Mardi 6 juin, douze organisations et cinq militants ont déposé plainte auprès du parquet de Bordeaux pour entrave au droit de manifester. Tous mettent directement en cause la stratégie de maintien de l’ordre le 1er Mai dernier.
Nadia Sweeny • 6 juin 2023
Une plainte collective au nom de douze organisations syndicales et associatives, ainsi que cinq plaintes individuelles, ont été déposées ce mardi matin au parquet de Bordeaux pour entrave à la liberté de manifester. Parmi les plaignants : la Confédération nationale du travail (CNT), le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), la CGT Éduc’action 33, la CGT Blanchisserie, SUD PTT 33, ou encore l’Union juive française pour la paix (UJFP).
Dans leur plainte, que Politis a pu consulter, celles-ci mettent clairement en cause le maintien de l’ordre opéré par la police nationale durant la journée de mobilisation du 1er mai 2023 et précisément « la charge policière et les interpellations préventives ».
La journée internationale de lutte pour les droits des travailleuses et travailleurs a été transformée pour l’occasion en manifestation contre la réforme des retraites. Une manifestation « régulièrement déclarée à la préfecture de la Gironde » et dont la légalité ne fait « aucun débat », peut-on lire. Mais, « alors même qu’aucun incident n’avait émaillé le cours de la manifestation, les forces de police ont décidé de charger le cortège syndical rue des Frères Bonie, juste devant le palais de justice », dénoncent les organisations. « Les forces de police procédaient à l’installation de deux nasses, enfermant des manifestants à l’intérieur d’un « cordon de sécurité », sans aucune possibilité de sortie », alors même que cette pratique a clairement été déclarée illégale par le Conseil d’Etat.
Une manif « coupée en deux »
« L’utilisation de cette technique d’encerclement ne répondait à aucune circonstance commandée par des troubles caractérisés à l’ordre public, et n’était nullement adaptée, nécessaire et proportionnée à l’évolution du cortège du 1er mai 2023 », expliquent les organisations dans leur plainte. La manifestation s’est donc trouvée « coupée en deux et le cortège ne pouvait plus avancer. » Puis, à « 13 h 10, les forces de police ont fait usage de grenades lacrymogènes, touchant tous les manifestantes et manifestants. » La manifestation a ensuite été dissipée sans sommations règlementaires d’après les plaignants, alors « qu’aucune violence, aucune voie de fait n’ont été exercées contre les forces de l’ordre pouvant alors justifier l’usage directe de la force ».
Ce même 1er mai, la préfecture avait donné une version différente des faits. Elle faisait état dans un communiqué de presse de la présence à 12 h 30 d’un « groupe virulent » qui aurait « commis les premières dégradations (tags, bris de mobilier urbain…) dans les rues de la ville » suite à quoi « les forces de l’ordre sont immédiatement intervenues et ont procédé aux premières interpellations pour dissimulation volontaire du visage sans motif légitime, lors d’une manifestation sur la voie publique accompagnée de troubles ou risques de troubles à l’ordre public ».
Selon la préfecture, après dislocation du cortège à 13 heures 45, « une manifestation sauvage a démarré regroupant 100 à 150 individus, provoquant des dégradations et feux de poubelles, nécessitant une nouvelle intervention des forces de l’ordre. Plusieurs autres personnes ont été interpellées. » Au total, 21 personnes auraient été interpellées pour dissimulation du visage, jets de projectiles sur agent de la force publique ou détention d’artifices, toujours d’après la préfecture.
Or les cinq personnes interpellées ce 1er mai et qui déposent plainte aujourd’hui ont vu leur dossier classé sans suite, ce qu’elles estiment être une preuve que leur arrestation était infondée. « À l’issue de quarante-huit heures de garde à vue, la très grande majorité (la totalité ?) de ces mesures aboutissaient à des classements sans suite qui démontrent le caractère illégitime et préventif de l’action policière du 1er mai 2023. », peut-on lire dans la plainte. Contacté, le parquet de Bordeaux n’a pour le moment pas donné suite à nos interrogations concernant les suites données à cette plainte ainsi que sur le devenir des 21 personnes interpellées ce jour là.
De leur côté, les membres de l’Union juive pour la paix se sont dit « profondément choqués » par cette intervention policière qu’ils ont vécu « comme une volonté des autorités de l’Etat de faire craindre à tout citoyen participant à une manifestation même régulièrement déclarée de ne pas en sortir indemne alors même qu’aucune violence n’est due à des manifestants. »