À la suite d’une série de tags racistes ou masculinistes et d’agressions, un rassemblement était organisé mercredi devant le Planning familial girondin. Sur place, des militants, nombreux, ont dit leur ras-le-bol mais aussi leur détermination.
2 mars 2023 à 19h11
Bordeaux (Gironde).– Il n’est pas encore tout à fait 17 h 30, heure théorique du début du rassemblement, mais déjà la foule est dense devant les locaux du Planning familial, rue Eugène-Le-Roy, non loin de la gare Saint-Jean à Bordeaux. Environ cinq cents personnes se pressent devant l’association, cible deux nuits auparavant de nouveaux tags haineux.
Peu de pancartes ou de banderoles mais une détermination commune : dénoncer la recrudescence, ces derniers mois, d’actions violentes ou d’intimidation de l’extrême droite. Le Planning familial a été ainsi vandalisé trois fois en trois semaines. Dans la nuit du 27 au 28 février, puis cinq jours plus tôt, avec une inscription en lettres rouges ciblant l’IVG, revendiquée par « Action directe identitaire », et une croix celtique, enfin, dans la nuit du 7 au 8 février, avec l’inscription « Aujourd’hui stérilisés, demain pucés ? », en référence à une campagne sur la contraception masculine.
Alors au micro et face à la foule, Annie Carraretto, co-présidente du Planning familial de Gironde, dit sa colère. « On ne peut plus tolérer cette impunité, surtout quand ce n’est pas l’impunité pour tous, explique-t-elle, faisant référence aux Colleuses arrêtées et jugées, mais aussi aux Rosies, à Paris, arrêtées devant l’Assemblée nationale. Nous n’avons qu’un mot à vous dire : engagez-vous ! »
Présent au rassemblement, le maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, parle d’une manifestation « tout à fait nécessaire ». « Votre indignation, à toutes et à tous, n’a d’égale que celle de nombreux élus », ajoute-t-il. « C’est un soutien affirmé au planning familial mais au-delà, car ce n’est pas la seule association visée par ce climat de haine que certains veulent installer dans notre ville », déclare encore le maire.
Il est vrai que le planning n’est qu’une des dernières manifestations de la résurgence d’une extrême droite décomplexée dans la ville. Dans la nuit du 27 au 28 février, la mosquée Al-Houda était elle aussi la cible d’Action directe identitaire, avec ce tag : « Vivre ensemble tue ». « C’est la sixième fois depuis 2018 que notre mosquée est taguée, ça recommence à chaque fois », déplore Azzeddine Laïd, membre de la mosquée, au journal Sud Ouest.
Les locaux de SOS Racisme Gironde ont également fait les frais de ce ou de ces groupes par deux fois. En février – « Les nôtres avant les autres » – mais également en décembre, avec ce message : « La France aux Français ». L’association des Hébergeurs solidaires de Bordeaux, venant en aide aux mineurs isolés, a elle aussi été victime de tags : plusieurs croix celtiques sur les murs de son siège.
« Expédition punitive » à Saint-Michel
De même que l’Asti, l’Association de solidarité avec tous les immigrés, taguée pour sa part dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 novembre. Sur les murs, ces messages : « Moins de SDF, plus d’OQTF » et « Qu’ils retournent en Afrique ».
Les groupes en question ne se contentent pas de peindre sur les murs. Mercredi 7 décembre 2022, une quinzaine d’individus armés, vraisemblablement membres du groupuscule identitaire de la Bastide bordelaise (anciennement Bordeaux nationaliste), ont attaqué une conférence de deux députés Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) à la faculté de Bordeaux-Montaigne.
En juin dernier, des hommes, pour certains cagoulés, avaient violemment invectivé des passants et tenu des propos racistes dans le quartier de Saint-Michel. Dans un communiqué, la Ligue des droits de l’homme de Gironde avait dénoncé une « expédition punitive », d’autres témoins parlant de véritables « ratonnades ».
Pour ces faits, huit personnes ont été placées en garde à vue la semaine dernière et déférées devant la justice en vue d’une « comparution à délai différé », selon le vice-procureur Sébastien Baumert-Stortz. Elles devraient être jugées dans un délai de deux mois.
Parmi ces huit personnes, deux hommes sont déjà connus des services de justice et doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, le 7 avril prochain. Ils sont en effet soupçonnés d’avoir participé aux actes homophobes commis en marge de la Marche des fiertés le 12 juin 2022. Des menaces de mort et des agressions avaient été perpétrées, comme le rapportait l’association Le Girofard à l’époque.
On est vachement plus nombreux et vachement plus déter !
Chloé, militante NPA
Pour Erwan Nzimenya, président de SOS Racisme en Gironde, le calendrier parle de lui-même : « On a été tagués après la présentation de la loi Darmanin ; l’attaque de Saint-Michel, c’est après le second tour des législatives ; celle de la Marche des fiertés, c’est un mois après le second tour de la présidentielle. »
Pour le jeune étudiant, ce climat, « de plus en plus pesant, de plus en plus pressant », est également attribuable au quinquennat d’Emmanuel Macron : « Quand Jean-Michel Blanquer [ancien ministre de l’Éducation nationale – ndlr] et Frédérique Vidal [ancienne ministre de l’enseignement supérieur – ndlr] dénoncent le “wokisme”, “l’islamo-gauchisme”, c’est tout simplement une reprise des vocables de l’extrême droite contre les femmes, les jeunes, les travailleurs immigrés. »
C’est à la suite de ces multiples attaques que s’est inscrit mercredi 1er mars le rassemblement devant le Planning familial. Interrogée par Mediapart, Myrtille Bondu de Gryse, co-présidente de l’association, regrette que cela devienne « la norme d’être RN [Rassemblement national] » et dénonce « le jeu que jouent aussi les autres politiques ». La jeune femme pointe notamment la « responsabilité du gouvernement d’avoir fait la courte échelle à au RN ».
