AFP Marseille
Malgré les “millions d’euros” d’aide de l’Union européenne, la Libye en guerre est incapable de coordonner les secours en Méditerranée, augmentant le risque de naufrages mortels, déplore auprès de l’AFP la cofondatrice de l’ONG SOS Méditerranée, Sophie Beau.
“Un pays en guerre va-t-il aller faire du sauvetage en mer pour des migrants? On est sérieux? (…) Ca ne marche pas“, dénonce Mme Beau au moment où l’Ocean Viking, bateau opéré par SOS Méditerranée en coopération avec Médecins sans frontières (MSF) est en mer pour porter secours aux personnes tentant la périlleuse traversée vers l’Europe depuis la Libye.
En 2019, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a recensé 1.283 décès connus en Méditerranée, la route centrale entre l’Afrique du Nord et l’Italie étant la plus mortelle. Au moins 19.164 migrants auraient péri dans les flots au cours des cinq dernières années.
Depuis l’été 2018, succédant à l’Italie qui assurait auparavant ce rôle, les garde-côtes libyens sont chargés de coordonner les sauvetages dans une vaste “zone de recherche et de secours” dépassant leurs eaux territoriales.
Mais ce pays en proie au chaos depuis 2011 s’enfonce depuis des mois dans une guerre entre le Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli d’un côté, et les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est.
“Il y a un gros problème avec l’UE dans la délégation des responsabilités aux Libyens, c’est extrêmement cynique alors qu’on sait pertinemment que la Libye ne peut pas remplir cette mission aujourd’hui et encore moins depuis quelques mois“, estime Mme Beau.
Même si “l’Union européenne finance à coups de millions et de millions la formation des garde-côtes libyens“, ces derniers “ne mènent pas mieux les missions“, poursuit-elle.
Depuis ses débuts en mer en 2016, SOS Méditerranée, financée uniquement par des dons, a secouru plus de 30.000 personnes. Forcée d’interrompre ses opérations maritimes en décembre 2018, l’ONG est repartie avec l’Ocean Viking en août dernier, secourant depuis des centaines de migrants.
Mais Sophie Beau dénonce “le non-respect du droit maritime” par la Libye où existe “une porosité totale entre milices et autorités“.
“Le droit maritime prévoit que l’autorité de coordination concentre tous les appels de détresse et les répercute vers les navires sur zone pour que le plus proche se déporte tout de suite pour porter secours (…) mais de manière générales ces alertes de détresse ne sont pas répercutées” par les garde-côtes libyens, selon Mme Beau.
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“Trou noir“ –
“On ne sait pas combien de navires coulent sans être pris en charge, c’est le trou noir en Méditerranée“, alerte la directrice générale adjointe de l’ONG. “C’est un recul majeur par rapport à ce qui existait avant car les Italiens coordonnaient parfaitement les sauvetages“.
L’Ocean Viking peine aussi souvent à joindre le centre de coordination libyen, malgré un nombre “incalculable d’appels” et se retrouve parfois face à des interlocuteurs ne parlant qu’arabe.
“Un centre de coordination des sauvetages doit avoir du personnel 24 heures sur 24 qui parle anglais pour pouvoir être opérationnel sur n’importe quel bateau qui passe sur zone et qui a besoin de secours, ce n’est pas le cas“, dénonce Mme Beau.
En revanche, elle estime qu’un pré-accord pour la répartition des migrants dans l’UE conclu en septembre 2019 entre la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte “commence à produire un début d’effet“. Le Portugal, le Luxembourg et l’Irlande se sont rajoutés aux initiateurs, selon elle.
“Le fait d’avoir ce pré-accord a facilité les choses récemment puisque du point de vue de l’Ocean Viking les durées de blocages en mer“, en attendant de pouvoir débarquer les migrants dans un port sûr européen, “sont moins longues que ce qu’elles ont été“.
Mais souligne-t-elle, ce pré-accord “n’est pas suffisant” car il doit impliquer les 27 Etats de l’UE.
“Les pays européens doivent prendre leurs responsabilités” pour accueillir les migrants secourus, mais aussi en déployant une force européenne de sauvetage, estime Mme Beau.
La “désorganisation de l’Europe” sur les migrations a, selon elle, un “coût politique” en terme de crédibilité et de montée des extrémismes.