chaque 25 septembre depuis 2001, le président français a annoncé sous les ors élyséens qu’il ouvrait « le chantier de la réparation » et qu’il était temps de « franchir un nouveau pas » dans la « reconnaissance du manquement qui a été fait aux harkis » par l’État français.
Bannis par le pouvoir algérien qui les a érigés en « parias », trahis par le pouvoir français qui les a abandonnés dans l’indignité, les anciens supplétifs de l’armée française – qui furent jusqu’à 200 000 – continuent d’endurer près de soixante ans après la signature des accords d’Évian une tragique double peine de part et d’autre de la Méditerranée.
Aux représailles du pouvoir algérien qui a emprisonné, torturé, exécuté à la libération de l’Algérie des dizaines de milliers d’entre eux, s’est ajouté l’abandon de Paris. Ceux qui réussirent à rejoindre la France avec leurs familles entre 1962 et 1965 (environ 90 000 personnes) furent, pour plus de la moitié d’entre eux, parqués et oubliés dans des camps misérables pendant des décennies.
« Il n’y a aucun mot qui réparera vos brûlures et ce que vous avez vécu »,a lancé Emmanuel Macron lorsque, pendant la cérémonie, des voix se sont élevées, déchirées par les blessures et les colères accumulées, hantées par une mémoire toujours à vif, à l’image de cette femme répétant : « On n’a pas de passé, mon cœur est blessé », « on est comme des mendiants », et ne cessant de penser « à ceux qui sont morts, qui se sont suicidés ».
Le « pardon » d’Emmanuel Macron à l’adresse des harkis apparaît dans les rangs de l’opposition comme un calcul électoraliste.
Depuis vingt ans, les présidents se succèdent et s’accordent tous à condamner le sort réservé aux harkis par la France. En 2001, pour la première journée d’hommage national, Jacques Chirac regrettait que la France n’ait « pas su sauver ses enfants ». En 2012, Nicolas Sarkozy déplorait la non-protection des harkis par la France. En 2016, François Hollande reconnaissait « les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis ».
Emmanuel Macron, premier président à être né après la fin de la guerre d’Algérie, entend aller plus loin. Il a annoncé « avant la fin de l’année » un projet de loi de « reconnaissance et de réparation » qui devrait être voté avant février 2022. Il aura pour objectif principal la mise en place d’une commission nationale chargée de recueillir et d’évaluer les demandes de réparation des anciens combattants et de leurs descendants.
Adossée au service de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, cette commission s’adressera à la première génération – les harkis, leurs veuves – ainsi qu’à la deuxième génération qui ont enduré les camps, les hameaux de forestage ou les foyers. Elle traitera aussi de l’accompagnement des enfants et petits-enfants dans leur accès à l’éducation et « à l’égalité des chances ».
Cette loi « est un pas historique », a réagi la journaliste et fille de harki Dalila Kerchouche, citée par l’AFP : « Pour la première fois, un président a compris la gravité du drame des harkis » qui « ont été trahis par l’État français ». Un sentiment partagé par nombre d’associations de harkis qui réclament cette loi depuis des décennies.
Présentée par l’entourage d’Emmanuel Macron comme une nouvelle étape de sa politique mémorielle, cette annonce intervient huit mois après le rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie de l’historien Benjamin Stora qui avait provoqué la fureur des harkis fin janvier.
Ces derniers s’estimaient encore une fois être « les grands oubliés ». Un collectif de femmes et de filles de harkis s’était aussi levé contre l’une des mesures phares du rapport Stora : l’entrée au Panthéon de l’avocate Gisèle Halimi qui a défendu des indépendantistes algériens, une recommandation que n’aurait pas encore tranchée le président, assure l’Élysée, qui laisse croire encore possible une panthéonisation de la militante féministe et anticoloniale. « Il n’a jamais été répondu pour le moment négativement à l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi. C’est toujours un chantier qui est ouvert et sur lequel le président travaille. »
À quelques mois de l’élection présidentielle, le « pardon » d’Emmanuel Macron à l’adresse des harkis – « qui ne signifie pas se repentir »,se contorsionne une source élyséenne – apparaît dans les rangs de l’opposition comme un calcul électoraliste. Les anciens auxiliaires algériens de l’armée française ont toujours été otages de considérations et de manipulations politiques, tout particulièrement à droite et à l’extrême droite.
Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, s’est fendue d’un tweet avant les annonces, brocardant « la générosité électorale d’Emmanuel Macron » qui « ne réparera pas des décennies de mépris ainsi que l’outrage commis par le président à la mémoire de ces combattants de la France accusés, en 2017, avec d’autres, de “crime contre l’humanité” ».
À droite, on salue sur les réseaux sociaux la démarche présidentielle mais fustige « l’arrière-pensée électorale » à l’image du sénateur Les Républicains de Vendée Bruno Retailleau, ou encore de la sénatrice des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer qui trouve « dommage qu’il faille attendre qu’il [le président] soit candidat non déclaré pour la présidentielle pour attendre de voir des propositions qui ont pourtant été rejetées ces dernières années lorsqu’elles venaient de la droite ».