Ce mercredi, des centaines de militants climat déterminés ont empêché les actionnaires d’assister à l’AG de la compagnie pétrolière. Une « action coup de poing » pour dénoncer l’irresponsabilité du groupe.
Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas menée d’action coup de poing. » La case est désormais cochée pour Élodie Nace et l’association Alternatiba, dont elle est la porte-parole. Ce mercredi matin, devant la salle Pleyel, au moins 300 activistes climat se sont donné le mot pour court-circuiter l’assemblée générale de TotalEnergie. Chahutée par la sécurité de l’événement, les militants d’ONG environnementales comme Greenpeace, ANV COP 21 et les Amis de la Terre sont parvenus à bloquer l’entrée de cette célèbre salle sise dans le très cossu 8e arrondissement de Paris, laissant les actionnaires du groupe pétrolier dehors.
« On est là depuis 8h20 pour que leur AG n’ait pas lieu en condition de grand-messe avec petits fours et compagnie. On s’est levés très tôt mais c’est notre avenir qui est en jeu : on est très déterminés », assure-t-elle. Avant de se retourner et de crier des slogans revendicatifs : « Totalement irresponsables ! » et « On est là, même si Total ne veut pas nous on est là », repris par les militants assis et imbriqués en chaînes humaines. Fatigués mais bien présents.
Avec Eacop, 40 millions de personnes en stress hydrique
L’un des objectifs de cette assemblée générale : consulter les actionnaires sur le plan climat de TotalEnergie. Un projet « incompatible avec nos objectifs et en particulier celui de limiter le réchauffement à 1,5°C », selon Lucie Pinson, de l’ONG Reclaim Finance, et « qui cache en vérité une stratégie d’expansion dans les énergies fossiles ». « Même le Crédit Mutuel a annoncé voter contre le projet hier. Ça dit quelque chose non ? », s’insurge Pierre Larrouturou.
Avec les activistes et leurs pancartes de couleur, le député européen dénonce le méga-projet Eacop, ce pipeline de pétrole brut géant en Afrique de l’Est, long de 1.443 km et chauffé à 50°C pour accélérer l’acheminement. « 100.000 personnes vont être expulsées. Il y a un risque d’alimentation en eau pour 40 millions de personnes. Tout ça pour exporter le pétrole vers le reste du monde et ne presque rien investir dans le développement local qui concerne 100 millions de personnes en Tanzanie et en Ouganda », s’inquiète Pierre Larrouturou.
« Ils financent la guerre »
Comme certains militants venus de la région des Grands Lacs, en Afrique, Agnieszka s’est, elle, déplacée de Pologne pour protester contre TotalEnergie. Et pointe la présence du groupe pétrolier en Russie : « Total maintient ses investissements sur le gaz et le pétrole russe, ce qui finance directement la guerre. J’ai des amis qui s’y trouvent. Il faut qu’ils s’en aillent de Russie. Ils devraient réfléchir à ce qu’ils font. » Mais Agnieszka, comme ses homologues Ougandais, Tanzaniens et Mozambicains, n’a pas pris le risque de s’infiltrer dans le secteur du blocage. Question de sécurité « pour éviter toute arrestation ».
Élodie Nace estime même qu’Emmanuel Macron est « complice des activités de Total, en appuyant ces projets et en ne demandant pas leur retrait. Ils disent que leur premier combat, c’est la question écologique. D’accord, mais alors il faut sortir des projets gaziers et pétrolier. Et c’est aujourd’hui que ça se passe. »
Deux mondes
À une trentaine de mètres de l’entrée de la salle Pleyel, les actionnaires grognent. « Je voudrais savoir si ces défenseurs de l’écologie chauffent leur appartement, s’ils ont une voiture, s’ils prennent l’avion. Si on n’avait pas d’énergie, on vivrait comme Robinson Crusoé. Comment tourneraient les usines ? Je ne comprends pas ce qu’ils font », s’indigne un homme qui a acheté son action « il y a au moins 30 ans ». Derrière la rubalise un autre estime qu’« il nous faut de l’énergie, de toutes façons. Si on veut se développer, il faut de la croissance. Pour de la croissance, il faut de l’énergie. Par quoi veulent-ils la remplacer ? »
Une lecture qui attriste Hélène, militante d’Alternatiba : « Je suis assez émue des discussions que j’ai eues avec les actionnaires. C’était houleux et fastidieux de se faire insulter et de ne pas être comprise du tout. » Mais l’activiste se console en pensant à « la graine » qu’elle a pu planter dans l’esprit de certains : « J’espère qu’ils rentreront chez eux, cogiteront et se rappelleront cette jeune femme qui était en larmes devant eux. »
L’assemblée générale de TotalEnergies a toutefois pu se tenir à « huis-clos » et en ligne. Elle s’est achevée en milieu de journée mercredi sur un large vote en faveur de la stratégie climat du géant français du gaz et du pétrole, dénoncée par des ONG environnementales et plusieurs petits actionnaires.