Cette même tonalité a été entendue dans toutes les prises de parole mercredi, de la responsable de la FSU – « Dans ce climat général, il faut qu’on se batte » – au président de la Ligue des droits de l’homme – « Ils nous attaquent mais ils nous poussent à encore plus de solidarité » –, du représentant de Solidaires à une militante du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) – « On est vachement plus nombreux et vachement plus déter ! »
Un ras-le-bol mêlé à une détermination à « faire en sorte que l’extrême droite ne se sente plus à sa place » à Bordeaux. Comme un pied de nez au rassemblement, l’Action française tractait au même moment devant l’université Bordeaux-Montaigne.
Chez Reconquête comme au Rassemblement national, on dément évidemment toute accointance avec ces groupes. Jimmy Bourlieux, délégué départemental du RN en Gironde, par ailleurs assistant parlementaire de la députée de Charente Caroline Colombier, réfute l’amalgame, quand bien même l’un des tags – « Qu’ils retournent en Afrique » – faisait directement référence aux propos de l’un de ses députés.
« Grégoire de Fournas portait une critique politique de la politique d’immigration du gouvernement. Si des gens décident de la détourner pour faire des dégradations, nous le condamnons », répond Jimmy Bourlieux à Mediapart.
Dany Bonnet, délégué départemental de Reconquête en Gironde, se dit lui aussi « opposé à ce mode d’action ». « Nous sommes un parti dans une démarche démocratique », répond-il à Mediapart. Le délégué ne va cependant « pas s’apitoyer avec la gauche bordelaise » : selon lui, les militants Reconquête sont également la cible de violences de la part de l’extrême gauche. « Nous en sommes à huit plaintes pour coups et blessures et nous n’avons aucune nouvelle », explique-t-il.
L’arme de la dissolution, ce n’est pas l’arme atomique.
Jean-Yves Camus, de l’Observatoire des radicalités politiques
Difficile de savoir qui se trouve derrière Action directe identitaire. Pour Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite et à la tête de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès, les dissolutions d’associations d’extrême droite, qui se sont accélérées depuis 2017, bien que « nécessaires », ne sont « pas la panacée ». « L’arme de la dissolution, ce n’est pas l’arme atomique », estime le chercheur.
En témoigne la dissolution de Bordeaux nationaliste le 1er février dernier. Créé en 2016 sous l’appellation du « Menhir », d’après le nom donné au local qui abritait ses membres à Bègles, le groupe s’est reconstitué peu de temps après sa dissolution, sous le nom Bastide bordelaise. « Tous les groupes dissous se reconstituent avec une vitesse confondante, note Jean-Yves Camus. Mais ils ne reviennent pas un pour un. » En témoigne la dissolution du Bastion social, qui a abouti à une kyrielle de groupes locaux.
Quant aux liens entre ces groupes et le Rassemblement national, le chercheur n’y croit pas.
« J’ai toujours défendu le fait que le RN, et avant lui le FN, jouait un rôle de décélérateur de violence, quelque chose qui contraint et encadre, expose Jean-Yves Camus. Le seul problème, c’est que depuis que Marine Le Pen a consolidé son pouvoir et pratiqué la dédiabolisation de son parti, certains militants n’en sont pas satisfaits et s’en vont, certains chez Zemmour, d’autres au Parti de la France, un parti explicitement fasciste. »
Jean-Yves Camus se dit plus « inquiet » par ce qui se passe à Callac ou à Saint-Brévin-les-Pins qu’à Bordeaux. Dans ces deux petites villes, l’une dans les Côtes-d’Armor et l’autre en Loire-Atlantique, une coalition de militants d’extrême droite, portée par Reconquête, lutte pied à pied contre l’installation de migrants. Une stratégie revendiquée par le parti d’Éric Zemmour. Bernard Germain, candidat Reconquête aux législatives à Lannion en Bretagne, a ainsi lancé le site « Partout Callac ». À lire aussi À Saint-Brévin, la solidarité avec les réfugiés triomphe des fauteurs de haine
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Sauf que ces mobilisations donnent lieu à de nombreux débordements. À Callac, plusieurs plaintes pour menaces de mort ont été déposées. Le journal local Le Poher fait partie des cibles de militants chauffés à blanc.
Stanislas Rigault, président de Génération Zemmour (les jeunes du parti) et membre du bureau exécutif de Reconquête, revendique le rôle de son parti dans ces luttes locales contre l’immigration, mais souligne qu’il s’agit de « lutter de façon politique ».
« Nous organisons des rassemblements, des pétitions, nous rencontrons des élus, mais nous n’avons aucun intérêt à ce que des journalistes de Libé ou de Mediapart nous appellent à propos de menaces », dit-il à Mediapart. « On essaye de former nos délégués départementaux, c’est un travail de suivi », tempère-t-il cependant.
Une façon de répondre à la question qui préoccupe Jean-Yves Camus : « Les événements à Callac ou Saint-Brévin se font-ils avec l’aval de la direction de Reconquête ou bien la direction ne maîtrise-t-elle pas ses troupes ? »
« Le vrai danger, selon le chercheur, ce serait l’affaiblissement politique de Reconquête, auquel cas vous auriez un vivier de gens remontés comme des pendules et qui voudraient faire quelque chose. » Et ce ne seront sans doute pas des tags réalisés pendant la nuit.